☾Partie 1/2

Ariane tassa avec énergie les vêtements et bijoux que nous venions de cacher dans le renfoncement qu'elle avait trouvé, sous les lavabos. Nous avions mis toutes nos forces à tout faire rentrer dans ce petit trou. Peu après avoir compris les intentions d'Ariane, j'avais discrètement filé dans le dortoir pour prendre le blouson de Clyde et la rejoindre dans les toilettes miteuses du premier étage. Mais alors que je pensais qu'il y aurait quelques petites affaires sentimentales, Ariane a tenu à faire rentrer les trois quarts de ses affaires. Et pour seule explication, elle m'avait chuchoté à l'oreille « Chacun a ses secrets ».

Quand tout entra enfin, je remis le morceau de carrelage à sa place en rebouchant le trou. Satisfaite du résultat, je me relevai vivement pour déplier mes genoux engourdis. Malheureusement, cette satisfaction m'avait fait oublier la présence de ces fichus lavabos. Ma tête se fracassa contre l'un d'eux avec un vacarme tonitruant. Alors que des dizaines de petits lavabos blancs commençaient à danser devant mes yeux, Ariane ne se retint pas de se payer ma tête.

"- Alors, tu avais oublié que ces lavabos pouvait assommer quelqu'un ? Tu as encore toute ta tête au moins ? Je n'aimerais pas me retrouver avec une amie ayant des troubles de la mémoire après avoir, je cite, fait la rencontre plutôt violente d'un lavabo !"

Alors qu'elle était pliée en deux, en train de rigoler comme une baleine, je tenais ma tête entre les mains et serrai les dents. C'était douloureux, mais surmontable. Le pire était le sarcasme peu subtil d'Ariane...

Après avoir longuement écouté les blagues plutôt immatures de mon alliée, l'odeur nauséabonde des toilettes nous fit déguerpir. Arrivées à nouveau dans le dortoir, l'agitation semblait s'être calmée, mais il régnait un carnage apocalyptique dans tous les recoins de la pièce. Les affaires personnelles de chacune formaient un tas haut de plus d'un mètre. Notre petite sortie en dehors des dortoirs ne semblait avoir troublé personne, et nous rejoignîmes nos lits respectifs avec indifférence.

Mais alors que j'attendais que tous les tas soient faits, assise sur mon lit, un chuchotement à côté de moi me fit tourner la tête:

"- Je vous ai vues, toi et l'autre grande. Vous êtes sorties avec des affaires."

Étonnée par sa remarque, je fis attention à ne pas paraître offensée, mais la lueur de peur qui fit briller mes yeux la rendit fière de son coup. Nous avions été démasquées par une personne, mais y en avait-t-il d'autres ?

"- Vous avez dû cacher vos affaires quelque part, j'en suis sûre. Pourtant, vous n'êtes pas les seules à vouloir garder vos souvenirs. Si tout le monde vous avait vues, je pense que vous auriez eu des problèmes..."

Ses avertissements me mettaient plus en colère que me faisaient peur. Que voulait-elle ? Me donner une leçon ? Me faire comprendre que mentir et tricher, c'est mal ?

"- Je ne compte pas vous livrer aux supérieurs, à une condition. Je voudrais que vous me considériez comme une alliée."

Sa demande était simplement pitoyable. Pour ne pas rapporter, elle veut simplement qu'on joue avec elle comme en école primaire ? En ricanant, mon comportement parut la vexer. Elle ne semblait pas apprécier la moquerie autant qu'Ariane... Son ton soudain rude me laissa perplexe:

"- Comme tu veux. Moi, c'est Callie, si tu changes d'avis."

Vu comme ça, elle me parut légèrement bipolaire... Mais sa menace ne me laissait pas en toute confiance non plus. Il fallait que je prévienne Ariane, mais pas tout de suite.

***

"- Bipolaire, tu dis ? Schizophrène, peut-être, tant que tu y es. "

J'essayais tant bien que mal de résonner Ariane. Si Callie venait à dire à Hemna que nous cachions des affaires, s'en serait sûrement fini pour nous. Pourtant, son tempérament frontal l'avait encore une fois emporté. Entendre raison et lui faire changer d'avis fut impossible.

"- Fais comme tu veux, mais les affaires terrestres ont été emmenées ce matin et il serait encore temps de les donner, ou de se lier d'amitié avec Callie.

- Le premier jour, j'ai observé toutes les filles du dortoir. Callie, brune aux yeux bleus, légèrement ronde, c'est ça ?"

J'affirmai d'un signe de tête.

"- Elle n'inspire pas confiance, cette fille. Le regard vicieux, les traits toujours crispés... Je ne veux pas m'entendre avec elle. Tu détournes les yeux une seconde et elle te poignarde dans le dos.

- Mais réfléchis ! Si nous sommes dénoncées, qu'est ce qu'on va faire ?

- Toi, réfléchis ! Sa menace n'est qu'une menace. Elle n'a aucune preuve. Je ne veux pas me "lier d'amitié" avec cette fille.

- Très bien. Mais dès demain, je changerai mon blouson de cachette."

Son regard étonné se posa prestement sur moi, avant de se radoucir.

"- Comme tu voudras. Mais si tu tiens tant à te trouver une nouvelle amie, je ne te retiens pas."

Après notre discussion, toujours en désaccord, nous continuâmes d'avancer dans les couloirs, derrière le rang. Cette journée va être la première où nous travaillerons chacune sur notre profession. Nous ne serons donc pas ensemble, mais Callie est aussi en corps à corps, ce qui va me faciliter la tâche. Ariane peut faire ce qu'elle veut, mais je ne laisserai pas notre situation tanguer entre les mains de Callie.

***

Debout, droits et le regard fixé droit devant nous, nous écoutions les explications de notre nouveau professeur. Marc n'était plus là et un homme baraqué au teint trop bronzé avait pris sa place. Un soi-disant Fred, qui se disait très aimable. Callie était devant moi, un sourire hypocrite collé aux lèvres. Sa queue de cheval brune me frottait le nez et je me demandais si elle ne faisait pas exprès, mais je n'y prêtai pas attention.

"- Vos cours ne seront pas toujours le corps à corps. Un jour sur deux, vous apprendrez l'histoire de Vivia, sa géographie, sa politique... et tout ce qui vous faudra pour survivre sur cette planète. Le reste du temps, vous travaillerez essentiellement votre spécialisation, mais également les autres professions. Le but est que vous sachiez vous défendre avec n'importe quoi."

La consigne à présent était de se mettre en groupe de deux pour apprendre les prises et déstabiliser son adversaire. Je me retrouvai alors non pas avec Callie, mais un jeune homme assez timide, que je reconnus d'hier : William, qui avait gagné le premier match de corps à corps. Première prise: déplacer la jambe de l'autre d'une façon précise avant de le faire tomber en arrière. Mon adversaire, en plus de ne pas ouvrir la bouche, ne semblait pas très confiant non plus. Il avait pourtant remporté la victoire, hier.

"- Tu... tu veux commencer ? Je ne suis pas sûr d'avoir très bien... compris."

Je ne répondis pas tout de suite, absorbée par la bipolaire qui se battait juste derrière mon adversaire. Mon absence de réponse sembla l'embarrasser:

"- Enfin, c'est comme tu veux, hein ! Pour te dire, je ne pensais pas être pris dans cette profession et elle ne me plaît pas plus que ça. Désolé, je te parle encore de ma vie alors que ce n'est pas du tout le sujet. J'ai tendance à souvent...

- Eh, oh, stop ! Calme toi. Je n'ai pas vraiment envie de commencer alors vas-y, si c'est "comme tu veux". »

Je savais pertinemment que ce n'était pas la réponse qu'il attendait, mais je voulais qu'il prenne plus confiance en lui. Ses joues roses devinrent blanches, mais il accepta d'un signe de tête. Deux pas en arrière, un pied en avant, et il se rua sur moi comme Fred nous avait expliqué. J'étais prête à cela, mais pas du tout à cette violence du choc entre nos deux torses. Tout l'air s'expulsa de mes poumons, et le déplacement exact de ma jambe par mon adversaire accentua ma chute sur le dos.

Les yeux et la bouche grands ouverts, je contemplai le plafond gris, surprise par la force inouïe de ce garçon si timide. A me voir, piteuse comme j'étais, les excuses fusèrent d'un coup:

"- Oh pardon, je t'ai vraiment fait mal ? Je suis désolé, c'est parti tout seul. Tu as mal quelque part ? Qu'est ce que je peux faire pour m'excuser ?"

La seule chose que je pus lui dire ne fut pas du tout ce à quoi il s'attendait:

"- William, c'était super."

Bien qu'étonné, ma réponse sembla le ravir.

"- Ah bon ? Super, enfin, merci. C'est cool."

Ses yeux foncés se postèrent au-dessus des miens et ses cheveux marron cachèrent le reste de son visage. Il s'était mis au-dessus de moi et son regard inquiet avait laissé une petite place à un air plutôt ravi.

Quand je réussis enfin à me lever, les entraînements continuèrent, mais je ne réussis pas une fois à faire chanceler la masse corpulente de William. Toujours sur le qui-vive, il commençait tout de même à me montrer sa vraie personnalité, amusante mais assez peureuse. Selon moi, sa timidité l'empêchait de s'exprimer, et sa force était son seul remède pour se sentir vivant.

Les trois longues heures d'entraînement terminées, notre effort fut récompensé par l'ouverture du réfectoire, où les plats fumants nous attendaient. Dès dix neuf heures, nous pouvions commencer à manger et le dernier délai était à vingt heures cinquante. Cette large plage horaire nous permettait de ne pas être trop nombreux au réfectoire en même temps. Avec Ariane et suivie de près par William, qui ne voulait plus me quitter, nous nous attablâmes avec nos plateaux en main. La grande salle, presque vide, n'avait rien de différent d'une cantine terrienne. L'unique décoration était les tables et chaises colorées en plastique ainsi que des affiches sur la santé placardées sur les murs. La seule différence restait la nourriture.

Les aliments semblaient être les mêmes que sur Terre, mais ceux de Vivia n'étaient pas de la même couleur. Les fruits et légumes frôlaient le jaune fluo et celle de la viande et du poisson variait d'une assiette à l'autre. Je ne connaissais pas encore la raison de cette différence de couleur, mais nous l'apprendrons sûrement lors des cours sur la vie sur Vivia. Sur le tableau du menu du soir était inscrit en grosses lettres:

MENU CLASSIQUE: Poulet et haricots blancs

MENU VÉGÉTARIEN: Steak de soja et pommes de terres

Pour moi, le menu classique me convint bien, mais William, quant à lui, opta pour le menu végétarien. Comme il me l'avait dit entre deux prises de combat, il avait tiré un trait sur la viande après avoir vu un reportage sur les abattoirs. Il était apparemment également doté d'un côté sensible.

Le réfectoire était encore presque vide, mais la discussion tenue entre Ariane, William et moi, donna l'impression que la salle était pleine. A force de donner chacun notre point de vue sur cette première journée et à nous raconter notre ancienne vie sur Terre, nous ne vîmes pas le temps passer, et William sorti du réfectoire trois quart d'heures après. A nouveau seule avec Ariane, je la retins à notre table pour à nouveau aborder le sujet de ce matin. Avant que je ne puisse parler, Ariane me devança:

"- Sympa, le William ! Un peu naïf mais il semble être un bon gars."

En plein dans ma lancée, je dus d'abord acquiescer avant de lui demander:

"- Sinon, tu n'as toujours pas réfléchi pour Callie ?

- Que veux-tu que je te réponde ? Non, je ne veux pas connaître ta Callie, ni avoir affaire à elle.

- Mais tu n'as même pas essayé d'étudier ça ! Cela ne fait même pas vingt-quatre heures que nous avons décidé de désobéir aux règles et quelqu'un s'en est déjà aperçu. Au moindre faux pas de notre part, elle pourrait aller tout balancer aux supérieurs et je n'ai pas du tout envie de connaître les conséquences de nos actes.

- J'en suis consciente, mais j'ai déjà assez chanté sur Terre et je ne compte pas me laisser faire ici aussi."

Notre discussion n'aboutissait toujours pas, et nos propos avaient tous deux une part de vérité.

"- Alors, nous allons faire comme ça. Je vais aller voir Callie, lui dire que c'est moi qui ai caché mes affaires et que toi, tu m'as simplement aidée. Je lui ferai alors comprendre que tu n'as rien à voir dans cette histoire et tu n'auras donc pas besoin de t'entendre avec elle. Je vais gérer cette situation toute seule.

- Jo, ce matin, on a pris une décision: celle de transgresser les règles. Était-ce une connerie ? Sûrement. Est ce que c'était la meilleure à prendre ? Peut-être pas. Mais ce dont je suis sûre, c'est que nous avons formé cette galère ensemble, et on en assumera les conséquences ensemble.

- Comme tu voudras, mais moi, j'ai fais mon choix. Callie deviendra mon alliée, pas la tienne."

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Cette Callie semble leur causer bien des ennuis... Que pensez-vous d'elle ? 😆

Pour plus d'action... votons !! 🌟

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