-6-Les familiers du lord

Mon horloge interne m'indique que les dernières lueurs du jour viennent sûrement de disparaître lorsque je suis réveillé par un étrange bruit venant du jardin en contrebas. En me levant, encore à demi nue, vêtue d'un simple bas de pyjama en lin, je saute directement par la fenêtre et me laisse tomber du quatrième étage. Si quiconque me surprend dans les airs, on pourrait croire que je cherche à me suicider. À cet instant, je ressens, un tiraillement dans mes talons. Tandis que sans le moindre bruit, à la manière d'un chat j'atterris encore pieds nus, dans l'herbe qui me chatouille les orteils.

J'aperçois brièvement un éclair de fourrure roux et noir, avec une vitesse tout bonnement inhumaine. Je me précipite et tombe nez à nez avec deux renards. Étrangement, ils ne semblent pas me craindre malgré le fait que mes crocs soient dévoilés. La soif qui me titille a fait rougir mes yeux. Puis, en tendant une main vers eux, je me rends compte que celle-ci arbore des griffes meurtrières. C'est donc avec un soulèvement de sourcil que je les fais disparaître.

Les renards semblent s'approcher doucement de ma personne, jusqu'à que je sente des langues chaudes effleurées la peau froide de ma main blafarde. C'est avec un léger sourire que je commence à caresser docilement la douce fourrure des goupils, ils sont magnifiques. L'un est noir au dos coloré d'une couleur orange vif, tandis que l'autre est entièrement roux. Mais avec le poitrail blanc, leurs longues queues touffues sont tachées de blanc comme si elles avaient été trempées dans de la penture.


Pris d'un instinct soudain, je retire l'une de mes mains du pelage d'ébène d'un des canidés et enfonce mes crocs acérés dans la chaire de celle-ci, maintenant troués des blessures jumelles qu'ont laissées mes canines. Enfin je tant ma dextre devenue sanguinolente aux renards. Ceux-ci paraissent comme attendre quelque chose. Me tournant vers le roublard au pelage en partie noir, je murmure "chronos" l'animal lèche aussitôt mon hémoglobine et je vois soudain ses yeux ambrés devenir du même argent que mes prunelles. Puis, le petit corps délicat du renard se transforme en de la cendre qui semble se fondre dans mon bras. Une atroce douleur me submerge, une sorte de trace ressemblant à un marquage au fer apparaît sur mon avant-bras dénudé. Une horrible odeur de chair brûlée émane dans l'air. Une fois le manège fini, je reproduis la même chose avec l'autre renard ; son frère. D'après son odeur, j'appelle cette fois-ci l'astucieux mammifère "Loki". Tandis que je halète encore légèrement sous la souffrance de mes avant-bras, je vois les brûlures virer au noir et se dessiner des tatouages sublimes, représentant un goupil sur chacun de mes avant-bras.

Je perçois la présence des frères, s'installer dans mon esprit. Celui-ci est comme envahi, mais pas de façon agressive. C'est comme s'ils partagent leur conscience avec moi et inversement. J'ai le sentiment qu'ils entendent chacune de mes pensées et moi je sens de façon confuse leurs sentiments.

C'est en me massant les tempes que je retourne tranquillement dans ma demeure toujours à demi nue. De nombreux vampires sont arrivés entretemps. Je me rapproche d'un aristocrate qui fume paisiblement à l'ombre d'un arbre :

-Auriez-vous une cigarette à me passer ?

À ces mots, celui-ci sursaute, plisse les yeux pour tenter de discerner mon visage. J'avais oublié que les traqueurs sont les seuls vampires à être entièrement nyctalopes. Alors, je m'avance un peu dans la clarté et m'assois sur une branche basse à côté du buveur de sang qui aussitôt me tend la cigarette tant attendue. De ma main droite, je saisis la roulée que je glisse entre mes lèvres. L'aristocrate fini par dire :

-Savez-vous que votre vampirisme est flagrant à cet instant ? Ne pensez-vous pas que vous mettez en danger notre secret ?

-Oh non ! s'il y'avait la moindre trace d'humain dans les parages, je ne me serais pas ainsi exposé. De plus, je possède un suffisamment bon flair pour être formel. Après tout, le plus gros coup d'éclat qu'on fait les vampires est justement de passer pour une simple légende. Cela nous donne le champ libre pour nous nourrir en paix. Dis-je en dévoilant légèrement mes crocs.

-C'est assez vrai et je crois avoir le fin mot de l'histoire.

-À propos de quoi ?

-De votre lignée, vous êtes un traqueur.

-En effet, je ne l'ai à aucun moment caché et je pense que ma capacité à me fondre dans l'ombre ou le fait que je parle de mon flair et bien... c'était des informations très évidentes.

-Certes, je n'ai aucun grand mérite d'avoir deviné.

Alors que je continue à bavarder, une voix résonne dans ma tête : [-c'est Azzo, le commissaire vient juste de ce réveillé et j'aurais une mission à te confier.]

En adressant un sourire bref au vampire avec lequel je discutais, je disparais dans la noirceur aussi vite que j'étais apparu. Laissant pour seule preuve de mon passage, une douce odeur de tabac. Après tout, la discrétion est bien la signature des traqueurs. C'est donc avec le plus grand facilité et dans le silence le plus absolu qu'en quelques mouvements, je remonte par la fenêtre de ma chambre.

Une fois arriver dans la pièce, j'enfile un ensemble gris perle et noir ajuste soigneusement ma redingote aux boutons en or noir que je complète avec un haut de forme noire orné d'un ruban tout aussi foncé. Celui-ci possède pour seule fantaisie ; une plume de paon placé sur le côté. Ce qui est sûr, c'est que rien ne vaut le sur-mesure, surtout qu'à présent mon poids restera figer à jamais. Mais vue le corps d'apollon qui est le mien, pourquoi devrais-je me plaindre de cet état de fais ?

Ce soir-là, en m'installant à la table, ce n'est malheureusement pas des croissants et du café qui m'attende, mais bel et bien un verre de sang chaud et de la viande crue.

D'après ce que j'ai pu comprendre, la nourriture humaine rend les vampires malades. Notre organisme digère mal cette victuaille. À l'entente des témoignages de mes compères, je décide de ne pas tenter le diable et me restreins à mon écarlate pitance. C'est avec un sourire nostalgique en pensant à la douce amertume du café, que je regarde entrer le seigneur Azzo.

Aussitôt que celui-ci se tourne vers moi, j'effectue le salut ritualisé en posant un genou à terre et dévoilant ma gorge. Quand le grand seigneur me fait signe de me relever, je m'intéresse de nouveau à mon repas. C'est en faisant tourner le liquide pourpre comme on l'aurait fait pour un bon vin que je finis par demander au maitre des loups :

-Alors seigneur, quel est ma fameuse mission ?

Celui-ci sans me répondre semble humer l'air et d'un air surpris il se retourne enfin vers moi :

-Des familiers* me les montrez-vous à l'occasion ?

-Si tel est votre désir seigneur, ce sera avec plaisir que je vous montrerais mes renards !

-D'ailleurs, une question me taraude. Si les traqueurs maitrisent plus ou moins leur capacité de façon instinctive, ce n'est que très rarement le cas pour l'acceptation de leur nouvelle nature. Après avoir reçu l'étreinte d'un Nosferatu*, ils passent quasi tous par la phase de dégoût d'eux même et l'habituel «je suis un monstre, tuez-moi » et quand ils tuent pour la première fois, ce que tous les vampires font tôt ou tard est encore pire.

-Et bien je n'avais pas grand-chose à perdre et mes parents m'ont toujours dit que rien n'est gratuit, tout à un prix même la vie. Enfin ils le disaient quand j'étais gosse. Bref, ils ont disparu depuis une bonne dizaine d'années maintenant et j'ignore s'ils sont encore de ce monde ou bien dans l'au-delà. Je me considère donc plus comme un orphelin qu'autre chose et puis ce qui est fait est fait. Je suppose que je resterais un immortel jusqu'au jour où je me prendrais une balle en argent dans le cœur ou autre sévices mortel.

-C'est original comme réaction et en effet malgré les nombreuses recherches qui ont été effectuées par certains membres de notre espèce, il n'existe toujours aucun remède aux vampirismes... alors, autant profiter de l'immortalité.

-C'est un assez bon conseil seigneur !

J'ai le réflexe de rattraper ce que me lance sans prévenir le seigneur Azzo. En ouvrant ma main, mon regard se pose sur une petite boucle d'oreille représentant une sorte de dague suspendue à un simple anneau. Le tout est en platine et au centre de la garde se trouve un impressionnant diamant noir dont je connais la rareté. Cette pierre est d'ailleurs très peu utilisée parmi les Lords, car elle est ostentatoire et particulièrement coûteuse, mais aussi qu'à notre époque les boucles d'oreille sont un signe d'exclusion imposé aux prostituées. Je suppose qu'elle a une tout autre signification pour les vampires, surtout que la forme tout comme les gravures ne ressemblent en rien à ce que l'on peut trouver dans la mode humaine. Il a dû voir que je porte un minuscule rubis à l'oreille, l'unique chose qu'il me reste de mes parents en termes de bijoux, outre ma bague de famille. Mon sourcil gauche se soulève et finis par poser une unique question : -pourquoi m'offrir un bijou ? c'est assez étrange, on dirait presque une dote.

-Chaque chef de lignée à ce que nous appelons des représentants. Ils font aussi office de médiateurs en cas de conflit. Ce sont des vampires qui reçoivent le pouvoir d'agir au nom de leur chef de lignée. Ils prennent leur ordre directement de celui-ci, en bref cette boucle d'oreille est le signe distinctif de mes représentants. Pour ma part, je dois en avoir une petite cinquantaine répartie dans le monde entier, ce qui est bien moins que les autres.

-Et si j'ai dans l'idée de vous trahir un jour ?

-Et bien comme tous ceux qui ont essayé avant toi, je te viderai de ton sang, mais revenons à cette fameuse mission. La police londonienne à un service caché en leur sein constitué en partie de créatures de diverse espèce travaillant en partenariat avec les humains. Leur but est de résoudre les affaires liées au surnaturel de façon la plus discrète possible. Nous, autre vampire, étant donné que nous avons nos propres lois et que nous ne nous soumettons pas à celle des humains il n'y'a aucun Nosferatu dans ce fameux service, ce qui nous cause un déficit d'informations. Bref, j'aimerais que tu rejoignes cette organisation. Oh, et pratiquer l'Amaranthe, c'est-à-dire se nourrir exclusivement de sang de vampire est normalement interdit ! si on te le reproche, dit que tu as la permission d'un vampire ancestral, normalement il n'y aura pas de problème, car nous les chefs de lignée, sommes quasiment vue comme des roi par la communauté surnaturel.

-Très bien seigneur. Quand doit commencer ma mission ?

-Immédiatement. Un de mes traqueurs t'attend à la porte.

-Je ne sais pas pourquoi vous avez l'air plus respectueux qu'hier. Une raison particulière ?

-C'est la moindre des politesses de respecter le maître de céans. De plus, personne ne peut contester ta parole lorsque tu es dans ton domaine, le territoire d'un vampire est très important pour notre espèce.

-Oh merci pour cette précision seigneur.

-Me donneras-tu un peu de ton sang avant de partir ?

Sans répondre à sa question, je relève une de mes manches jusqu'au coude dévoilant ainsi la marque d'un de mes goupils. J'avance mon pâle poignet vers le seigneur, tandis que celui-ci observe longuement l'étrange tatouage sur mon avant-bras au bout d'un certain temps il fini enfin par plonger ses crocs dans ma chair. Je ne peux pas m'empêcher de gémir sous la douleur, mais cette fois-ci il ne me touche pas autre part. Une fois qu'il s'est bien rassasié, il fouille dans sa poche et me tend une flasque*. En l'ouvrant, une douce odeur de sang s'en dégage. Je devine aussitôt qu'il s'agit du sien et m'incline tout mettant le précieux contenant dans ma poche. Alors que je suis sur le point de sortir, Azzo m'interpelle en disant :

-Veux-tu que je te perce l'oreille immédiatement ?

-Merci, mon seigneur, mais je peux le faire moi-même. Avez-vous une aiguille ?

-Laisse-moi faire. Ce sera plus simple.

Puis, je le vois sortir une petite machine à l'allure antique ressemblant un peu à un pistolet avec à son extrémité une pointe en argent. Il me demande de m'asseoir et de pencher la tête. J'ai à peine le temps de pousser une sorte de jappement sous la surprise, que la pointe d'argent me transperce le lobe. La boucle à la dague côtoie maintenant le petit rubis sur mon oreille.

Extrêmement fier, je me relève et remets le haut de forme que j'avais retiré. Je m'incline devant l'ancien vampire et sors pour de bon. Cette fois, quand le traqueur à l'entrée de la porte voit le nouvel ornement à mon lobe, il pousse un hoquet de stupeur et incline légèrement la tête, signe de respect. Puis, il m'indique de le suivre.

Il semble que mon nouveau rôle de représentant d'Azzo soit plus important qu'il en a l'air.

Le mini lexique:

*Familier : De manière générale, le familier, parfois aussi nommé génie familier, démon familier ou encore esprit gardien, est une entité, un animal ou un esprit qui accompagne un être magique ou un humain auquel il est lier par un pacte de sang, le guide ou le conseille tout au long de sa vie. Il peut donc prendre la forme d'un être de chair (animal) ou immatériel (démon, esprit).

*l'étreinte d'un Nosferatu : Autre terme pour parler d'une transformation en vampire.

*flasque : c'est une petite bouteille plate généralement métallique, servant à transporter de l'alcool. Elle peut aussi être appelée flache ou flachette. Sa petite taille et sa forme lui permettent d'être transportée dans une poche.

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