-12-la forteress de Wistman's
Le vent ébouriffe mes plumes, tandis que je vole sous celle qui fut appelée Séléné* dans un temps perdu.
C'est au seuil d'un archaïque château, niché au cœur de la forêt de Wistman's, que je reprends ma véritable forme. Un trajet qui d'ordinaire aurait duré des semaines à cheval, là finalement je l'ai parcouru en vingt minutes seulement. C'est dans de telles circonstances, que je me dis qu'avoir des ailes s'avère particulièrement pratique.
Dans mon dos se trouve l'une des forêts les plus terrifiantes de l'Angleterre et devant moi se dresse un château tout droit sorti de l'imagination la plus torturée. Son portail de fer où la tête de méduse est sculptée avec une précision folle me fait penser à la patte* du maître de Cabestany*, mon frère verse une unique goutte de sang dans la bouche de la créature mythologique et le portail s'ouvre dans un grincement d'outre-tombe.
Mais c'est avec assez peu d'appréhensions que je suis mon aîné à travers le jardin à la française, où les houx et les ronces, alourdis de mures sont à l'honneur. Nous suivons le chemin ardoisé jusqu'au château moyenâgeux, qui est doté d'innombrables tours tortueuses et pointues comme des aiguilles. Celles-ci sont parsemées de meurtrières et de fenêtres rouges et délabrées, tenant plus du vitrail. C'est en cheminant dans ce parc bien plus grand et délabré que le bon sens l'exigerait que je sois pris de curiosité. Que me veut donc le maître des loups ? songé-je. J'ai pourtant suivi le moindre de ses désirs ! un étrange pressentiment me dit que d'aller contre ses ordres, ce rapporterait à une condamnation à mort.
Une fois arriver devant la porte, mon frère me demande de l'ouvrir moi-même. Pour comprendre le fonctionnement, c'est assez simple. Au centre de la porte, est sculpté un motif représentant fenrir. La gueule de celui-ci est en relief. Je place ma dextre dans la bouche du monstre et m'entaille le doigt sur ses crocs d'ébène.
Soudain, je sens mes yeux me démanger légèrement, signe qu'ils ont viré à l'écarlate. Sous l'omniprésente odeur de sang qui ce dégage de l'ouverture entrouverte, je m'allume donc une nouvelle cigarette dans l'espoir de me calmer. Depuis que je ne crains plus le cancer, ma consommation a doublé voir triplé. On dirait que même la mort n'a pas guéri mon addiction à la nicotine ou alors j'aime tout simplement le goût car celle-ci représente mon graal personnel.
Et puis, les cigarettes destinées aux vampires ont une odeur très légère, ce qui est plutôt agréable, car notre odorat surdéveloppé ne se retrouve pas agressé. Après avoir parcouru de nombreux couloirs dans lesquelles l'ébène côtoie le velours et l'or, les uniques décorations sont des tableaux de maître qui évoquent des batailles sanglantes. En y regardant de plus près, je crois apercevoir des vampires que j'ai déjà croisés vêtu d'armure médiévale aux crocs déployer. Leurs yeux semblent renvoyer les sept feux de l'enfer tel des lanternes au cœur de la bataille.
En passant devant un des plus gros tableaux, je vois un vampire qui est représenté en armure noir, assis sur une pile de cadavres. Ses cheveux blancs sont trempés de sang, l'immortel est en train d'empaler un humain sur une lourde épée brisée, qu'il manie d'une seule main dénotant d'une force faramineuse. Je me tourne vers mon frère en levant un sourcil tandis que celui-ci me répond avec un regard légèrement nostalgique :
-Oui c'est moi. J'étais un mercenaire pendant la guerre de Cent Ans, une joyeuse époque.
-Relativement sanglante, je me trompe ? dis-je avec un petit sourire dévoilant la pointe de mes crocs.
-En effet l'une des guerres des plus amusantes, après les tueries des Huns. Leur chef Attila avait le sens du spectacle ! Je voulais le transformer, mais selon Azzo cela aurait impacté l'histoire. Je trouve ça dommage, il aurait fait un formidable vampire !
-Je te jalouse un peu, tu sais ! mon passé est loin d'être aussi long et riche.
-Normal petit frère, à l'échelle de l'éternité tu es encore un nourrisson. Tu as tout le temps de laisser ton empreinte sur cette terre, mais pour l'heure nous devons aller voir notre seigneur. Je pense qu'il a dû nous voir arriver. De plus, j'ai cru comprendre qu'il t'a réservé une petite surprise.
-Merci, Lucian, maintenant je suis passé de curieux à impatient.
-Du pur sadisme. Je te le confirme, dit-il avec un sourire en coins.
-Sinon, cela fait longtemps que tu sers Azzo ?
-Depuis ma création ! avant même que l'on ne commence à compter les années. Je suis ce qu'on appelle un Akkadien* j'ai été engendré environs trois millénaires avant celui que les humains ont nommé Jésus, et il n'existe pas de meilleure façon d'endurer l'éternité que dans la servitude.
- Pourtant ton accent est bien Roumain si je ne m'abuse ?
-J'ai pris l'habitude de l'imiter comme la majorité des traqueurs. Cela permet de ne pas interloquer les locaux par notre accent étranger quand nous sommes en Valachie ou en Transylvanie. D'ailleurs lorsqu'il s'agit de la fourberie, je suis passée maître en la matière. Mais ne t'inquiète pas, je t'apprendrais quelques astuce et vampirouette si tu le désires.
En disant cette phrase, il a eu un parfait accent français qui est redevenu Roumain à la fin de la phrase. Mon frère est vraiment doué, songé-je.
Tout en continuant notre conversation, nous traversons le château pour rejoindre le seigneur Azzo. Malgré le peu de temps que j'ai passé avec Lucian et l'arrogance de celui-ci, je trouve que je m'entends particulièrement bien avec lui. Comme je ne suis pas dénué de hardiesse bien au contraire le vampirisme à du me débrider.
Les couloirs laissent place à des salles plus magnifiques les unes que les autres. Lors de notre marche, nous croisons de plus en plus de vampires, tous arborent le blason du maître des loups.
D'après mon odorat, je pense que l'on traverse la dernière pièce. Je m'allume alors une énième clope quand j'entends mon frère me poser une question :
-Combien en as-tu fumé cette nuit ? Que leur trouves-tu à ces fameuses cigarettes ? Et l'écarlate te va à ravir mon frère. dit-il en désignant mes yeux couleur de sang
-Eh bien, je ne maîtrise pas encore très bien ma soif. Je suppose que cela se voit ! elle m'aide à ne pas me faire dominer par la bête, et j'aime tout simplement le goût. Un vice que j'avais déjà quand j'étais humain. Sapristi, quel impoli je fais, en veux-tu ? Demandé-je, en tendant mon paquet vers mon acolyte. Sinon comment camoufles-tu tes victimes toi ?
-Crime sataniste en général. Je leur tranche la gorge pour cacher les marques de morsure et je leur grave un pentagramme sur le postérieur. Cela marche à coup sûr depuis des siècles et puis... J'ai le sens du spectacle, au point d'élever un crime au rang d'art. Dit-il en ouvrant en grand la porte d'un geste théâtrale.
Ma clope au bec, je m'avance et traverse ce qui ressemble franchement à une salle de trône assez sombre et quasiment vide. Au centre se trouve une estrade ainsi qu'un fauteuil royal en ossements sur lequel est assis Azzo. Il est tranquillement en train d'écrire sur le vélin à même ses genoux. Un encrier est posé en équilibre sur l'accoudoir. Légèrement en retrait de mon frère, je m'agenouille en bas de l'estrade inclinant la tête sur le côté exposant par la même occasion ma gorge. Ce geste signifie que nous, simples vampires, nous nous soumettons au grand seigneur Azzo. Les immortels ont beau pas avoir la mentalité de meute comme les loups, il m'est facile de deviner que la majorité d'entre nous respecte le pouvoir.
Cela fait bien au minimum dix minutes que je suis agenouillé en compagnie de mon frère, quand le maître des loups lève enfin les yeux et m'adresse un unique ordre avec un léger sourire gourmand :
-Erwin, j'ai faim. Approche et donne-moi de ton sang.
Je déglutis et rejoins le seigneur sur son estrade à demi courbé pour éviter de mettre en avant le fait que je sois légèrement plus grand que le maître des loups.
Une fois que j'arrive devant lui, celui-ci pose ses écrits sur une table adjacente et se lève. Il s'avance vers moi et d'un unique mouvement, plante ses crocs dans ma veine jugulaire. Sa morsure propre et nette démontre des siècles d'expérience. Sous l'effet du venin du maître des loups, je me sens à demi fébrile. Quand il relâche enfin l'emprise de ses canines, je grimace de douleur. Il m'a tout bonnement déchiré la gorge et je pense que je mettrais un moment à cicatriser, heureusement que je ne suis point humain une telle morsure m'aurais instantanément tuer si cela étais le cas.
De plus, Azzo m'a trop pris de sang, car à présent je titube sous l'effet de l'anémie qui a déclenché ma soif. Je saute littéralement à la gorge de l'assujetti le plus proche et sans même réfléchir je le vide de son sang. Je tremble lorsque je m'aperçois que celle que j'ai tuée est une enfant. Je suis un monstre ! me dis-je. Un Assassin ! Perdu dans ma tourmente, j'entends à peine Azzo dire :
-j'ai vu de multiples novices avec cette expression-là. Ne t'en fais pas, ça passera bientôt.
Je hoche la tête et me doute que la culpabilité passera, mais le fait d'avoir tué une enfant me bouleverse tout de même. Plus le temps passe, plus il me devient quasiment impossible de me souvenir du visage de mes victimes. Pour la bête, ce n'est rien de plus que des proies et je trouve ça terrifiant ! Mais c'est inévitablement, bientôt je serais incapable de pleurer, de plus mes crocs reste douloureux la vitæ* de l'esclave est loin d'avoir calmée le monstre qui rampe sous ma peau.
Nous autres vampires somme pas des maîtres de la nuit tout comme nous le clamons haut et fort, mais des prisonniers de notre appétit insatiable!
C'est avec les joues entièrement sèches et à demi couvertes de sang que je m'agenouille de nouveau devant Azzo et dis :
-Je m'excuse pour l'assujetti mon seigneur. J'ai perdu le contrôle de ma bête. Est-il tout de même possible d'avoir la raison de ma présence ?
-C'est à moi de m'excuser, je t'ai pris trop de sang ! Ce n'est pas étonnant que cela t'ait déclenché une soif de tous les diables, l'instinct est quelquefois fascinant...
Mais bon, la raison de ta venue tient à ce que j'aimerais que toi et ton frère preniez une équipe avec vous et alliez exterminer la meute de garous qui a élu domicile dans ma forêt. D'ailleurs Lucian, comment t'entends-tu avec ton cadet ? Demande-t-il en se touchant le menton.
-Assez bien... je vous remercie votre majesté.
-Je t'ai déjà dit de pas me nommer ainsi Lucian ! je ne suis pas un roi juste un immortel comme il en existe des millions sur cette terre.
-Si nous vous suivons mon seigneur, c'est justement parce que ce n'est pas le cas.
Alors que je me retourne pour suivre mon frère, Azzo m'interpelle :
-Oh ! j'ai failli oublier. Peux-tu me passer une plume ou deux l'épervier ?
Je soupire en silence et transforme partiellement l'un de mes bras, juste assez pour arracher deux de mes Rémiges* que je tends aussitôt au maître des loups. Celui-ci fini par me dire en contemplant les grande plumes noires striées de gris cendré :
-Tu sais que si tu étais un véritable oiseau, le fait d'avoir arraché ces plumes en particulier t'empêcherait de voler ?
-Je sais. Heureusement que je suis un vampire ! elles repousseront comme à chaque fois lors de ma prochaine transformation. En revanche, ça, je risque de la garder quelques jours. Dis-je en pointant du doigt ma gorge sévèrement blessé.
Il m'adresse un sourire fier. Il l'a fait exprès l'enfoiré ! mais en plus de m'en vouloir, le sang de la gamine était trop sucré et maintenant j'ai un goût de cassonade qui me colle à la langue. Tandis que je suis Lucian, celui-ci me glisse à l'oreille :
-Tu comprends pourquoi je n'aime boire trop jeunes maintenant ?
-Oui, j'ai l'impression d'avoir croqué dans un sucre ! tu penses qu'il y'a moyen de faire passez le goût avec du sang de lycan?
-Bien sûr petit frère, mais je vais te bander si tu le permets ? l'odeur de ton sang te rend trop repérable. Dit-il et pointant ma gorge de la pointe d'une griffe.
Je le suis calmement dans les dédales du château jusqu'à une suite et claque des doigts.
Un assujetti apporte aussitôt une veste sans manche en cuir noir marqué du blason d'Azzo ainsi qu'un pantalon en cuir très près du corps l'on dirais que je suis destiné à restée pied nu ce qui me derange pas au contraire en l'absence de soulier ce déplacer dans un silence absolue est bien plus simple et la peau d'un vampire possédant la dureté du marbre en plus de ça couleur opaline, me blessé involontairement serais un coup du sort terriblement improbable.
Alors que l'esclave s'apprête à repartir, je l'interpelle en demandant :
-As-tu préparé ce que j'ai demandé ? Oh ! et apporte-moi une serviette.
Je sens un morceau de tissus s'enrouler autour de mon cou, je m'immobilise aussitôt, et j'étant les bras. Mon frère passe le bandage en croix à travers mon poitrail et mon dos pour l'empêcher de bouger. Après qu'il eut fixé le pansement, je me retourne vers lui avec un grand sourire tout en enfilant ma veste :
-Tu serais splendide en infirmière avec une jupe courte et des talons ! si tu le désires, je peux t'arranger cela ?
-Le diable aura ta peau plaisantin. Dit-il en s'esclaffant. Puis pour se venger de cette blague douteuse, il passe un doigt sur la blessure de ma gorge. Ma seule réaction est de montrer les crocs. À leurs vues, il retire sa main en vitesse.
Il hausse ses épaules en ne prenant aucunement au sérieux ma menace et sans la moindre pudeur, il continue de se préparer. Sérieusement, noblesse oblige* de ne pas se retrouver à demi nu avec un autre homme. Cela pourrait porter à confusion et me faire passer pour un hérétique même si le vampirisme pourrait s'apparenter à une apostasie*.
Quelques instants plus tard, l'assujetti revient avec trois paquets de clopes de couleurs différentes. L'un des trois contient mes cigarettes habituelles et les autres se transforment en arme. Le fait que les vampires soient immunisés contre tous les poisons non bénis est un sacré avantage. Quand mon frère m'interroge sur les multiples paquets que je glisse dans le sac à ma ceinture à côté de mes dagues, je réponds avec un sourire mauvais :
-On verra si cela fonctionne. Tué deviendra possiblement bien trop facile.
Lorsque mon frère fini de se changer, celui-ci il se transforme en Hiboux. Ensuite, il s'envole pour venir se poser sur mon épaule. Cela indique un message subliminal pour me dire de me presser. Mais voir un métamorphe se métamorphoser est toujours aussi atroce ! Les os éclatent un à un et pendant une demi-seconde chacun de leurs muscles sont dénudé. Enfin je dis cela, mais ma transmutation ne doit pas être plus belle à voir.
Après que je sois sorti de mes pensées, je m'attache mes cheveux en cadogan* avec un petit ruban de velours argenté, puis je me transforme à mon tour. Je me suis finalement habituer à la douleur de mon changement de forme, ainsi celui-ci est devenue quasiment indolore. J'émets simplement un léger gémissement quand je sens ma colonne vertébrale se briser et c'est en envoyant des plumes dans les quatre coins de la pièce que je m'envole en silence. Mon ainé me suit de très près et il semble que les Infants* de l'Éventreur sois aussi sanguinaires que leur Sir, vue la faciliter de ma fratrie pour l'assassinat.
Mini lexique :
*Séléné : Déesse de la Lune personnifiée dans la mythologie grecque.
*Akkadien : Citoyen de l'empire d'Akkad qui est un état fondé par Sargon d'Akkad qui domina la Mésopotamie de la fin du xxiv siècle av. J.-C. jusqu'au début du xxii siècle av. J.-C.
(aujourd'hui l'ancien empire d'Akkad est devenue une partie de l'Irak.)
*Vitæ : Mot latin qui ce traduit par vie ou existence, cela pourrais aussi s'apparenter au sang surnommé le liquide vital.
*Rémige : Ce sont les grandes plumes ou pennes des ailes des oiseaux,
Elles sont essentielles pour qu'un oiseau puisse voler.
*Patte : style personnel et original d'un créateur, d'un artiste.
*maître de Cabestany : Il s'agit d'un maître anonyme sculpteur de la seconde moitié du XIIe siècle, une personnalité artistique constituée par les historiens de l'art à partir des années 1930 par le rapprochement de plusieurs œuvres remarquables par leur style et leur facture, au premier rang desquelles le tympan de Cabestany, d'où le nom de « maître de Cabestany ».
*Noblesse oblige : est une expression signifiant que la noblesse s'étend au-delà de simples droits et exige que la personne qui détient un tel statut assume ses responsabilités sociales.
*apostasie : dans le christianisme est le rejet du Christ par un chrétien. Le terme apostasie vient du grec apostasia qui signifie défection, départ, révolte ou rébellion.
*Cadogan : Une coupe de cheveux « inventée » au XVIIe siècle par le conte anglais William Cadogan, non pas pour une question d'apparence, mais pour des considérations pratiques il s'agit d'un nœud de foulard qui attache les cheveux d'un homme vers l'arrière.
Par extension il signifie également la coiffure en elle-même avec cheveux attachés vers l'arrière par un ruban ou un foulard.
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