Reprise du voyage
Tournant encore en rond avec son miel sous le bras, Elodie se décida à payer. En regardant l'heure, elle constata qu'une bonne demi-heure s'était écoulée. A la caisse, elle vit le quatre-quatre l'attendant près de la sortie. Amélie devait s'impatienter. Enfin un signe d'impatience pour les vacances !
La caissière parut surprise de voir son achat, et lui demanda d'un ton agressif :
-Z'avez trouvé ça où ?
-Ben, là-bas, tout au fond, avec deux pots de sirop d'érable et la marmelade.
-J'croyais qu'on était en rupture de stock... commenta la caissière en scannant enfin l'objet.
Elodie pesta contre les prix de ce qui s'achetait sur les autoroutes, et sortit enfin. Le quatre-quatre ne l'attendit pas, et partit faire un tour de parking. La jeune adulte ricana. Amélie commençait même à faire des blagues. L'esprit des vacances la visitait enfin ! L'autre travailla son coup de volant en faisant crisser les pneus, avant de revenir vite vers la copilote.
Peu avant que le véhicule n'arrive à hauteur de sa passagère, un homme sortit en courant du supermarché. Elodie se pétrifia, pressentant le drame. L'homme ne regardait pas devant lui, ni sur les côtés. Le bruit des freins attira son attention, trop tard. Le choc l'éjecta plus loin, tandis que le quatre-quatre s'arrêtait. L'homme n'avait pas été éjecté très loin. Quand le véhicule fut à l'arrêt, de ce qu'en voyait Elodie, il se trouvait au moins en partie sous une roue. La vision la glaça. La peur la musela.
Comme un automate, quand elle parvint à bouger, bien que les tripes douloureusement nouées, elle s'assit sur la banquette arrière. Le pot de miel y resta, tandis qu'elle-même posa la main sur l'épaule de la conductrice, devant elle.
Le contact fit bondir Amélie, et elle démarra en trombes. Les deux sentirent distinctement le choc des roues passant sur le corps. Par réflexes, la conductrice reprit le chemin des vacances. Les deux étaient blêmes. Tremblèrent, pleurèrent. Elodie accusait le coup. L'accélération l'avait enfoncée dans son siège. Elle ressentait, en boucle, la bosse du corps sur lequel elles avaient roulé. En se retournant, elle avait vu une traînée de sang. Pourquoi ce gars avait couru ? Il lui semblait, à la réflexion, qu'il portait des couches sous le bras. Elle sourit à demi en imaginant qu'il avait pris ces couches pour lui. Toujours pas attachée, ni sur son siège, en revanche bien angoissée, elle se mit en boule et se mordit le genou.
L'autre, pour atténuer son horreur, se concentrait sur la route. Les deux avaient peine à y croire.
-On fait un délit de fuite... souffla Elodie au bout d'une éternité.
Amélie eut besoin de beaucoup de temps, avant de bégayer.
-C'est... C'est tout ce qui t'inquiète ?
-Peut-être qu'il est pas mort.
Amélie en doutait. Dans le rétroviseur intérieur, elle était convaincue d'avoir vu un océan d'intestins. On ne pouvait pas vivre après avoir supporté le poids d'un quatre-quatre surchargé de valises et de glacières. Après une nouvelle pause, Elodie, la seule à reprendre plus ou moins des couleurs, retourna sur son siège et s'y attacha.
-Si ça se trouve, on fait juste un délit de fuite et non-assistance à personne en danger, plutôt qu'homicide involontaire et délit de fuite.
-Arrête avec ça... supplia Amélie en claquant des dents.
-Les faits, Amél... toujours se focaliser sur les faits... les sentiments, on s'y intéressera plus tard...
-Comment tu peux dire ça ?
Qu'Elodie se reprenne si vite, ça dépassait l'entendement. Devenait-elle folle ? Amélie savait qu'elle étaient toutes les deux assez sensibles. Elle, de se savoir meurtrière, ça la mortifiait, elle ne savait pas quoi faire. Elle... elle donnerait n'importe quoi pour remonter le temps, et empêcher ce meurtre. Comment ça avait bien pu se passer ? Pourquoi ça leur arrivait ? Et maintenant, que devaient-elles faire ? Que devaient-elles faire de bien ? Merde, elles avaient tué un mec...
La copilote suivait son propre raisonnement. Elle intériorisait tous les sentiments qu'elle pouvait, pour se concentrer sur le factuel. Et dans le factuel, elle n'avait pas su retenir ce gars et lui éviter l'accident. Ceci pouvait leur coûter cher. Elle jeta un coup d'œil à sa feuille de route. Elles semblaient parties pour ne pas se dénoncer. Et donc, poursuivre leur route vers les vacances.
-Zappe pas la quatrième sortie... indiqua-t-elle.
Pendant que la réflexion, banale, laissait coite la conductrice, Elodie lui tendit un mouchoir, et elle-même se moucha.
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