Arrivées et départs


      Elles entreprirent de nettoyer le quatre-quatre. Seules les roues et le pare-choc en avaient besoin. Elodie, moins dégoûtée par le sang, s'acquittait de cette tâche, pendant que l'autre appelait la police à voix basse. 

      Un peu moins de vingt minutes plus tard, comme prévu, un homme repéra le triangle posé trente mètres derrière les deux femmes, et s'arrêta juste derrière leur véhicule. Sur le siège du passager, tourné vers lui, trônait un ordinateur portable. Il reprit son téléphone, Elodie agit de même, et l'homme demanda :

-Je me trouve bien devant vous, mademoiselle ?

-Oui monsieur. J'ai profité de cette pause pour appeler quelques amis.

-Pourriez-vous m'en donner la raison ?

-Ils ont avec nous quelques passions communes. Alors, autant prendre un café entre intéressés. Et puis, plus on est de fous, plus on rit !

      L'homme était tout petit, à l'air gentil. Il observa les deux femmes avec curiosité. Elodie lui laissa le temps de les détailler, le téléphone toujours contre la joue. Un silence s'imposa, qu'elle brisa.

-Me permettez-vous de raccrocher, monsieur ?

      La réponse demanda une certaine réflexion à l'homme. 

-Vous pouvez.

      Vaguement soulagée, Elodie raccrocha, et remarqua que la mère d'Amélie n'avait envoyé aucun SMS. Elle devait vouloir éviter à sa fille la tentation du téléphone au volant. Tant mieux, une chose de moins à gérer. Les policiers ne devaient pas tarder. Eux aussi, avaient localisé l'appel. 

      Elodie et l'inconnu reprirent leur conversation là où le départ de ce dernier les avait interrompu. Les policiers, entassés dans deux vieilles voitures, arrivèrent deux minutes plus tard, tous en civils. Ils sortirent et se présentèrent à l'homme les uns après les autres, Elodie pensa à venir leur faire la bise, les saluant comme des potes. 

-Ici, c'est trois, signala le premier, auquel Elodie venait de faire deux bises.

      Cette dernière claqua la bise manquante, et salua ainsi toute l'équipe. Deux d'entre eux prirent Amélie à part, pour demander une précision ou deux, pendant que les autres attiraient l'inconnu dans une de leurs voitures. La présence d'un médecin légiste parut lui plaire, car il se laissa enfin embarquer. Pendant que la première équipe partait, ceux restants demandèrent aux deux filles de les accompagner au poste. Elodie se hérissa.

-On nous attend pour récupérer les clés des bungalow, si on arrive en retard on l'a dans l'os.

      Certes, elles s'étaient prises quatre heures de large. Mais Elodie préférait les préserver autant que possible.

-Nous aurions quelques questions à vous poser, avant tout. Ensuite, vous pourrez repartir.

-On a assez de retard comme ça, s'impatienta la copilote.

      La policière qui voulait l'emmener au poste arrivait déjà à bout de patience et cracha :

-Il se passe là des choses plus importantes que vos vacances, jeune fille.

-Ça fait cinq ans que j'ai pas pu me poser pour de vrai, là j'en ai l'occasion, rien ne m'en éloignera ! 

-Vous venez de faire arrêter un homme, potentiellement dangereux, nous voudrions vous poser quelques questions au poste.

-Pourquoi ne pas les poser ici ? insista Elodie.

-Ici, ce ne serait pas réglementaire.

-On vous a raconté tout ce qu'on savait, quand Amélie vous a appelé.

      Un collègue de la policière demanda à l'interrogée où elle devait se rendre. Il nota l'adresse de la destination, puis les numéros de téléphone.

-Je compte sur vous pour nous répondre dès la première sonnerie, conclut-il avec autorité. Gare à vous si vous ne restez pas disponible par ce moyen. 

      Après ces négociations, les deux amies purent reprendre leur route. Amélie restait dans tous ses états. Elodie elle, se détendait. Les vacances, c'était sacré. Elle avait renoncé à parler de l'accident aux policiers. Sur le moment, elle ne l'avait pas senti, et ne regrettait pas d'avoir gardé le silence. Elle se demanda si le quatre-quatre avait laissé des traces de pneus. Auquel cas, cela les aurait dénoncé. Le type étrange avait une petite voiture. 

      L'autre ruminait. Elles ne pouvaient pas s'en tirer si facilement. Ce ne pouvait être possible. Après deux tels événements, elle ne pouvaient pas continuer comme si de rien n'était. Elle demanda son avis à Elodie.

-Quels événements ? On a renversé un type, mais il n'y avait pas de témoins.

-Et les caméras de surveillance ? gémit Amélie.

-Tu parles de celle pétée par des petits cons braquée dans notre direction, et de celle tournée vers la caisse à l'entrée ? 

-Comment... Il doit...

-Y en avoir d'autres ? Tu as vu que le magasin était presque vide et délabré. Ajoute à ça la caissière tournant le dos au parking. Le vigile défoncé. L'aire de pique-nique à l'angle. 

      Prise d'un doute, Elodie regarda les actualités locales sur son téléphone. Aucune indication sur la mort d'un type à l'endroit où elles s'étaient arrêtées. De toute façon, dès qu'elle se saurait piégée, Elodie comptait bien tout raconter. Et si personne ne l'interrogeait, elle garderait le silence. En attendant, elle passerait de sales nuits. Tant pis. Ça faisait partie de la vie, se persuada-t-elle.

      Amélie se demandait comment l'autre pouvait montrer autant de calme. Elles avaient tué un homme, et peut-être bien failli se faire tuer par un fou. Mais elle ne voulait, pour rien au monde, avoir affaire à la justice. Elle ne voulait pas de casier judiciaire. Qu'en dirait sa famille ? Comment pouvait-on vivre avec un tel poids sur la conscience ?

-Elodie, tu me fais peur... avoua-t-elle quelques sorties plus tard. 

-C'est nouveau, ça. Pourquoi ?

-Ton calme... c'est pas normal.

-Tu penses que je suis sereine ? Eh bien non. Je fais avec. Point barre. Quand on peut pas faire sans, on fait avec. 

      L'autre se déchargea de son angoisse en se montrant agressive. La copilote écouta à nouveau d'une oreille distraite. Quand, enfin, un semblant de calme revint, elle confia :

-Tu sais, au début du voyage. Tu te demandais si tu n'étais pas psychopathe. Je t'ai répondu que, pour que tout ça te travaille autant, ça ne risquait pas. Au final, de nous deux, c'est peut-être moi, la psycho. Toi, je te trouve normale. 

      Amélie se crispa. Dernière fois qu'elle passait des vacances seule avec Elodie. Cette femme avait tendance à s'approprier les problèmes des autres. Et cette façon irresponsable de prendre la vie.

      Fort heureusement, la suite du voyage se déroula sans autres événements notables.


Fin

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