Appel
Amélie ne rata pas la sortie. Deux cents mètres plus loin, de la J-pop retentit. Elodie pesta intérieurement contre ce mauvais goût. Ce devait être la mère de la conductrice, qui appelait pour savoir si tout allait bien. Quand même, son amie aurait pu choisir une autre sonnerie...
La conductrice sortit le téléphone de sa poche, et loucha un court instant sur l'écran. Numéro masqué. Aucun membre de sa famille ne s'y amuserait. Il devait s'agir d'une erreur. Toutefois, la musique l'angoissait. Cela mettait une touche de banalité, alors qu'elle se trouvait en état de choc. Elle tendit l'objet à sa copilote. Cette dernière, d'une voix neutre, décrocha.
-Oui, allô ?
Une voix d'homme que ni l'une ni l'autre ne connaissait répondit. Il tentait de donner un effet rocailleux à sa voix fluette. Elodie apprécia autant l'effort que le résultat, et sauta sur l'occasion pour se changer les idées.
-Je sais ce que tu as fait.
Un frisson d'horreur la saisit. Elle s'imposa de rester calme. Il pouvait s'agir d'un canular. D'une bande de petits cons.
-De quoi vous parlez ?
-Tu viens de tuer quelqu'un.
-Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Les larmes lui montèrent aux yeux. Merde, un témoin. Quelqu'un qui voudrait les faire chanter. Il se passerait quoi, ensuite ?
-J'ai tout vu. En Allemagne.
Elodie posa la main sur le micro, et poussa un soupir tremblant. L'enculé lui avait fait peur. Qu'il parle d'un meurtre en Allemagne la rassurait. Il se trompait de personne. De plus, aucune des deux n'y avait mis les pieds.
-J'en doute monsieur, je ne m'y trouve pas.
-Vous ne vous y trouvez plus, vous voulez dire.
Elodie eut un sourire crispé. L'homme avait un ton monocorde. Très bizarre. Par habitude, elle imita cette posture, et garda son ton neutre. Pendant qu'elle parlait, elle entendit l'homme écrire au stylo.
-Je ne suis jamais venue en Allemagne, monsieur.
-Ah ? Vraiment ?
-Vraiment.
-Dommage, mademoiselle, c'est un pays magnifique.
-Je sais, monsieur, j'aimerais y aller un jour.
-Je vous le souhaite. Donc, sur une aire de repos partant de Berlin, ce n'est pas vous. Mais en Tchéquie, dites-moi ?
Amélie était venue à Prague, pendant un voyage scolaire. Elodie demanda alors de quelle ville il parlait. Lui pensait à Ostrava. Puis les deux parlèrent de divers pays européen, dans la plupart desquels ni Amélie, ni Elodie, n'étaient jamais venues. Et, les rares fois où elle connaissait une ville étrangère, l'inconnu pensait à une autre ville. Et, toujours, l'homme affirmait savoir qu'elle y avait tué. De temps à autres, prise d'un doute, Elodie demandait à la conductrice si elle connaissait tel ou tel pays, après avoir demandé la permission à l'homme étrange de s'interrompre un moment. Elle préférait rester prudente avec celui-ci.
Leur conversation s'interrompit quand l'estomac de ce dernier gargouilla avec assez de force pour s'entendre au téléphone. Pendant le blanc qui suivit, Amélie se demandait, angoissée, pourquoi Elodie parlait des pays européens avec une sorte de robot. Et pourquoi elle aussi conservait une voix monocorde. Comment pouvait-elle sourire, au vu des circonstances ? Et si sa mère appelait ? Bon sang, mais que devaient-elles faire ? A qui pouvaient-elles demander, au moins conseil ? La seule personne à laquelle Amélie aurait pensé, se trouvait dans son véhicule. Et Elodie semblait se moquer royalement de ce qui venait de se passer.
-Veuillez m'excuser, mademoiselle, conclut finalement l'inconnu. Cela fait deux jours que je jeûne.
-Vous pensez à boire, au moins ? s'enquit Elodie.
-Assez peu, reconnu l'autre.
La jeune femme sourit légèrement. La santé, son sujet de prédilection !
-Tenez, monsieur, vous saviez que le corps humain pouvait se passer de nourriture pendant un mois, à condition de rester bien hydraté ? Et, naturellement, c'est possible avec un individu en bonne santé, et mieux vaut tenter l'expérience avec un suivi médical.
-Un mois ? s'étonna l'inconnu. Vraiment ?
A force, Elodie percevait de subtils changements de tons. Et elle détecta de l'intérêt. Pour une fois qu'elle pouvait échanger sur l'un de ses centres d'intérêt, elle poursuivit sur cette lancée, abreuvant son interlocuteur d'informations diverses et variées, sans oublier de citer ses sources, pour la plupart sur YouTube et dans des magazines scientifiques. L'autre lui demandait parfois de patienter, le temps qu'il note ces informations.
Sur le ton de la conversation, il donna lui-même quelques informations sur un sujet qui lui tenait à cœur. Aussi, il parla de strangulations, de langues devenant bleues. Elodie parla d'une vidéo où elle avait vu une tentative, via des sangsues, pour relancer la circulation sanguine dans un pouce sectionné. Et elle aussi, parla de cette couleur bleue si particulière qu'avait eu l'appendice sectionné et recousu. Cela passionna son interlocuteur, malgré sa voix monocorde.
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