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Le souffle saccadé, la respiration précipitée, je me réveille en un sursaut, le visage couvert de larmes. J'ai encore rêvé d'Eléonore, un cauchemar, et j'ai l'impression de ne jamais pouvoir me débarrasser de ce poids. Je m'assois en tailleur sur mon lit, essayant de calmer les battements de mon cœur, et de me concentrer sur ma respiration. Dans ces rêves, je la vois mourir, se suicider, de plusieurs manières possibles, c'est affreux. Je pose mes mains sur mon front et glisse mes doigts dans mes cheveux emmêlés. J'ai de plus en plus de mal à visualiser l'avenir, que vais-je devenir ? Qui suis-je sans elle ? Et si je ne m'y remettais jamais ? C'est ma sœur tout de même, j'étais super proche d'elle, et elle disparait ainsi...

Je relis la lettre qu'elle m'avait écrite, secouée de sanglots. J'effleure les mots du doigt, pleurait-elle en les écrivant ? Que ressentait-elle ? Pour vouloir mourir elle devait vraiment être à bout de forces... J'ai mal pour elle au fond, elle a bien plus souffert que moi. Mais pourquoi m'avoir fait ça ? Elle aurait pu tenir encore quelques heures, une journée, et nous n'en serions pas là... Je me sens si abandonnée...

Mais pourquoi voudrais-je encore lutter ? La douleur partira avec le temps, et le bonheur reviendra peut-être. Ou pas, mais qu'est-ce que j'en ai à faire ? A quoi bon se battre contre tout ça ? Moi aussi je suis à bout de forces, moi aussi je n'en peux plus. Je n'y peux rien si ma vie est gâchée, je pourrais mourir triste, tant pis. Après tout je ne mérite pas le bonheur, tout comme je ne devrais pas me plaindre. Que je baigne dans une tristesse infinie, ce n'est pas grave, plus rien n'a d'importance maintenant. Je ne vaux pas plus qu'un petit caillou, contrairement à Eléonore qui vaut plus qu'une pépite d'or. Je continue à la surestimer, elle ne voulait pas que je fasse ça, mais ce n'est que la réalité.

Je me roule en boule dans mon lit, ma vie n'est que montagnes russes en ce moment. C'est épuisant, mon cœur ne peut pas contenir autant... Je souhaiterais juste ne plus rien ressentir du tout, j'aimerais tout oublier.

Une lumière jaunâtre me réveille à nouveau, suivie de quelques mots :

— Lyane, c'est moi, Lucie, tu dors ?

— Appelle-moi Ly, bougonné-je, sous ma couette, encore endormie.

— Quoi ? Lyane, c'est le surnom que... qu'elle te donnait.

— Je sais, mais je le veux.

Je la sens s'installer à mes pieds sur le lit, je soupire et sort ma tête de la couette.

— Je ne sais pas... Ce n'est peut-être pas une bonne idée, tu devrais éviter de la voir dans certaines personnes. T'as pas trop chaud ? Il fait trente-cinq dehors !

— J'suis bien...

— Je t'ai amené des cookies, t'adores ça, me dit-t-elle dans un sourire.

Je ne peux résister à la tentation, me rassois, lui souris aussi, puis en prend un.

— Tu sais, commencé-je, la bouche pleine. Je laisse tomber pour Eléonore, je vais arrêter de me battre...

Elle replace ses lunettes sur son nez et arque un sourcil, en mettant un cookie dans sa bouche. Ses cheveux bruns sont joliment tressés, les miens sont sauvagement réunis en un chignon. Ses yeux ne sont pas soulignés de cernes et ses joues ne sont pas creusées par les larmes. Elle s'empresse de prendre la parole :

— Arrêter de te battre ? Mais pourquoi ? Le deuil c'est compliqué, mais t'as besoin de le faire pour te sentir mieux après, pour te sentir libérée.

— Je ne vois pas l'intérêt, déclaré-je, blasée.

— L'intérêt ? Pouvoir être heureuse, profiter de la vie, profiter de tes amis, voyager, t'amuser, sourire, rire, et j'en passe. C'est si beau la vie, tu ne peux pas la passer à te morfondre au fond de ton lit. Souviens-toi de nos fous-rire, des bons moments qu'on a passés ensemble, ça en valait la peine, ça avait un intérêt.

J'hausse les épaule, le visage inexpressif, même si elle a raison, j'ai du mal à le lui avouer. Je me mords la lèvre et baisse les yeux. Mon amie pose sa main sur mon épaule et relève mon menton.

— La mère de Raphaël nous paie le camping pour exprimer ses condoléances, peut-être, mais surtout pour nous faire plaisir. T'es obligée de venir, et je veux que tu profites à fond de cette semaine.

— C'est quand ?

— La dernière semaine d'août, Raphaël conduit, le camping est déjà payé et y'a des apéros gratuits là-bas ! Ça va vraiment vous aider à aller mieux, vous deux. Puis c'est toujours super cool de partir entre amis ! De toute manière je ne pars pas sans toi, et Raphaël non plus je pense. Il a besoin de toi, tu sais. Il a beau avoir deux ans de plus que nous ça se voit qu'il souffre beaucoup de tout ça.

— Je sais... Et si tout est organisé, pourquoi pas, ça m'empêchera au moins de me retrouver seule.

— Puis ça te fera penser à autre chose, ou mieux encore, ça t'aidera à finir totalement ton deuil.

J'acquiesce, elle a sûrement raison, ça ne peut être que bénéfique. Je serais au moins partie une fois en vacances cet été. Je lève le visage et plonge mes yeux dans les siens, et lui offre un sourire timide.

- C'est d'accord, je viens. Je pense que ça ne dérangera pas mes parents.

- Ok, tu devrais prévenir Raphaël.

Elle m'offre un grand et sincère sourire, puis reprend :

- J'ai super hâte, nos premières vacances entre amies ! Ça va être trop bien, en plus c'est à la mer !

- Oh, ça fait super longtemps que je ne suis p as allée à la mer !

- Oui ! Bon, je dois y aller, je te laisse le plat de cookies, dit-elle en riant. Bon appétit, et on regardera pleins de films pour faire passer le temps avant les vacances !

- D'acc, à demain ?

- A demain.

Elle me fait la bise, puis quitte ma chambre d'un pas dansant. J'attrape mon téléphone pour envoyer un message à Raphaël, et observe au passage qu'il est quatorze heures et quelques. Je me suis bien levée tard aujourd'hui...

Je lui envoie donc : « Salut Raphaël, quoi d'neuf ? Lucie m'a parlé du camping, et c'est ok, je veux bien venir ^^ ». Il répond à la minute près : « Coucou, j'ai parlé à Nicolas, il s'en veut terriblement, mais je ne veux plus être ami avec lui. Et un camping ? De quoi tu parles ? Je crois que Lucie t'a fait une blague XD ».

Vraiment ? Lucie aurait fait ça pour se moquer de moi ? Ce n'est pas possible, elle n'aurait pas fait ça... Je lui envoie : « Hein ?! Sérieusement, elle m'a dit que ta mère payait. C'est quoi cette histoire ? ». Je reçois rapidement quelques émojis qui pleurent de rire, suivis de quelques mots : « Nan mdrrr je rigole, je suis au courant bien sûr, je voulais juste savoir ta réaction. C'est un camping où on loue le mobil-home, y'aura deux chambres, tu te mettras avec Lucie. Je suis déjà allé là-bas, et c'est plutôt cool, et y'a des animations. Le vendredi soir je crois, y'a une petite fête extérieure qui est vraiment super, alors prends de quoi t'habiller convenablement :) »

Je souris, c'est quelque chose qui plaira à Lucie, ça. Je le remercie lui et sa mère, puis pose mon téléphone, j'ai des choses à faire avant de partir. 

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