36
Nicolas gratte quelques cordes de sa guitare, couché par terre, écrasé par la chaleur. J'écoute paisiblement sa musique, faisant l'étoile de mer sur son lit. Un ventilateur tourne, les volets sont fermés à moitié, mais nous transpirons à grosses gouttes. Je n'aurais finalement pas dû venir aujourd'hui, un jour de canicule n'est pas la meilleure condition pour être avec son copain. Il évite de me parler de ma sœur, je sais très bien qu'il ne veut pas que j'y pense. Malheureusement, rien n'y fait, je penserai toujours à elle.
Mes yeux fixés sur le plafond, la douce mélodie de Nicolas, l'air frais du ventilateur sur ma peau, soulevant presque ma robe légère. Je me sens bien en sa présence, pas besoin de mots, la musique ou le silence nous suffit. C'est comme si tout était prévu, comme si Nicolas et moi étions destinés à nous aimer. Une évidence.
Soudain, il arrête de jouer, se rassoit et prend la parole :
— Tu comptes tellement pour moi, tu sais, tu as bouleversé ma vie.
— Dis, pourquoi tu parles peu de toi ? demandé-je, changeant brusquement de sujet.
— Je n'aime pas parler de moi, ricane-t-il. Et puis, je ne suis pas très intéressant comme gars.
Je ris en lui donnant une tape sur l'épaule, il me dévisage soudain, un sourire niais sur le visage.
— Tu ne peux pas savoir comme je t'aime.
Je lui offre un sourire attendri, puis caresse ses cheveux bruns en déclarant simplement :
— Continue de jouer...
— Vos désirs sont des ordres.
Il se reconcentre sur sa guitare, mon esprit est à nouveau envahi par les sons joués et les émotions qu'il fait passer. Il fait de la musique depuis ses dix ans, et est vraiment doué. J'attrape son téléphone qu'il avait posé à côté de lui, il s'exclame :
— Non, ne regarde pas !
— Pourquoi ? demandé-je en riant. Tu me caches de choses ?
— Non, je...
Je me rassois sur son lit, pose les coudes sur mes genoux et déverrouille son téléphone. J'ouvre l'application des messages et regarde à qui il a parlé dernièrement : « Lyane <3 », « Raph », « Papa. », et...
Mon cœur rate un battement, Nicolas arrête de jouer en voyant mon visage se décomposer. Les sourcils froncés, la bouche entrouverte d'incompréhension, je sors du lit et me tiens debout, Nicolas m'imite. Désemparée, je m'écris :
— Pourquoi envoies-tu des messages à Amibal ?
— J'envoyais, il est sûrement en prison là !
— Quoi ?! Mais ce n'est pas tes affaires, qui est-ce ? m'énervé-je.
— Lyane... Laisse-moi t'expliquer, je t'aime.
Il s'approche doucement de moi, essaye de poser sa main sur ma joue, mais je le repousse de fureur et explose en larmes. Le téléphone s'échappe de mes mains.
— Tu connais Amibal ? demandé-je d'une voix troublée par les sanglots, mais pleine de colère. Tu...
— Ecoute... Faut qu'on parle.
— Ah ça oui, il le faut, déclaré-je, un air de mépris sur le visage.
— Viens, assis-toi... Je suis désolé.
Il approche sa chaise de bureau pour que je m'y assois, tandis qu'il s'installe sur son lit, triturant ses mains, et se mordant la lèvre. Une mèche retombe sur son visage, mais il n'y touche pas, se contentant de baisser le regard.
— Avant que je te dise quoi que ce soit, je veux que tu saches que je t'aime sincèrement, d'un amour vrai. Et j'espère que tu sauras me pardonner...
Je laisse échapper un soupir, et fronce les sourcils, attendant la suite. Pourquoi est-ce que je prends le temps de l'écouter, il m'a trahi après tout. Discuter avec l'ennemi, c'est une trahison, non ? Je ne sais pas quoi penser, je suis en colère, mais aussi déçue, et finalement je ne sais rien de ce qu'il s'est vraiment passé...
— Bon... C'est Amibal qui m'a contacté, au début de la disparition... Il cherchait à être sécurisé. Quand il t'a envoyé la première lettre, il avait peur que vous le dénonciez à la police, ce qui aurait pu le mettre en danger. Alors... Il m'a demandé de vous aider à avoir confiance en lui, de vous pousser à dépenser l'argent.
— T'es con ? Pourquoi t'as accepté une offre pareille ?
— Il... Il m'a parlé de sa sœur, toute la douleur qu'il ressentait, il avait vraiment besoin d'aide.
Je me sens écrasée, la vérité est si lourde, si difficile à porter. Depuis tout ce temps, j'ai été bercée d'illusion. Des larmes commencent à couler sur mon visage, il baisse les yeux, ne sachant comment réagir. Comment ai-je pu être si naïve ? Tombée dans les bras d'un inconnu, venu dans le seul but de me séduire.
— Pourquoi... baffouillé-je. Pourquoi il t'a choisi, toi ?
— Je suis le meilleur ami de quelqu'un touché par la disparition d'Eléonore, j'étais une bonne cible. Il savait aussi que j'avais de l'argent, au cas où vous souhaitiez abandonner. Et sûrement que j'ai l'air empathique, naïf et digne de confiance, que sais-je ? Je suis désolé d'avoir fait ce choix.
— Digne de confiance ? m'écrié-je. Après m'avoir menti sur tes sentiments depuis toujours ? Tu n'as jamais été attiré par moi, tu ne pas jamais trouvée intelligente, ni belle... Je ne suis rien d'autre pour toi qu'un jouet ?
— Non... Dès que j'ai croisé ton regard j'ai su que ça collerait bien entre nous. J'ai tout de suite voulu arrêter ça, mais Amibal m'a fait promettre, il m'a fait signer. Je te promets que je t'aime, depuis le jour où on a été voir Lucie danser. Toi, à mes côtés, la musique, l'atmosphère... ça a fait un truc dans mon cœur qui n'était jamais arrivé, et j'ai su que personne ne pourrait jamais atteindre ton niveau. Je suis désolé pour toutes les erreurs que j'ai pu faire.
Lorsque je relève mon visage inondé, je peux remarquer que lui aussi a pleuré. Je le déteste, je le hais d'avoir aidé Eléonore, il était de mèche avec ce monstre, il a, lui aussi, tué ma sœur. Mon poing serré me démange, j'aimerais le frapper en cet instant, mais je me contiens et me contente d'hurler :
— Je te déteste, Nicolas. Rien n'est sincère dans ce que tu dis, sale traitre !
Je sors en trombe de sa chambre, transpirante et pleurant à chaudes larmes. Pourquoi faut-il que toute la foudre s'abatte sur moi ? Moi qui pensais pouvoir lui faire confiance... Moi qui pensais que le destin nous avait réunis, alors que c'est juste à cause d'Amibal. Tous mes espoirs, tout l'amour que j'avais pour lui... Plus rien, le néant. Mon corps n'est qu'un emballage sans cadeau à l'intérieur, je me sens vide, abandonnée, trahie. La vie ne mérite même plus d'être vécue, tout le monde disparaît. Dès que je touche quelque chose, il se détruit, à quoi bon ? Pourquoi est-ce que je vis ? Si ce n'est pour n'être maintenant que la version humaine du néant.
Je quitte définitivement la maison de Nicolas, heureusement que ses parents ne sont pas là, ils m'auraient prise pour une folle hystérique. La chaleur de l'extérieur me fait vaciller. L'envie de vomir me prend subitement, dégoûtée de l'affreuseté de ce monde, des humains, pourquoi tout le monde se retourne contre moi ou s'en va ? Qui me restera-t-il à la fin ? Des millions de questions et pensées se bousculent dans ma tête. Les battements de mon cœur brisé s'accélèrent, et je prends mon crâne entre mes mains, j'ai l'impression que je vais exploser, que mon cœur va s'arrêter à force de subir tout ça. Mes jambes se dérobes, et je m'effondre au sol, désespérée, dans une mare de larmes. La porte d'entrée derrière moi s'ouvre, et Nicolas, accoure à mes côtés :
— Lyane ? Je...
— Laisse-moi seule, putain ! Tu m'as gâché la vie.
Je tourne mon visage vers le sien, et plonge mes yeux pleins de larmes et de haine dans les siens.
— Pourquoi t'es entré dans ma vie, hein ? Pour me détruire ? Ça t'amuse ? Tu m'as fait espérer, tu m'as fait t'aimer, pour... Pour ça ?!
Ses yeux se voile d'une culpabilité infinie, je ne le pardonnerai jamais pour avoir fait ça... Me briser au pire moment de ma vie. Il est méconnaissable, les cheveux en pagaille, les yeux rougies, les bras griffés, comme s'il venait de sortir d'une tempête.
— Je ne serais jamais heureuse ? continué-je. Je ne pourrais jamais connaître le bonheur ?
— Lyane... Ne dis pas ça, je... Je te promets que ce n'était pas mon but, je veux vraiment que tu sois heureuse. Je t'aime vraiment... Je comprends que tu puisses me détester, pardon, pardonne-moi pour tout. Laisse-moi juste te raccompagner. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose.
— Non ! Je ne veux pas passer un quart d'heure dans un voiture avec toi, je vais me débrouiller. Je... Raphaël vient me chercher, d'ailleurs...
Je marque une pause, réalisant que Nicolas est le meilleur ami de Raphaël. Je repousse Nicolas qui était accroupi devant moi et lui demande furieusement :
— Il est au courant ?!
— Non, je... Non. Je m'en occuperai.
— Je vais le faire, ne t'inquiète pas pour ça.
Je lui lance un regard froid, et me relève fièrement, les jambes tremblantes, mais en relevant le nez. Je marche quelques pas, sortant mon téléphone pour appeler Raphaël. Lorsque je me retourne, Nicolas est prêt à rentrer chez lui, le visage baissé, le dos courbé. Ça me fait de la peine de le voir ainsi, mais faire ceci est, pour moi, impardonnable. J'appuie sur appeler, Raphaël pourra me ramener chez moi, et on pourra discuter de Nicolas.
— Oui ? Qu'est-ce qu'il y a ? résonne sa voix dans le téléphone.
— Faut que je te parle en urgence d'un truc avec Nicolas, et s'il te plaît rejoins-moi, je suis devant chez lui.
— Attends, quoi ? Calme-toi, tu pleures ?
— On s'en fout de ça, viens me chercher, s'il te plaît.
— J'arrive, attend-moi.
En attendant qu'il arrive, je m'assois contre un muret, et ferme les yeux. Toute ma vie a été bercée d'illusions, je ne sais même plus différencier le vrai du faux. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas juste plonger dans un rêve et ne jamais revenir. Même mes rêves sont hantés par la douleur et se transforment en cauchemar...
Au bout d'une dizaine de minutes, Raphaël est là, adossé à la portière de sa voiture grise, dans la lourdeur de cette journée d'été, ses cheveux blonds ébouriffés, les bras croisés, il m'attend, il attend que je me lève, que je dise un mot.
Alors j'obtempère, me remet debout, en m'appuyant sur le muret, les jambes lourdes. Je déclare simplement :
- Ce n'est pas ton meilleur ami.
Sans rien dire, il s'approche de moi et m'aide à m'assoir à l'avant. Un mal de crâne me fend toujours la tête, les yeux embués, j'ouvre la bouche mais ne sors pas un son.
- Tu veux que je te ramène chez toi ? me demande-t-il poliment.
Je lève les yeux vers lui, je me sens petite, ridicule. Lui qui est si fort, calme, il sait toujours comment gérer chaque situation... Je me contente d'hocher la tête en reniflant.
- Raconte-moi tout ce qui s'est passé.
- Il est de mèche avec Amibal.
- Quoi ? s'exclame-t-il en freinant brusquement.
- On est sur la route, là, ne fais pas n'importe quoi !
- Mais tu rigoles, hein ?
Je secoue la tête, non, pourquoi rigolerais-je sur ça ? Il appuie à nouveau sur la pédale et le véhicule avance lentement.
- Il devait protéger Amibal, faire en sorte que nous ne le dénoncions pas.
- Mais... C'est mon meilleur ami depuis toujours, je ne comprends pas.
- Je le déteste. Et je te déteste aussi d'un côté, de me l'avoir présenté.
- Je suis sincèrement désolé...
Je baisse les yeux sur mes mains, mes ongles rongés. Je me demande de quoi j'ai l'air, d'une ordure sûrement, de quelqu'un qu'on vient d'abandonner, de quelqu'un à qui on a brisé tous les os.
- Tu ne t'énerves pas ? demandé-je timidement. Je veux dire... Ton meilleur ami t'a trahi...
- Je vais avoir une longue discussion avec lui, et je ne laisserai plus jamais entrer dans ma vie, je n'ai pas besoin de m'énerver pour ça, ça ne servirait à rien.
- Waw, tu me donnes vraiment l'impression de surréagir, c'est flippant.
- Non, je comprends parfaitement comment tu peux te sentir...
Il pose sa main droite sur la mienne, et me lance un regard plein d'espoir, un regard qui veut dire : « On s'en sortira, seul ou ensemble, et ça marchera, on sera heureux. » Alors j'esquisse un triste sourire, sur mon visage brillant de larmes séchées.
- J'ai peur, tu sais, à qui puis-je faire confiance, maintenant ? Si tout le monde disparaît, ou si tout le monde me trahit ?
- Ce n'est pas parce qu'une personne fait quelque chose de mal que tout le monde le fera. Et Eléonore n'a pas disparu, elle sera toujours là, dans ton cœur. Et puis, Lucie et moi on est là, et on ne risque pas de partir.
- Merci beaucoup...
Raphaël, toujours à l'écoute, compréhensif et prêt à aider. Si seulement tout le monde était comme lui...
- Ah, et... reprend-t-il. Eléonore voulait qu'on soit heureux, alors, raison de plus pour se battre. Regarde tout ce qu'on est en train de subir, on peut être fier de nous d'être encore là. Regarde le passé avec émerveillement, mais pas avec envie. Le futur tu ne peux pas le voir, mais une chose est sûre, il sera plus beau qu'aujourd'hui.
Mes yeux sont posés sur lui, au volant d'une petite voiture, le regard fixé sur la route. En train de prononcer des phrases magnifiques sans même s'en rendre compte. Alors je me tourne vers la route, un sourire aux lèvres, et déclare simplement :
- Tu devrais être écrivain, et donner envie à tes lecteurs de vivre.
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