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J'étais l'ombre perdue d'une lumière disparue, maintenant la lumière s'est éteinte, et me voilà sans repère.

Voilà, je suis entourée, trois personnes, deux qui essayent de nous faire aller bien, et un plongé dans le mutisme. C'est si compliqué à gérer, tout ça, c'est du n'importe quoi. J'ai l'impression que tout s'assombrit, que le soleil n'est plus capable d'éclairer assez de monde. Je préfère oublier, penser à autre chose, alors même si on est sur un lieu important pour Eléonore et moi, ça me fait du bien que nous soyons tous réunis.

Un feu de camp crépite devant nous, et deux tentes sont montées, elles appartiennent aux parents de Nicolas. Ce feu de camp... Nos journées camping avec Eléonore, à se raconter des blagues et des histoires qui font peur éclairée par les flammes...

Même s'il ne parle pas, au moins Raphaël est venu. Chacun assis sur un rondin, nous restons silencieux en regardant le feu. C'est la fin d'après-midi, et il fait beau, coup de chance. Le feu est de trop, pourquoi rajouter encore de la lumière ? A quoi est-ce que ça sert ? A rien. Lucie prend la parole en première :

— Vous voulez manger des chamallows y'en a pleins.

Nous acquiesçons, et elle sort le paquet d'un sac à dos, elle nous en donne et commence à faire griller le sien.

— On chante ? propose Nicolas.

Lucie, pleine d'enthousiasme, obtempère, vite rejointe par Nicolas. Gênée, je lance un regard amusé à Raphaël, qui me fait signe de s'éloigner.

Alors je me lève difficilement, les jambes toujours tremblantes, mes mains triturant le bas de mon short de pyjama. Raphaël marche devant moi, je ne sais pas où il veut aller, mais je le suis. Je jette un coup d'œil derrière, Lucie opine du chef : peut-être qu'en restant avec Raphaël, il voudra bien me parler. J'accélère ma marche pour me retrouver à ses côtés. Il ne dit rien, le regard empli de larmes fixé vers la forêt à quelques pas.

— On va là-bas ? demandé-je, confuse. Pourquoi ?

Il se contente d'acquiescer et de serrer le poing. Je soupire en regardant le ciel, que faisons-nous ? A quoi est-ce que ça sert de rester là si nous n'avons plus rien à vivre ?

Lorsque nous entrons dans la petite forêt, Raphaël s'adosse à un arbre et se laisse glisser pour s'assoir contre le tronc.

— C'est la fin, Lyane, déclare-t-il sèchement, d'une voix cassée, brisée par la douleur.

Assise à côté de lui, je peux entendre sa respiration saccadée, les battements irréguliers de son cœur brisé.

— Je ne suis plus rien sans elle, plus rien.

Je lève les yeux vers son visage accablé, que dire ? Qu'est-ce qu'on est censé faire à quelqu'un qui souffre autant ? Comment tout gérer quand nous aussi on est brisé ?

— Mon père qui part, mon frère qui s'enfuit vivre loin, Eléonore, puis quoi encore ? Tout ce que j'aime disparaît. Je n'ai plus envie de faire des efforts, plus envie d'être heureux. J'ai l'impression que sans elle plus rien n'est beau.

— Je ressens la même chose, dis-je en posant ma main sur la sienne. C'était un soleil, et maintenant tout s'éteint.

— Tu crois que c'est possible de trouver quelqu'un comme elle, de passer à autre chose ?

— Elle est irremplaçable, mais sûrement que quelqu'un saura te rendre heureux comme elle le faisait... Mais jamais je pourrais trouver une sœur comme elle.

— Je suis toujours choqué, je rêve d'elle cent fois par nuit, j'ai l'impression que c'est irréel, qu'elle est toujours là, et quand je reviens à la réalité, ça me tue.

— Moi aussi... Mais d'un côté, j'ai envie d'oublier, faire comme si elle était là et que tout allait bien. Réapprendre à être heureuse, et la suite on verra.

Il ne répond pas, et le poids du silence, comme le poids de notre peine, est bien trop lourd à porter. Lentement, je me lève, les yeux embués, le cœur pesant, les jambes en coton. Sur le visage de Raphaël perlent des larmes, il a abandonné, donné toutes ses forces. Plus rien ne l'aide à tenir debout, plus rien ne le motive à vivre encore. Et pourtant, pourtant, j'ai envie qu'il reste, j'ai envie qu'il se batte, pour qu'on puisse enfin être heureux tous ensemble. Les yeux baissés, il attrape ma main tendue pour l'aider à se relever. Debout, tous les deux, j'ai envie de hurler si fort jusqu'à ce qu'Eléonore entende, crier que nous nous battrons, que nous réussirons à supporter sa mort. Même si nous devons faire couler toutes les larmes de notre corps, même si nous devons perdre tout ce que nous avons, la mort ne nous atteindra pas.

Raphaël lâche ma main, prend une inspiration, forte mais tremblante. Ça risque d'être compliqué pour nous deux, mais je n'ai pas envie de le perdre. Pas envie d'abandonner.

Lucie et Nicolas nous offrent un grand sourire lorsque nous revenons. Je m'assois auprès de Nicolas et laisse ma tête reposer sur son épaule.

- Bon, déclare-t-il sérieusement. J'ai une histoire d'horreur à vous raconter, vous êtes prêts ?

Même si nous paraissons tous très hésitants, il commence le récit, et nous nous racontons des histoires jusqu'à ce que le sommeil prenne sur nous. 

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