20

Seule, chez moi, seule, avec mes pensées. Je suis l'ombre perdue d'une lumière disparue. Le regard vide, comme hypnotisée, je m'apprête à retourner dans la chambre d'Eléonore. Pour la seconde fois depuis sa disparition. Mais c'est différent, la première fois je cherchais des indices. Maintenant... je sais vaguement où et comment je peux la retrouver, si j'y vais, c'est sans but précis. C'est alors que l'espoir brille dans mes yeux. Grâce à l'idée de Lucie, grâce à mes amis, grâce à tout, je vais la retrouver. Je pourrais enfin la serrer dans mes bras, la couvrir de baisers, même si elle déteste ça. Je pourrais retrouver le brun orangé de ses yeux si spécial, comme s'il était un mélange de milles couleurs. Retrouver le blond doré de ses cheveux. Les traits fins de son visage. Sa peau légèrement bronzée. Et surtout, retrouver l'amour qu'elle porte pour moi, même si elle le montre peu.

Le cœur battant, un mélange de désir et de peur coule mes veines. J'appuie sur la poignée et, lentement, j'ouvre la porte, entrant dans sa chambre. Ma main suit mes pas, parcourt les murs blancs, les posters et photos de New York, effleure ses rêves, frôle ses désirs. Mes yeux passent d'ambition en ambition, découvrent les inspirations de ma sœur. Et si cet homme voulait l'aider à réaliser tout ça ? Comment elle aurait pu faire confiance à une telle personne ? Amibal... Rien que de penser à lui me donne des frissons. Mes pieds rencontrent le tapis soyeux, là où Eléonore et moi avions passé tant de temps, assises ou couchées par terre, à contempler l'avenir qui se dessinait au-dessus de nous. A énumérer les possibilités d'obtenir la vie dont nous rêvions. Était-t-elle heureuse ici ? Comment pouvais-je savoir ? Au fond, nous avions beau être proches et beaucoup parler, je ne connaissais jamais ses réelles émotions.

Ma main effleure maintenant le poussiéreux bureau, une pointe de mélancolie dans les yeux.

C'est fou cette vision idéalisée que j'ai de ma grande sœur, celle d'une fille parfaite. Il serait grand temps que je prenne mon envol, moi aussi. Que j'arrête de me cacher dans l'ombre d'Eléonore, que je grandisse enfin. Peut-être que moi aussi je pourrais exister, avoir une place sur Terre, dans ce monde, avoir une raison d'être ici. J'ai si été habituée à ce que ce soit elle en première place, que la voir disparaître ainsi me fait perdre tous mes repères.

Je l'ai toujours, ma boussole, mais elle perd la tête.

Quelques citations sont accrochées au mur, des citations motivantes, sur le bonheur, ou sur la vie. Une d'entre elle capte mon attention.

« Un souvenir est comme un cadeau trouvé au fond de l'eau. »

Eléonore avait prononcé cette phrase une journée. Un matin, nous nous étions réveillées sur son tapis gris, la veille, nos parents s'étaient encore disputés. Ma sœur m'avait murmuré :

- J'ai rêvé qu'on s'en allait, qu'on allait à la mer, qu'on était libres. On avait couru dans l'eau, en riant, en nous éclaboussant. Papa et maman n'étaient pas là. Ly, je te promets qu'un jour on ira toutes les deux là-bas. On oubliera tout, Lyane, tout. Pour partir comme des voleuses.

- Tu veux tout abandonner ? Même Raphaël ?

- Tout. Je veux vider mon esprit.

Ça s'était passé l'été dernier, à ses seize ans, et mes quatorze.

- Je ne sais pas, chuchoté-je. Je ne veux pas abandonner Lucie, ma seule amie...

Son sourire se voilât d'une moue triste.

- Je suis sûre que ce n'est pas ta seule amie.

- Si, tu sais, j'ai du mal à m'en faire.

- Mouais... T'inquiète, au lycée tu t'en feras pleins, tu rencontreras pleins de nouvelles personnes. Bref, lève-toi, va t'habiller. Prends un sac avec une serviette et un maillot de bain, on s'en va d'ici. Ne réveille pas les parents.

Stupéfaite, je fis des gros yeux, et d'une voix tremblante, je me suis exclamée :

- Eléonore, tu... T'es folle, on ne va pas faire ça.

- Fais-moi confiance, de toute façon on ne pourra pas aller très loin, releva-t-elle, alors qu'un sourire s'étira sur son visage.

J'obtempérai, toujours surprise de sa proposition.

Lorsque je fus prête, j'ai rejoint ma sœur devant la maison, elle était appuyée sur sa moto, un grand sourire aux lèvres. J'eus un mouvement de recul, les sourcils froncés :

- Non, tu peux toujours rêver, je ne monte pas sur ça.

- Eh, Ly, si tu veux vivre la meilleure journée de ta vie, il va falloir le faire.

Elle se releva, les mains sur les hanches, d'un ai déterminé. Elle portait une combi-short bleue et blanche. Un rictus pris place sur mon visage, puis j'opina.

- Je te fais confiance, alors. Mais t'as pas intérêt à me tuer.

- Personne ne tuera personne, crois-moi.

Lorsque nous arrivâmes, je vis que nous étions devant la piscine municipale, le trajet a duré moins longtemps que je l'avais pensé. Prise d'un élan de spontanéité, je me jetai au cou de ma sœur, c'était rare que nous allions à la piscine, malheureusement.

- Un souvenir est comme un cadeau trouvé au fond de l'eau, Ly. J'espère que tu te souviendras longtemps de cette journée, parce qu'on va passer la matinée ici, et l'après-midi on fera ce que tu veux.

- T'es vraiment la meilleure des sœurs.

- Ouais, je sais, merci, se vanta-t-elle en riant.

Finalement, nous avions passé presque trois heures à la piscine, pour ensuite acheter des sandwiches et pique-niquer dans un parc. L'après-midi, nous avions décidé de rentrer, nos parents étaient inquiets, malgré les messages qu'Eléonore avait envoyés pour les prévenir.

De retour à la réalité, je souris toujours. Je sais que nous la retrouverons, et qu'Eléonore et moi continuerons de vivre des beaux moments comme ça. Je sais que tout s'améliorera, j'en suis persuadée. J'ai peut-être un instinct de sœur, ou je ne sais pas, en tout cas, je préfère penser que tout ira pour le mieux. 

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