19

Quoi de mieux qu'un samedi après-midi orageux pour aller voir sa meilleure amie danser ? Il fait lourd, et le tonnerre se fait entendre après quelques éclairs, ce temps m'effraie comme il m'inspire.

Je m'installe confortablement sur un des sièges de devant. Quelqu'un passe son visage entre les deux rideaux rouges, sur scène, pour apercevoir le public ; nous sommes peu nombreux pour l'instant. Lucie nous a demandé de venir plus tôt pour l'accompagner aux coulisses, mais nous avons été refusés à l'entrée. Résultat, nous restons assis bêtement, avec une demie heure d'avance. Nicolas, ayant insisté pour venir, partage sa place avec Raphaël pour que nous puissions parler tranquillement avant que la représentation de danse commence. J'ai d'ailleurs très hâte de voir ce que Lucie nous prépare, étant donné qu'elle m'en avait beaucoup parlé. La danse est vraiment sa passion, un univers dans lequel elle s'épanouit, et où elle se sent libre et légère.

— A quoi penses-tu, Lyane ? demande Nicolas.

Je sors de ma transe pour plonger mon regard dans les prunelles marronées du garçon, me retenant de bailler. Il hausse les sourcils, amusé, pendant que je rétorque simplement :

— Quoi ?

— Rien, laisse tomber, t'as l'air fatiguée, toi.

— Oui, désolée, j'ai un peu du mal à dormir en ce moment, avec tout ce qui arrive... avoué-je, souriant tristement.

— Moi aussi, intervient Raphaël, en se penchant pour me voir. Je dors mal et peu, mon cerveau travaille beaucoup trop.

J'opine, une moue triste se définit sur mon visage, je comprends parfaitement ce qu'il peut ressentir. Se tourner et se retourner dans son lit parce que les pensées s'emmêlent, imaginer dix millions de scénarios de comment tout aurait pu se passer... Si elle était encore là, si nous l'avions retrouvée plus tôt... Nicolas secoue la tête, faisant danser ses boucles brunes, et s'exclame :

— Bon, quand est-ce que ça commence ? J'ai très hâte de la voir, moi, ton amie, ça sera la première fois que je l'apercevrai.

— Très hâte, ou très hâte ? quémandé-je en riant devant son air révolté.

— Très hâte, tu sais très bien que c'est toi que je préfère, Lyane, baratine-t-il pendant que je lève les yeux au ciel.

— Désolée Juliette, mais ton Roméo a posé une question et j'aimerais y répondre, pouffe Raphaël en essayant de garder un air snob. Très cher Roméo, je suis au regret de vous annoncer qu'il reste environ vingt minutes d'attente avant la représentation.

— Ces vingt minutes me paraitront bien longues, très cher. Heureusement pour moi, il y a la jolie Juliette avec qui discuter, elle est très aimable, j'en suis sûr.

— Oh ça, Roméo, ça dépend du temps de dehors. Voyez, il fait orage. Cette demoiselle a l'air de bien mauvaise humeur.

— Oh, mon cupidon, glissé-je en regardant fixement Raphaël. Je viens de remarquer que je suis assise aux côtés de deux imbéciles. Je ferais mieux de prendre mes distances avant de devenir folle.

Nicolas rit et prends mes mains dans les siennes, avant d'affirmer :

— Il est déjà trop tard, très chère.

Nous rions encore une bonne quinzaine de minutes, jusqu'à souffrir des zygomatiques. A l'entende de la musique, nous reconcentrons notre énergie sur la scène, en nous installant sur les sièges, Nicolas ayant retrouvé un pour lui seul. Autour, la pièce s'est remplie petit à petit, amenant de plus en plus de bruit dérangeant, venant faire bourdonner mes oreilles. Les lumières du plafond s'éteignent pour que d'autres éclairages se réunissent sur la scène, et le rideau rouge s'ouvre lentement. Les danseurs entrent et suivent la douce mélodie jouée au piano. Mes yeux s'emplissent d'étoiles, la beauté des tenues, dignes de celles du Lac des cygnes. Leur grâce, leur douceur, j'ai l'impression de les voir flotter dans les airs quand ils sautent. Je remarque Lucie, ayant troqué ses lunettes pour des lentilles, elle est magnifique. Elle danse dans la légèreté et la souplesse, délicate et merveilleuse. L'harmonie des danseurs accordée à la musique me fait frissonner, les six ans de danse de Lucie ont payé. J'avais beau venir à chaque spectacle, je pense bien que celui-ci est le plus beau.

Après le spectacle, nous nous levons, Nicolas s'étire, pendant que Raphaël s'exclame :

— C'était super beau, j'ai adoré ! J'ai envie de sauter partout et de faire des câlins à tout le monde parce que ça m'a trop ému !

Il rit, pendant que je remets ma veste en jean sur mes épaules. Il vient et m'enlace fortement. Je fronce les sourcils en riant, devant cet enthousiasme débordant.

Nous nous tournons ensuite vers Nicolas, le regard vague. Je remarque que même s'il essaie toujours de se donner l'air éveillé et motivé, il a des cernes. Le voir silencieux, presque triste, comme ça, me donne un étrange sentiment. Ce n'est pas lui, comme s'il portait un masque, qui est finalement tombé. Il déglutit, revêt son plus beau sourire, et relève le visage vers nous :

— Bon, moi, j'ai trouvé ça cool, mais pas trop mon style, quoi.

— Tu sais, confie Raphaël. Jamais je n'aurai cru aimer de la danse... Classique. Et pourtant, j'ai adoré. Comme quoi la vie est pleine de surprises.

— Ah ça, oui, elle l'est, murmure-t-il.

Les gens autour commencent à partir, Nicolas noie ses yeux mi-brun mi-verts dans les miens, l'air sérieux. Ça m'effrayerait presque de le voir ainsi, il parait lointain, préoccupé.

Lorsque nous nous dirigeons vers les coulisses, je lui glisse un « ça va ? », auquel il répond :

— Oui... Oui, ça va. Juste la musique qui m'a rappelé des souvenirs. Mais je me sens bien, rassure-toi.

Il s'éloigne rapidement pour rejoindre Raphaël, en portant une main à son front. Je fronce les sourcils, incompréhensive, les deux garçons me regardent, le visage de Raphaël se ferme. Que leur arrive-t-il, pourquoi sont-ils ainsi ? Je ne comprends décidément rien aux garçons. Dans une dernière grimace, et un haussement de sourcils, je leur tourne le dos pour faire face à Lucie, qui sortait justement des coulisses. Elle s'est rhabillée et démaquillée.

— Lucie ! m'écrié-je en l'enlaçant tendrement. C'était magnifique, tu étais merveilleuse ! Bravo !

— Merci, dit-elle avec une révérence. Mais ça va ? T'as l'air bizarre.

— Non, moi je ne suis pas bizarre, c'est lui.

Je pointe du doigt les garçons, mon amie a un rapide froncement de sourcils en les voyant discuter normalement.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, ils sont normaux. T'as de la fièvre ?

Je lâche un long soupir, puis croise les bras sur ma poitrine presque inexistante, je ferais mieux d'abandonner, je dois juste être folle. Lucie me sourit, puis rejoint Nicolas pour se présenter. Raphaël me rejoint, le visage froid, il déclare monotonement :

— Je crois que tu lui fais de l'effet au p'tit, là.

— Quoi ? m'écrié-je, un peu trop fort. N'importe quoi.

Il hausse les épaules, les mains dans les poches de son jean bleu clair.

— Tu l'as changé, mon meilleur ami.

— En même pas une semaine ? Tu rigoles, mon pauvre.

— Je te promets, il a l'air bien plus préoccupé que d'habitude, il doit toujours penser à toi. Puis là, il a tous les signes d'un homme amoureux.

— Mais arrête de dire ça ! m'exclamé-je en lui donnant une tape sur l'épaule. C'est du délire. Mais... S'il avait changé, tu m'en voudrais ?

— Non, je ne t'en voudrais pas, jamais. Parce que si tu fais changer les gens, ça ne peut être qu'en bien.

Je souris, c'est vraiment gentil ce qu'il dit, il est très attentionné comme garçon, sûrement parce qu'il me voit comme sa petite sœur. Je sais que je peux lui faire confiance, et je suis bien heureuse d'avoir mes amis à mes côtés. Peu nombreux soient-ils, mieux vaut deux amis fidèles que vingt vagues connaissances. 

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