17
Fourchettes et couteaux tintent dans les assiettes en porcelaine de ma tante. Celle-ci et mon oncle nous ont invités, moi et mes parents, à dîner chez eux. J'observe la décoration scandinave grise et jaune, d'où une odeur de renfermé émane. Prise d'un haut-le-cœur, je suis moi-même dégoûtée de la conversation à venir, et la boule qui naît dans ma gorge me coupe l'appétit. Mon oncle arrive, un plat de gratin de pommes de terre dans les mains. Ses lèvres bougent sous sa moustache naissante mais le bourdonnement dans mes oreilles m'empêche de l'entendre.
— Lyane ! Retire tout de suite tes coudes de la table ! clame ma tante, que nous appelions « Tata j'aime pas » avec Eléonore. Nous sommes entre adultes, et nous avons une discussion d'une grande importance.
Je retire mes mains et lisse ma robe, que j'ai mise pour « l'occasion ». Son air faussement hautain et royal m'agace, elle est si différente de mes parents. Ceux-ci, d'ailleurs, n'avaient pas mangé sur une table depuis bien longtemps, ils sont affalés sur leur chaise. Cela m'étonne que ma tante ne dise rien, évidemment, c'est toujours moi qui prends.
Mon oncle prend mon assiette est y dépose une grande quantité de pommes de terre, je le remercie d'un sourire, puis grimace. Après avoir servi tout le monde, il se rassoit et croise ses doigts.
— Bon. Vous ne savez toujours pas où est Eléonore, notre fille préférée ? demande-t-il.
— Non, répond ma mère. La police s'occupe de tout, on est très tristes. C'est si accablant... Pas vrai, Lyane ?
— Oui, vraiment.
C'est fou comme j'aurai aimé dire : « Ça se voit que vous êtes tristes, vous mettez tout votre cœur à l'ouvrage pour essayer la retrouver, oui. ». Or, je continue, en regardant mon oncle et ma tante dans les yeux :
— Non, la police ne fait rien du tout. Ils ont sûrement abandonné, ce n'est pas la première fois.
Mes doigts serrent si fort la fourchette que leurs jointures deviennent blanches. Une rage bouillonne en moi, est-ce parce que mes parents se disent tristes alors qu'ils ne font rien ? Parce que la police a arrêté de chercher ? Parce que tous ces gens à cette table ne sont que des hypocrites ?
Je n'ai qu'une envie, de me lever et de partir, de toute manière, je n'ai aucune intention de manger alors que tout ici me dégoûte. Mon oncle prend la parole :
— Ne dis pas ça, c'est long de trouver une réponse à tout ça. Bref, parlons d'autre chose.
« Eléonore, notre fille préférée », ben voyons. Je lève les yeux au ciel, comment peuvent-t-ils prétendre l'aimer alors qu'ils passent aussi vite sur le sujet. Vivement que ce repas soit terminé, je ne le supporte déjà plus.
Pendant une demi-heure, ils parlent sans que je les écoute, perdue dans mes pensées, à m'énerver toute seule, ou occupée à faire cliqueter mes couverts dans mon assiette, une expression de dégoût sur le visage. Les regards se tournent finalement vers moi :
— Sinon Lyane, tu as un copain ?
— Non ! m'exclamé-je, les joues rougies, cette question est décidemment la pire à poser en repas de famille. Je n'ai pas que ça à penser !
— Une copine alors ? demande mon oncle, un sourire aux lèvres.
— Une copine ?! s'écrie mon père. Ni pense même pas ! Si tu ramènes une fille, tu t'en vas de la maison, en fait ! Quelle idée !
— Quoi ?! Mais putain qu'est-ce que cette fermeture d'esprit ?! m'égosillé-je, prise de fureur, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Je me lève, faisant grincer la vieille chaise, les poings fermés et serrés sur la table. Mes yeux projetant des éclairs, je décide de quitter cette salle le plus rapidement possible, avant de casser quelque chose. Je leur tourne donc le dos et passe la porte sous leurs regards déconcertés, ils ne s'attendaient sûrement pas une telle réaction de ma part, moi qui ai toujours été si calme. Je me surprends même. L'absence de ma sœur me change, j'ai l'impression de prendre de sa personnalité, comme pour la remplacer, ou me persuader qu'elle est encore là. Je deviens folle, c'est incroyable comme elle me manque.
Dehors, la pluie anime le paysage, déjà pas très beau de base, je m'assois à l'abri, contemplant les nuages aussi sombres que ma colère. Je déteste ma famille, ils ferment les yeux sur tout, ils jugent tout le monde, alors qu'ils ne sont que des bons à rien. Je me mords la lèvre pour essayer de me contenir.
Je décide d'appeler Lucie, sûrement qu'elle saura me calmer, et me réconforter. Elle décroche rapidement :
— Lyane ? T'es dehors ? J'entends le vent, c'est normal ?
— Oui, Lucie, je suis dehors. répondis-je d'une voix froide, en frissonnant.
— Ça ne va pas ? Raconte-moi...
Je me retourne, jetant un regard à la fenêtre, la lumière est allumée et tout est animé, moi seule est éteinte. Je confie cette douloureuse soirée à mon amie, elle répond :
— Ce n'est pas grave... Calme toi. Pense à ta journée avec Nicolas !
Je peux entendre son sourire dans sa voix, cette remarque éveille encore plus ma colère, et je m'écrie :
— Ma journée avec Nicolas ?! T'es sérieuse ? J'ai été conne, à me laisser être heureuse alors que ma sœur a besoin d'aide. Tu ne te rends pas compte, je crois, je suis égoïste, à penser qu'à mon bonheur. Puis je le déteste, je déteste tout le monde ! J'en ai marre de tout, Lucie...
Elle essaie de parler à l'autre bout, mais mes hurlements cachent sa voix. Cette colère se transforme rapidement en énorme peine, et les larmes remplacent les cris.
— Putain Lucie, je suis si seule... Assise par terre avec la pluie devant moi... Eléonore qui m'abandonne, j'ai plus personne... J'ai... Il faut absolument qu'on la retrouve parce que ce vide me brise tellement.
— Lyane, je suis là. Dis-moi tout, pleure même pendant des heures, je suis prête à t'écouter.
— Je suis désolée de m'être emportée... Je ne supporte plus rien, vraiment. Chaque seconde sans ma sœur est si dure, j'ai l'impression qu'on m'arrache le cœur. On avait... Si peu de choses en commun, et pourtant on s'aimait. On était comme des meilleures amies, on se disait tout... Et j'arrive toujours pas à croire qu'elle est partie, sans laisser de trace. Je hais ma famille, qui s'en fout, comme si ce n'était qu'un vieux truc qu'on pouvait jeter sans problème. Ils ne se rendent compte de rien.
— Pourtant, hier, avec Nicolas, tu allais bien ? demande Lucie d'une voix douce.
— Oui, mais je me déteste d'être allée bien. J'avais presque oublié qu'elle avait disparu.
— T'as pas à t'en vouloir, t'as le droit de te sentir joyeuse. T'en as besoin, même si ta sœur n'est pas là, elle veut que tu sois heureuse. Tout comme tu le souhaites pour elle. C'est normal, vous êtes sœurs. Et tu n'es pas seule, Lyane. Nous sommes là, Raphaël, et moi. Nicolas, aussi. On est là pour t'aider à la retrouver, mais aussi pour t'aider à aller mieux. Parce qu'on est tes amis, et on t'aime.
J'anéanti d'un coup de bras la mer qui coulait sous mes joues. Lucie a raison, j'ai le droit d'être bien, de me sentir sereine, d'aimer. Et même si le doute plane encore autour de moi, je rentre dans la maison, et sans jeter un regard aux autres, je monte dans la chambre et me laisse envahir par les rêves.
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Salut !
Que pensez-vous de cette partie ?
De la famille de Lyane ?
De sa réaction ?
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