16
Une brise balaye mes fins cheveux châtains et fait frissonner les grands arbres, une odeur d'herbe mouillée envahit mes narines. Les yeux clos, je profite du soleil tapant sur ma peau. Je me sens légère, libre, comme un oiseau qu'on venait de libérer, en cette fin de journée.
— Bon alors, ready pour descendre cette rivière ?
— Je suis prête.
J'offre un sourire à Nicolas, on lui a fait porter un gilet de sauvetage jaune, le même que moi, au cas où il nous arriverait quelque chose. Nous nous tournons vers son oncle, qui nous accompagne avant d'aller dans le canoë. Il m'aide à monter dedans, je vacille un peu à cause de l'eau, mais ne tombe pas.
Les yeux bruns, tachetés de vert, de Nicolas se tournent vers moi :
— C'est la première fois que tu en fais ?
— Ça a l'air d'être la première fois ? le toisé-je, les mains sur les hanches.
— Franchement, oui. Tu devrais t'assoir pour ne pas tomber.
L'oncle de mon ami rit, pendant que je prends place dans le canoë, en grimaçant. Nicolas me rejoint et se place sur la rangée de devant. Des pagaies nous sont tendues, que j'attrape maladroitement.
— C'est très facile à contrôler, tu verras, commente l'oncle de Nicolas. Mon neveu t'expliquera. Evitez de trop vous pencher, c'est logique. Evitez les courants rapides, prenez toujours les voies de droite, c'est plus simple. Compris ?
— Oui, tonton. Je le sais, compte sur nous pour faire attention.
— Ne mourrez pas.
Je ris silencieusement devant le visage joueur et malin de notre professeur, il est plutôt grand, et mat de peau, comme Nicolas. Il pousse le canoë, nous faisant glisser sur la rivière bleu foncé. Ma main effleure cette eau glacée, et mon visage s'illumine d'un sourire radieux. Cette sensation de flotter est si agréable que j'en oublie que je ne suis pas seule :
— Tes pagaies, bougonne Nicolas en se retournant vers moi, les cheveux au vent.
— Quoi ?
— Je ne vais pas être seul à pagayer ?
— Oui pardon, je...
— T'inquiète. De toute façon on n'en a pas besoin longtemps, juste pour bien se placer au début. Tiens-les comme ça, voilà. Si tu pagaies à droite on va à gauche, et l'inverse.
Il me montre comment faire, et j'exécute ses gestes sans rien dire. Une fois que nous sommes au milieu de la rivière, et qu'aucun obstacle n'est devant, mon ami se retourne pour me faire face, en faisant tanguer le bateau. Je me raccroche aux côtés du canoë, pendant qu'agilement, il pose ses coudes sur ses genoux, fixant mes yeux. Une lueur de malice dans son regard.
- Pour une fois que quelqu'un à l'air plus maladroit que moi ! s'exclame-t-il.
- Non, c'est toi qui ne fais pas attention en te retournant, répliqué-je en arquant un sourcil, les commissures des lèvres remontées.
- L'attraction était trop importante pour prendre mon temps.
Je fronce les sourcils d'incompréhension. Je l'observe regarder l'eau, et y passer sa main, ses cheveux bouclés mouvent grâce au vent. Quelques oiseaux chantonnent, je me sens seule au monde, mais ça fait tellement du bien.
- C'est beau, hein ? murmure-t-il, sans que je ne réponde. Ce calme... Tu sais, je viens ici quand je me sens mal. Ça me fait oublier tous mes soucis. Je me pose, seul au monde, avec mes pensées... Je n'ai pas envie de parler de sujet sérieux, mais c'est pour ça que tu es venue. Alors...
- Je suis désolée, je... bafouillé-je, embarrassée d'interrompre son bien-être avec ma vie catastrophique. On... Tu sais, nous ne sommes pas obligés de parler de ça.
- Il faut bien, Lyane. C'est pour ça que tu as accepté de me voir !
Son visage se voile, je me sens de trop, j'ai une subite envie de disparaître. Soudain, je sens le canoë rapper des cailloux par terre, je regarder par-dessus l'épaule de Nicolas, et m'exclame :
- Nicolas, retourne-toi ! On va se prendre un rochet !
Celui-ci se retourne en vitesse et attrape les pagaies pour changer de direction. Nous l'avons échappé belle, je pousse un soupir de soulagement, il lance :
- Putain. Y'a que sur les canoës que je ne suis pas maladroit, j'te rassure.
Nous éclatons de rire, et il se place à côté de moi, pour pouvoir regarder en face, au cas où. En se déplaçant, il fait encore tanguer le bateau, et j'essaie tant bien que mal de remettre l'équilibre.
- On galère trop, là ! rit-t-il en me regardant dans les yeux.
- Mais tellement, ce n'est pas possible !
- Bon, revenons à nos moutons.
- Qui dit encore ça ? demandé-je, ironiquement, un grand sourire collé aux lèvres.
- Ben, les fermiers, ça parait évident.
Il hausse les épaules en souriant, je lève les yeux au ciel puis braque tristement mon regard vers la forêt. Il a raison, je n'ai pas envie, moi non plus, de parler de disparition. Pour une fois que ma sœur sortait de mon esprit, pour une fois que j'avais l'impression d'être vraiment moi-même. J'inspire une grande bouffée d'air, cette fin de soirée risque d'être compliquée.
- Je ne suis pas le genre de gars qui se confie facilement. Mais on peut se faire confiance, je vais tout te dire... Ma mère avait disparu...
- Mon dieu, c'est horrible !
- Evite de m'interrompre, Lyane, s'il te plaît.
Je baisse mon regard, il n'a plus cet air prétentieux qu'il avait l'autre jour, il semble si différent...
- Pareil de mon côté, la police avait abandonné. Comme si c'était finalement impossible de la retrouver, donc j'avais mené ma propre enquête. J'étais seul, ça a pris beaucoup plus de temps que si j'avais été aidé. C'est pour ça que je veux prêter main forte. Je comprends parfaitement ce que tu peux ressentir, cet énorme vide en toi... Fais-moi confiance, Lyane.
Je réponds, comme un automate, hypnotisée :
- Je te fais confiance... Qu'était-il arrivé à ta mère ?
Son regard s'assombrit, il se tort les mains. Je n'aurais pas dû lui demander des détails, ça doit être dur pour lui d'en parler... Il semble hésiter, puis réfléchir :
- Elle... a été kidnappée par une ennemie d'enfance. Celle-ci, jalouse, voulait mon père. Elle détestait ma mère, et a décidé de lui faire payer pour s'être mariée à l'homme qu'elle aimait. Ridicule, non ? Y'a vraiment des gens fous sur Terre.
- C'est une histoire de gamins..., soufflé-je, désolée pour lui. Comment s'en est-t-elle sortie ?
- J'ai retrouvé l'endroit où elle était cachée, j'ai appelé la police. Cette femme s'est retrouvée en prison, je crois... Fin je sais plus. Mais bref, on est là pour parler de toi. T'en es où pour ta sœur ?
Son visage bienveillant m'incite à parler, même si c'est compliqué. Je déteste ça, je viens de le rencontrer, on ne se connaît même pas, et il se confie sans problème. En plus de ça, il me pose des questions... J'ai peur de trop lui faire confiance puis le regretter après... Je me dis que c'est quand même le meilleur ami de Raphaël, et je peux lui faire confiance... Je vois bien que Nicolas est prêt à m'aider, alors je me lance :
- Je ne sais ce que t'a dit Raphaël, mais on a rencontré un homme chelou, qui dit connaître Eléonore, ma sœur. Il veut nous raconter toute la vérité et nous la « rendre » si on lui donne cinq mille euros.
- C'est énorme ! T'es sûre qu'il ne ment pas, et qu'il connaît bien ta sœur ? demande-t-il, un air surpris sur le visage.
- Il a des preuves. Je le crois. Je ne comprends juste pas pourquoi il a besoin d'argent, et comment pourrais-je en trouver autant ?
- J'ai ce qu'il faut, si y'a vraiment besoin.
- Tu rigoles ?! Jamais de la vie je n'accepterai une somme aussi importante !
- Non, je..., rit-il embarrassé. Je sais, je veux dire que je peux prêter. C'est sûrement urgent, s'il la garde, ou je ne sais pas.
- Nicolas, ce mec me fait flipper. Il sort de nulle part et demande ça ! Jamais je ne pourrais donner autant d'argent. Je vais prévenir la police.
- Non, tu ne devrais pas... Imagine il l'a kidnappée et si tu préviens quelqu'un il la tue ? Y'a trop de risques, Lyane. dit-il de sa voix grave.
J'arque les sourcils, pendant qu'il prend mes mains dans les siennes et plonge son regard dans le mien. Une grimace germe sur mon visage.
- Tu es sûr ? je demande, hésitante.
- Attends de voir comment ça avance, s'il demande l'argent et qu'il a les preuves qu'il connaît ta sœur, tu as toujours une chance. Je veux dire, tu ne fais pas ça pour rien. Et dans tous les cas, on a pas mal d'argent, je pourrais t'en prêter.
- C'est adorable, merci. Et tu as raison, je devrais éviter de prévenir la police. De toute façon, ils ne se bougeront pas.
Nous nous rapprochons de la rive, et nous quittons sous le crépuscule naissant.
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