Chapitre XXXIX

Pdv Armitage Hux

Assis face à Kh'iarah, je ne pouvais m'empêcher de lui jeter de rapides et discrets coups d'œil de temps à autre.

Cela était pour moi devenu comme une sorte de jeu, la voir sous toutes ses émotions et sous tous ses états. Lorsqu'elle mangeait, lorsqu'elle dormait, lorsqu'elle riait, lorsqu'elle pleurait, lorsqu'elle était énervée... Je voulais la connaître mieux que personne et j'appréciais la voir elle aussi chercher tous les détails de mon caractère.

Mais, étrangement, je n'avais pas peur de m'ouvrir à elle, lui raconter ma vie et ce que je ressentais. Cela me faisait même du bien. Je me sentais à l'aise avec elle et sa présence avait quelque chose de si rassurant... Quoi qu'il puisse arriver, je la savais dans mon camp.

Perdu dans mes pensées depuis déjà quelques instants, je n'avais pas remarqué qu'elle avait levé les yeux de son plat et me regardait aussi, scrutant mon visage, un sourire aux lèvres.

- A quoi pensez-vous... ? demanda-t-elle doucement en continuant de sourire.

- Que le repas est bon, mentis-je en baissant les yeux et me remettant à manger.

- Autrement dit, que je cuisine bien.

Sans pouvoir m'en empêcher, je laissai échapper un petit sourire en coin. Il fallait toujours qu'elle ait le dernier mot...

Je lui avais demandé la veille de me rejoindre dans mes appartements pour dîner et Kh'iarah avait tenu à cuisiner elle-même, m'ayant dit qu'ainsi elle s'assurerait que je ne l'empoisonne pas à son insu.

Je devais maintenant avouer qu'elle avait raison, elle cuisinait très bien. Cependant, je ne pouvais me concentrer que sur ma nourriture alors qu'elle se trouvait en face de moi. Kh'iarah était beaucoup trop belle pour que je l'ignore.

- Armitage.

Je relevai mes yeux vers elle et la dévisageai avec attention. Je sentais qu'elle voulait me parler de quelque chose de sérieux et cela m'inquiéta.

- Puis-je vous poser une question ?

- Oui.

- Même si ...

- Tout ce que vous voulez, la coupai-je, impatient et appréhendant le sujet de sa question.

Elle me regarda un instant d'un air presque peiné avant de me demander gentiment :

- Pourquoi tenez-vous tant à pourchasser jusqu'au dernier la Résistance... ?

Je marquai un temps d'arrêt avant de répondre avec un rictus :

- Ma mère, ma mère adoptive est morte par leur faute.

Kh'iarah me dévisagea et sembla mal, ce qui m'étonna. Elle avait le droit de savoir, je ne lui en voulais pas.

- Je ferai tout pour la venger, ajoutai-je.

- Armitage... Je comprends, mais la vengeance ne fera rien d'autre que prolonger indéfiniment votre souffrance...

- C'est pourtant le chemin que j'ai choisi. Autrefois, c'était uniquement cela qui me donnait une raison de vivre. S'il-vous-plaît, ne cherchez pas à m'en empêcher.

Je remarquai soudain que je serrais mon poing de toutes mes forces. Je m'obligeai à le desserrer et en relevant mes yeux, vis dans le regard de Kh'iarah toute sa compassion et son amour.

- Si les détruire est votre rêve, alors je vous aiderais dans votre vengeance.

Ses mots eurent tout de suite un effet étrange sur moi.

Non seulement Kh'iarah était importante à mes yeux, mais je l'étais aussi aux siens et elle souhait m'aider... J'avais toujours pensé devoir accomplir mon destin seul mais, maintenant, j'avais son soutien et en étais plus qu'heureux.

La voyant ainsi, me faisant clairement comprendre qu'elle ferait n'importe quoi pour moi, je réalisais que non, mon but de détruire la Résistance n'était pas que pour une vengeance. C'était aussi pour protéger celle que j'aimais. Et pour qu'elle soit en sécurité, loin de la guerre, il fallait que je les élimine. Seulement j'avais la sensation de ne pas y arriver, de ne plus rien contrôler.

- Vous ...

- Kh'iarah, la coupai-je encore. Je suis désolé.

- De ... de quoi parlez-vous... ?

- J'ai l'impression d'être incapable d'assurer votre protection. Je me sens bien trop impuissant lorsque vous partez en mission, à des millions d'années-lumière de moi.

Je posai ma main sur la sienne et la regardai dans les yeux quelques instants avant de justifier d'une voix faible devoir aller vérifier quelque chose en cuisine.

En réalité, je sentais juste mon cœur s'accélérer et ma gorge se nouer tandis que des larmes me montaient aux yeux face à l'idée que les résistants puissent m'enlever Kh'iarah. Mais il ne fallait pas qu'elle me voit dans cet état.

Je m'appuyai sur le bord du plan de travail, troublé, essayant de me calmer et d'assumer les aveux que je venais en quelque sorte de lui faire.

Je prenais enfin pleinement conscience qu'elle était devenue ma pire faiblesse.

***

Plus tard, une fois que je fus revenu à table, j'avais tenté d'éviter le regard de Kh'iarah et par chance elle ne m'avait rien dit. Elle avait ensuite au bout de quelques minutes essayé d'engager une conversation mais, me sentant encore ailleurs, je n'avais réussi qu'à me montrer froid et elle n'avait plus osé me parler.

Elle était maintenant assise sur mon lit et jouait avec Millicent tandis que je les observais, un léger sourire sur le visage et un verre de vin à la main, appuyé contre le seuil de la porte de ma chambre. Je la trouvais si belle et merveilleuse...

D'où j'étais, je pouvais sans peine entendre Millie ronronner pendant que le visage pétillant de Kh'iarah restait imprimé dans mon esprit et ne me donnait envie d'échanger ce moment pour rien au monde.

Après quelques minutes de silence, je demandai à Kh'iarah dans un sourire mélancolique :

- Êtes-vous heureuse ?

Elle tourna sa tête vers moi, me regarda droit dans les yeux, puis hocha la tête avec un sourire sincère avant de me répondre :

- Oui.

Aucun de nous ne fîmes de commentaire. Je buvais alors une gorgée, l'observant reprendre son jeu avec Millie.

Je songeai alors intérieurement que moi aussi, je l'étais avec elle.

***

Le lendemain matin, bien que je vis l'heure qu'il était, je décidai de ne pas réveiller Kh'iarah. Je trouverais bien un moyen de justifier son retard ou son absence, prétextant que je l'avais chargée d'un dossier qu'elle pouvait traiter dans sa cabine. Je n'avais aucune envie de la voir me laisser si tôt, surtout qu'elle était si belle lorsqu'elle dormait...

Dans mon lit, face à elle, je ne cessais d'observer tous les détails de son visage, en profitant pour laisser mes pensées divaguer.

J'aurais adoré qu'elle vive avec moi, ici, tous les jours. Elle n'était cependant pas assez gradée pour avoir ses propres appartements, devant donc rester dans une cabine qu'elle partageait avec d'autres officières qui risqueraient de lui poser des questions si elle s'absentait trop longtemps. Seulement si je la faisais promouvoir de nouveau, cela pourrait également attirer les soupçons. Je devais donc attendre quelques temps avant de ne pouvoir vraiment l'avoir rien qu'à moi.

La dévisageant tout en réfléchissant, je la vis battre lentement des paupières. Je sentis aussitôt un sourire s'étendre sur mon visage quand elle me regarda à son tour, un air encore fatigué mais à la fois si mignon sur le visage.

- Quelle heure est-il... ? demanda-t-elle d'une petite voix en refermant ses yeux et se blottissant contre moi.

- Aucune idée, mais bien plus tard que l'heure à laquelle vous auriez dû vous lever.

- QUOI ?!

Kh'iarah ouvrit soudainement les yeux et se redressa d'un bon, réveillant Millicent qui dormait entre nous deux, avant de m'écraser – ainsi que Millie – pour regarder l'heure sur mon réveil.

- Mais pourquoi ne m'avez-vous pas réveillée ?! me cria Kh'iarah, affolée, en revenant de son côté du lit.

Je passai un bras autour de sa taille pour l'empêcher de partir tandis que je lui glissais à l'oreille :

- Parce que vous ne travaillez pas aujourd'hui.

- Bien sûr que si !

- Non.

Elle se tourna vers moi, s'assit en tailleur, croisa ses bras en me dévisageant, puis demanda :

- Comment ça ? Si votre excuse n'est pas valable et que j'arrive en retard...

- Je vous donne votre jour de congé Kh'iarah, tout simplement.

Cette satanée officière soupira longuement avant de se rallonger, me tournant cette fois le dos.

- Kh'iarah.

- Je dors, répondit-elle d'une voix boudeuse.

Je décidai donc de changer de technique.

- Vous manquez à Millie... Arrêtez de lui tourner le dos...

- Faux, Millicent m'en veut de l'avoir réveillée et écrasée par votre faute.

- Alors faites-vous pardonner en la câlinant.

Elle soupira encore et finit par se retourner pour la prendre dans ses bras, l'étranglant presque. Étonnement, Millie se laissa pourtant faire. Elle se mit même à ronronner.

- Ce chat vous préfère à moi.

- C'est normal, dit-elle avec un sourire.

- Vous souriez enfin... ?

Se rendant compte que je l'avais vue, elle enfouit sa tête dans le pelage roux de Millicent en répondant :

- Non.

J'attendis quelques instants en silence et, comme prévu, Kh'iarah releva sa tête pour me dévisager. Elle poussa un soupir et vint de nouveau se blottir contre moi, faisant cependant partir Millie.

- Oh non Bestiole pars pas ! dit-elle avec une moue.

- Ne l'appelez pas ainsi.

- Vous n'êtes jamais content...

Je lui fis un sourire et passai un bras autour de ses épaules afin de la rapprocher de moi, avant de respirer à plein poumon son odeur tandis qu'elle posait sa tête contre moi.

Après quelques minutes sans nous être parlés, je lui demandai si malgré tout ce que j'ai fait - tous ces morts - elle parvenait vraiment à m'aimer, ce à quoi elle répondit positivement.

- Vous êtes folle, dis-je avec un petit sourire triste.

- Amoureuse, plutôt. Ça y ressemble.

Je fis un nouveau sourire, cette fois plus rieur.

Kh'iarah ajouta ensuite :

- Chaque jour, je vous vois devenir meilleur et avec de meilleures idées pour le Premier Ordre.

- J'ose espérer que vous avez raison. Je n'ai même pas la force d'ouvrir les yeux pour regarder en arrière et voir tout ce que j'ai dû accomplir d'horrible. Je préfère oublier ou je sens que je finirais par me coller une balle dans la tête.

- Alors oubliez. Ne vous occupez que du futur et faites tout pour devenir meilleur.

Je ne saurais décrire comment ses mots m'apaisaient.

Je ramenai Kh'iarah plus fort contre moi et posai ma tête contre la sienne.

- Si c'est de ce que je pense de vous qui vous inquiète, cessez de vous affoler. Je vous pardonnerai n'importe quoi.

- Effectivement, « folle » et « amoureuse » sont synonymes.

Kh'iarah émit un petit rire, me faisant décrocher un sourire.

- J'aurai tout de même du mal à supporter que vous me trompiez.

- Vous supportez moins l'infidélité que le fait d'avoir pris des milliards de vies... ?

- Oui. Je suppose que c'est de l'égoïsme.

- Vous n'avez absolument jamais été égoïste.

- Je trouve que si.

- Je trouve que non.

- Mais quand je ...

- De nous deux, qui est le général ?

Elle releva sa tête vers moi et fronça les sourcils en me regardant, semblant chercher à lire de quoi je parlais dans mes yeux. Je répondis donc à sa place :

- Moi. J'ai donc toujours raison.

Je fis semblant de la regarder de haut avec un rictus soi-disant moqueur en disant :

- Vous devriez écouter mon avis plus souvent, commandante Wayshley...

- Vous m'agacez, répondit Kh'iarah en rigolant doucement.

Elle se blottit ensuite d'elle-même davantage contre moi. Nos yeux se plongèrent ensuite dans ceux de l'autre, contact où nous pouvions nous comprendre sans un mot, où seule elle comptait pour moi et où seul moi comptait pour elle. Des mots dits avec nos yeux, des mots qui suffisaient à nous rendre plus heureux que nous n'aurions jamais pu l'être sans la présence de l'autre.

Comme réponse à ses yeux pétillants qui ne se détachaient pas une seule seconde de moi, je déposai délicatement mes lèvres sur son front avant de les déplacer vers sa bouche. Elle posa sa main sur ma joue pour approfondir notre baiser tandis que je songeais que jamais son parfum, sa voix, la vue de son visage, le goût de ses lèvres ou encore sa simple présence ne pourraient me blaser. Nous étions la marionnette de l'autre, nous avions un pouvoir sur nos humeurs, sur nos vies, mais si l'un tombait, il entraînerait le second dans sa chute.

Seulement, j'aimais ce sentiment.

J'avais enfin l'esprit à vivre, avec quelque chose – quelqu'un – à perdre. Et avec une vie heureuse à gagner.

Nous étions prêts à jouer et assumer les conséquences, savourant chaque moment de ce jeu en ignorant témérairement la possibilité que cela puisse mal finir. L'important n'était-il pas de s'amuser, avec les hauts et les bas, les pauses, l'honnêteté et la triche, puis recommencer encore et encore la partie, avec ou non les mêmes joueurs ? Un jeu où l'adversaire était aussi l'allié.

*** ***

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