Episode 59 : coup de coeur
Sans surprise, en atteignant notre étage, je le découvre à son bureau. Il discute avec un collègue qui est devenu peu à peu un ami pour moi également, un certain Théodore, un gars original et décalé qui a le cœur sur la main et le sourire sincère.
Ils lèvent les yeux sur moi avec étonnement lorsqu'ils détectent ma présence. Joshua s'exclame en me voyant :
-Leonora ? Que fais-tu là ?
Il me sourit avec spontanéité, mais je ne réponds pas à son sourire.
J'avance vers eux, taciturne, soudain terriblement mal à l'aise. Je n'ai plus envie de discuter et encore moins devant Théodore, mais celui-ci quitte les lieux en comprenant instinctivement que sa présence gêne.
-Ça va Leo ? demande Joshua tout en scrutant mon visage. Il ressent que quelque chose me tracasse.
-Je ne sais plus si je vais bien.
Son sourire s'évanouit instantanément.
-Qu'est-ce que tu as ? dit-il en m'observant avec inquiétude.
Je tente de décrypter chacune de ses réactions, mais tout se mélange en moi. J'ai l'impression d'être face à un inconnu, plus l'ami des autres jours.
-Pourquoi es-tu si inquiet tout d'un coup ? je demande avec suspicion.
-Parce que tu sembles préoccupée et que cela m'inquiète... Nous ne sommes pas amis pour rien.
-Je réalise qu'une amitié n'est jamais complètement désintéressée.
-Pourquoi dis-tu ça ?
-Je me rappelle enfin pourquoi je n'ai jamais fait confiance aux gens, j'aurais peut-être dû garder mes bonnes habitudes avec toi aussi.
-Mais Leo ? Qu'est-ce qui te prends ?
Soudain, il se tait, semblant lire ce qui git tout au fond de mon regard sombre. Il se perd dans mon silence, contemplant ma mélancolie. Il comprend enfin pourquoi je réagis de la sorte avec lui.
J'ai parlé avec June et il le discerne enfin.
-Tu étais au courant de tout depuis le début, n'est-ce pas ? je demande dans un souffle, craignant sa réponse.
Il ne sait pas quoi lui dire, les mots lui manquent. Il aurait dû se confier à moi cette fameuse nuit à l'hôtel en Belgique ou dans l'ascenseur. Il n'a malheureusement pas eu le cran d'assumer la vérité.
-Non ... enfin... pas vraiment.
-Qu'est-ce que cela veut dire «pas vraiment» ? Tu savais ou tu ne savais pas ?!?
-Je sais, sans savoir tous les détails... je... je préfère ne pas en savoir trop...tu comprends ?
-Non, je ne comprends pas !
-Je n'ai pas le choix. Je dois garder mon travail, non ?
-Ne pas vouloir trop en savoir, c'est cautionner !
-Je suis désolé, mais...
-C'est cautionner tout le mal qui a été fait !
Il me fixe avec un air de chien battu.
-Je me suis trompé. Je regrette vraiment, mais oui, je sais certaines choses qui ne sont pas très glorieuses.
-Pas glorieuses ? Tu rigoles ?
-Je ne fais qu'accueillir les nouvelles recrues puis je les transfère vers le service adapté lorsque leur capacité se développe.
-Et toi qui faisais l'étonné lorsque je te parlais de mes capacités linguistiques, de mes cauchemars ou de mes hallucinations, tu devrais avoir honte.
-Honte ? Mais de quoi ? Tu as trouvé un job grâce à nous, pas vrai ? Tu étais ravie de gagner un salaire confortable.
-Oui, mais je ne savais pas que j'avais été manipulée et testée par eux lorsque j'étais une gamine paumée.
-Je ne suis pas responsable de tout ça.
-Tu connaissais donc mon passé...
-Les grosses lignes, juste les grosses lignes.
-Ça veut dire quoi les grosses lignes ? Tu savais que je m'appelais Clara ? Tu savais pour les tests et le sérum ?
-Oui, je le savais. Mais ce n'est pas de ma faute ce que tu as subi enfant. Je n'y suis pour rien.
-Peut-être un peu quand même, en continuant à travailler pour eux.
-Tu confonds tout. Mon poste n'a rien à voir avec le reste.
-Que tu le veuilles ou non, tu es en partie responsable, Joshua.
-Leo, écoute-moi, je suis vraiment désolé, mais qu'attends-tu de moi ? Que je donne ma démission ? Que je me retrouve sans emploi du jour au lendemain ?
Je le dévisage exaspérée qu'il ne capte pas les nuances de notre discussion.
-J'aurais juste voulu que tu sois honnête.
Soudain, il soutient mon regard avec agacement.
-Mais tout le reste était sincère, lâche-t-il brusquement.
-Le reste ? Mais quel reste ? Comment savoir ce qui était sincère ou pas ?
-Je voulais t'aider. Et je l'ai fait ! Je t'ai filé des informations confidentielles pour t'aider à trouver certaines réponses.
-Merci d'avoir voulu m'aider, mais ...
-Comment crois-tu que j'aie trouvé si vite l'endroit où séjournait Gaia ? Et l'adresse du cimetière en Belgique, c'est aussi grâce à moi.
-Merci pour ton aide mais, pour moi, un ami ne ment pas.
-Je t'ai juste caché une partie de la vérité. Ce n'était pas vraiment du mensonge.
-Je ne sais plus quoi te dire.
-Je suis vraiment désolé, je te le jure.
-Je crois que je vais te laisser.
Je souhaite soudain quitter ce bureau mais, il me retient en me saisissant la main.
-Leo, je suis toujours ton ami, je t'assure que j'ai eu un coup de cœur pour toi depuis le premier jour où je t'ai vue.
-Un coup de cœur ? Vraiment ?
-Oui, je tiens fort à toi.
-Si c'est ça être ton coup de cœur, alors je préfère m'en passer, dis-je tristement.
En mettant en avant ma colère, je ne veux surtout pas lui montrer à quel point je suis anéantie, à quel point je déteste cette discussion. Je décide pourtant de m'en aller sans me retourner.
-Leo, attends !
À cet instant, tout est brouillé dans mon esprit. Je ne veux pas entendre ses vaines explications. Une énorme désillusion m'envahit et me terrasse.
Demain sera un autre jour, un jour nouveau où peut-être que cette amitié ne devra jamais avoir existé.
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