Oui je roule, roule, roule, roule
Roule dans les rues de ma ville
Larmes à l'œil, la boule au ventre
Je refais le monde avec des si

Mick joue avec son badge alors qu'il pénètre dans un paddock qui lui est inconnu. Alors qu'il maitrise à la perfection celui de formule deux, c'est loin d'être le cas dans celui où il ne connait que peu de visages. Pourtant, il a l'impression que tout le monde se retourne sur son passage. Les murmures le suivent alors qu'il avance en direction de son écurie. Enfin, surtout celle d'Olivia, car il n'est pas dans son garage ici. Il observe l'organisation, si proche et pourtant si différente de celle qui règne en formule deux, ou qui régnera en formule un quand il y sera d'ici quelques mois.

Il a hâte de croiser la jeune femme pour lui annoncer la nouvelle. Il est au courant qu'il a un baquet depuis quelques jours mais ne lui a pas dit par message, attendant le week-end pour lui dire de vive-voix. Recevoir un pass pour ce week-end-là spécifiquement était donc un cadeau inespéré.

Mick commençait à désespérer de recevoir une invitation sur un de ses rares week-ends sans course. La sienne est de son côté prête depuis des semaines, c'est juste qu'il n'y a pour l'instant eu aucune course où elle n'était pas occupée. Alors, savoir qu'elle a fait la même chose de son côté lui donne le sourire.

Il rentre dans le garage pour lequel il a également un accès. Il reconnait immédiatement le fameux Jonathan en pleine discussion avec des ingénieurs. Il lui adresse un léger sourire avant de chercher de ses prunelles claires l'objet de sa visite. Il finit par la découvrir, la tête dépassant tout juste de l'autre côté de la voiture en train d'être finie d'être préparée. Il contourne celle-ci pour se retrouver devant son ancienne amie.

— Salut Olivia ! Alors, prête pour la course ?

— Hey Mick, je suis contente que tu sois venu !

— Tu m'as invité.

Un léger rire lui échappe. Il observe la voiture qu'elle effleure du bout des doigts devant lui. Des images d'une autre époque remontent. Il se souvient quand elle faisait la même chose lors de ses courses de karting auxquelles elle participait dans la catégorie supérieure à la sienne. Avant chaque course, elle contournait son véhicule, l'effleurant du bout des doigts avant de monter dans celui-ci.

Tout le monde disait alors qu'elle finirait par conduire une des vingt voitures les plus rapides au monde, qu'elle était digne de son nom, qu'elle serait la première femme à rentrer en formule un. Charles ne l'aimait pas. Max l'adorait parce qu'elle battait Charles.

Le destin s'en était mêlé et les choses avaient bien changé. Mais elle conduit malgré tout une voiture rapide, elle peut ressentir l'adrénaline parcourant son corps alors que son véhicule file à vive allure sur le goudron et que les moteurs rugissent.

Les esprits s'échauffent de tous les côtés et Mick se sent un peu de trop. Il n'aime pas être dérangé alors qu'il se prépare à une course de son côté.

— Je vais te laisser te concentrer. Bonne course.

— A tout à l'heure !

Un sourire lumineux lui est adressé en réponse alors qu'Olivia semble continuer son inspection. Il se recule avant de quitter le garage, non sans saluer tous les mécaniciens et ingénieurs dont le regard croise ses yeux clairs.

Il s'installe avec le reste des invités de l'écurie, observant la danse parfaitement fluide des mécaniciens, pilotes et ingénieurs pendant quelques minutes avant de définitivement quitter les lieux pour rejoindre les spectateurs lambdas. Il n'avait pas pu être présent pour les qualifications et tests mais s'était renseigné pour savoir tout de ce qu'il s'était passé avant son arrivée. Il le faisait d'ailleurs chaque week-end depuis qu'il avait appris qu'elle continuait le pilotage aux volants de véhicule d'endurance.

Ses yeux clairs ne quittent pas la piste alors que les voitures filent à vive allure. Il ne parvient pas à les détacher alors que la brune est celle en train de conduire la voiture blanche et rouge où quelques touches de vert apparaissent. Celle-ci prend des trajectoires quasiment parfaites et il repense au gâchis que peut être sa présence uniquement en endurance quand la formule un aurait dû être son monde.

Elle finit par garer la voiture pour une changement de pilote. Il l'observe alors qu'elle est soulevée par deux mécaniciens. Bientôt, elle retire son casque et ébouriffe ses cheveux alors que la voiture est déjà repartie.

Mick n'arrive pas à faire autre chose que continuer de la regarder alors qu'elle est projetée sur un des écrans géants. Si parfaite. Si forte. Si douée. Si seule au milieu de ce monde masculin. Elle rayonne dans un univers où tous sont distincts d'elle. Elle est incroyable malgré son immense différence.

Le pilote de formule deux est formel, dans ce paddock, Olivia est comme Supergirl dans ce monde. Un ovni. Un extraterrestre. Un héros. Une personne qui apporte forcément le bien juste grâce à sa présence. Et il se fait violence pour ne pas retourner dans ce garage et la féliciter sur le champ alors que la course n'est pas du tout terminée.

Il reste pourtant à sa place, profitant de la suite du spectacle. Un soupir lui échappe quand elle disparait de l'écran où les images du garage et celles de la piste se succèdent en fonction des actions. C'est un autre membre d'équipage qui est désormais aux commandes de la voiture filant à vive allure. Mick la suit brièvement des yeux.

Il ne conduit pas aussi bien qu'Olivia. Cela se voit aux trajectoires bonnes mais pas parfaites. Aux courbes parfois un peu trop étirées. Aux freinages trop lents. Aux dépassements chaotiques. Le deuxième membre du trio est bon, mais il est loin d'être aussi fort qu'Olivia. Et surtout, il est bien moins agréable à regarder piloter.

La course se termine et il applaudit à s'en rompre les poignets quand le trio Prema monte sur la troisième marche du podium, la jeune femme portée triomphalement par ses deux partenaires.

— T'étais si forte !

— Ça t'a plu ?

Il hoche vigoureusement la tête alors que la jeune femme se tient devant lui une fois ses obligations journalistes terminées. En cet instant, Mick est juste heureux de se trouver en face d'elle, qu'elle ait pris le temps de le chercher pour passer un peu de temps en sa compagnie. Il se demande si elle invite souvent des gens à ses courses ou s'il est l'une des exceptions.

— Tellement, tu pilotes vraiment toujours aussi bien qu'avant.

Il voit le visage qui se déforme légèrement face à ses paroles. La tristesse qui passe dans les yeux sombres avant de s'évanouir rapidement. Le sourire réapparait mais le blond a immédiatement l'impression qu'il est forcé. Il est habité à voir les sourires de façade, il en voit tous les week-ends quand ses concurrents se retrouvent devant la presse à devoir dire qu'ils sont satisfaits de leurs courses quand bien même ce n'est absolument pas le cas. Et en cet instant précis, il sait que l'étirement des lèvres d'Olivia appartient à cette catégorie précise.

— Je sais ce que tu penses. Arrête tout de suite. Ça sert à rien de refaire le monde. Je voulais peut-être faire de la formule un avant, mais ça fait longtemps que je me suis faite à l'idée que c'était juste pas ce pour quoi j'ai été créée. Y a pire dans la vie tu sais.

Il reste silencieux. Au plus profond de lui, il sait qu'elle a raison. Lui plus que quiconque sait que la vie ne tient à pas grand-chose et Olivia est vivante chaque jour de l'année. Mais il ne comprend pas comment elle peut autant accepter sa situation. S'il avait vu tous ses rêves être brisés comme ça, il aurait certainement tout envoyé valser. Elle l'impressionne un peu plus qu'elle ne l'avait déjà fait installée derrière son volant.

— Et je crois que je préfère l'endurance à la solitude du pilote de formule un. Sans compter que je suis beaucoup plus utile au monde comme ça. C'était peut-être ça, la destinée qui était écrite pour moi dans les étoiles, la raison pour laquelle j'existe.

Les mots s'enfoncent en lui et il ne trouve rien à répondre. Parce qu'il n'y a rien à dire. Parce qu'il se sent presque inférieur alors que la brunette fait preuve d'une incroyable résilience face à son sort. Il s'apprête à lui répondre quand elle reprend, ne lui laissant pas la possibilité de parler.

— J'ai arrêté de refaire le monde, de vivre avec des et si et d'écouler toutes les possibilités il y a des années, alors ne le fais pas pour moi Mick. Ma vie a commencé après ce jour-là et elle est bien plus belle et précieuse que celle d'avant. Parce que j'avais rien décidé de la précédente. Je devais être la première femme en formule un parce que les médias l'avaient décidé le jour où j'ai battu Charles et Max à treize ans. Mais j'avais même plus le droit de décider si j'aimais vraiment ça ou pas, si je voulais de cette vie sous les projecteurs et la pression ou non. Que ce jour où j'ai décidé de repiloter, je savais que c'était uniquement pour moi parce que c'était ma décision et que personne n'était là à me pousser pour ça.

Mick ferme une seconde les yeux alors que le flot de paroles l'atteint de plein fouet. Il se demande s'il avait de son côté un jour vraiment eu le choix. Ses parents ont tout fait pour le protéger de la presse et de ce monde, mais malgré tout, la pression populaire est là. Celle qui attend de lui qu'il soit aussi fort que son père alors que peu de personnes l'ont été et le seront. Dans le fond, il n'a pas d'autre choix que de tenter de l'être depuis le jour où il a été mis dans un kart, parce que c'est ce que le monde entier attendait : qu'il fasse de la formule un, comme on attend de chaque enfant de footballeur d'être au niveau de leur père jadis professionnel. A ce jeu, chaque mauvais résultat est un échec dans cette quête de rapprochement d'un idéal.

Olivia avait la pression pour être la première femme en formule un et une grande partie n'attendait ça que dans le but de la voir échouer, il a l'impression que c'est la même chose de son côté. Le fils incapable de reprendre le flambeau, c'est ce que tous rêvent de mettre en gros titre d'un journal alors qu'ils cherchent le moindre détail les rapprochant.

Alors il voit où elle veut en venir. Maintenant qu'il est trop avancé, il aimerait aussi avoir le temps de se poser afin d'être absolument certain des raisons pour lesquels il roule.

— Parfois, je crois que j'aimerai ça aussi. Savoir pourquoi je roule et est-ce que j'aime toujours autant ça qu'enfant.

— C'est toujours quand on touche du bout des doigts son rêve qu'on voit qu'il est pas aussi coloré que dans nos nuits.

Il l'observe alors qu'elle lui sourit. Pour l'instant, son rêve est encore coloré, mais la presse désormais présente rend les tâches multicolores un peu plus sombres. Et parfois, Mick se rappelle que quand on lui demandait ce qu'il voulait faire quand il était petit, il répondait : le bien dans le monde. Il se demande si c'est vraiment à travers la formule un qu'il peut y arriver. C'est dans tous les cas certain qu'en comparaison à Olivia, sa contribution à rendre le monde un peu meilleur lui sera forcément inférieure.

j'espère que ce chapitre vous aura plu ! on se retrouve la semaine prochaine dans un contexte hors paddock :)