Casette 2 - Face A
Après tout ce ne sont que des mots...
Il pouvait évidemment s'en persuader mais rien ne lui garantissait qu'elle ne le ferait pas. Parce que s'il devait prendre au sérieux, ne serait-ce qu'une seule des menaces qu'il a reçue au cours de sa vie il ne s'en sortirait pas. D'un autre côté, s'il y avait bien une personne sur cette Terre qu'il croyait assez folle pour exécuter ces intimidations c'est bien elle : Lourdes Lil. Joseph se souvenait encore du jour où il l'avait embauché. Ce n'était qu'une jeune fille avec des idéaux qui voulait partager sa vision cynique du monde avec ses dessins. S'affalant grassement sur son siège il serra ses doigts autour de son ventre proéminent.
Il y a bien 10 ans, Lourdes avait de longs cheveux blonds déjà coiffé en dreadlocks encadrant un petit visage d'une jeunesse toute nouvelle. Ses petits yeux verts étaient et sont aussi translucides qu'une de ses rivières où pêchait Richards avant, quand il avait le temps, ou quand il le prenait plutôt. Au début cette jeune fille lui fit penser à un chaton, un gentil petit chat qui miaule pour avoir sa petite part d'opportunité, de rêve américain. Ses dessins n'étaient alors pas du tout les mêmes, il faut le dire. C'était sensationnel, choc et d'un cynisme délicieux. Parmi ce florilège il a eu le droit à un président qui pose les fesses écartées devant la Russie. , iIll y a eu un pays en pause avec toutes ses misères pour une coupe du monde, il y a eu des squelettes bronzés qui se prennent en photo devant un lac nucléaire pour des likes...
Nostalgique d'une époque révolue, Joseph alluma son ordinateur pour feuilleter les archives revenant au premier dessin de son petit chaton. Ses souvenirs étaient très clairs, elle avait fait sensation dès le début et ça a été le moment de gloire de Joseph Richards. Tout le monde parlait de son journal à cette époque, ça a été sans nul doute son âge d'or. Et puis avec le temps, les kilos de Richards, le chaton a demandé à avoir plus grand sur le journal pour faire une putain de BD.
À chaque fois que je dis BD elle me reprend pour dire comics. Mais putain c'est quoi la différence ?
Bien sûr Joseph connaissait parfaitement la réponse pour l'avoir entendu une bonne dizaine de fois. Lourdes avait sa propre définition qu'elle imposait au monde. La bande dessinée est faite pour divertir, le comics pour faire passer un message parce que même à travers les super héros (et Lourdes penserait SURTOUT à travers les super héros) il y a toujours un message. Un engagement, un sens caché, quelque chose qui peut vous aider.
Joseph continua de faire défiler les archives de ses anciens magazines découvrant peu à peu les aventures de la sublime Superêve Evy. Un personnage aux antipodes même du superhéros. Physiquement Richards aurait aimé que Lourdes se fasse elle-même, blonde, les yeux verts avec un physique maigrichon ça fait rêver des tonnes de mecs dont des acheteurs potentiels évidemment. Mais non encore une fois il a fallu qu'elle n'en fasse qu'à sa tête, Evy est une américaine standard, brune aux yeux noisette, un peu boulotte et surtout trop habillée au goût de Richards. C'est vrai quand elle lui a dit comics il se souvenait avec émotions de sa jeunesse avec Emma Frost, Black Cat ou encore la belle et pulpeuse Black Canary.
Niveau popularité dans son comics là encore Richards avait eu d'autres espérances comme une sorte de Spider girl appréciée et adulée, il en a fait des rêves inavouables avant de voir les premières planches ! Sa déception finalement, c'est que personne ne la connaîtconnait, c'est elle-même qui s'est donné son nom, et elle n'a aucun pouvoir véritable. Sa seule capacité est de pouvoir voir à travers les gens qu'elle touche une catastrophe qui les lie, ça il a trouvé l'idée géniale pour relier l'héroïne aux actualités. La nature même du pouvoir était original, qui l'eut cru vu le nombre de personnages existants de comics et leurs pouvoirs respectifs. Par exemple dans le numéro 86 Superêve Evy prend un café. Quand la barista lui tend son gobelet réutilisable, elle a une vision. Suite à la divulgation de manigances de la firme (où prend son café chaque matin notre héroïne préférée), cette barista en face, fervente défenseuse de l'environnement va brûler l'établissement. Elle ne sait pas quand ni comment, elle sait juste qu'une personne va mourir dans l'incendie. Alors pour éviter la catastrophe Superêve Evy va prendre la parole :
- Vous avez l'air d'être une bonne personne. Si j'étais vous j'arrêterais de me lamenter sur mon sort en prétextant ne pas avoir d'argent alors que vous savez pertinemment que cet argent, vous l'avez mais il passe dans votre train de vie capitaliste. Alors lâchez tout et devenez matelot sur un bateau Greenpeace, ils en cherchent constamment. Ou alors mettez votre prochain salaire dans un bateau et essayez de faire tout ce que vous pouvez pour ces pauvres migrants qui perdent la vie tous les jours dans les eaux internationales. Cramer cet endroit ne résoudra rien au contraire.
Finalement dans l'avant-dernier dessin le café crame mais le cuisinier sans-papier du café qui aurait dû mourir dans la vision de Superêve Evy est avec elle et ils partent ensemble. Le lien avec l'actualité ? Une femme a brûlé une enseigne de café parce qu'ils ne se soucient pas de l'environnement. Le point de vue de Superêve Evy c'est qu'à partir du moment qu'on te dit que tu n'as pas le choix c'est que tu l'as. Le point de vue de Lourdes ? Si tu ne fais pas toi-même le maximum pour une cause que tu défends alors tu te rends aussi coupable qu'eux.
Du trash, du chaton qui essaye de miauler, elle est passée au tigre fier qui donne des leçons. Parfois ils n'ont pas une fin aussi heureuse mais ce que les gens aiment, et Richards n'aurait jamais pu imaginer l'engouement autour, c'est que Superêve Evy n'a rien de spécial. Elle est comme vous et moi qui constatons et vivons des atrocités tous les jours. Son comics reconnecte les gens, il montre à la population que derrière chaque désastre ; il y a le frère, la sœur, la fille, la femme, la mère, le père de quelqu'un, ce que ce monde individualiste et pute à clic a tendance à oublier. Mais surtout il martèle au gens qu'ils ont le choix d'agir en bien ou en mal, même quand tout nous paraît trop sombre pour y discerner une quelconque direction, un chemin qui serait bien, même dans ses moments de doute ; la lumière est à l'intérieur de chaque personne. Joseph doit bien se l'avouer il a mis du temps avant de s'en rendre compte mais cette petite a quelque chose d'innocent en elle qui persiste. Cette petite partie d'elle a été martyrisé mais elle survit jour après jour, c'est l'espoir. Richards réfléchit soudain... Quand est-ce qu'il l'a remarqué... ?
...
Impossible... Parce qu'il l'a vu petit à petit. Ce n'est même pas vraiment explicable, elle est de ces personnes sensibles aux gens et en particulier à ce leurs meilleurs côtés. Lourdes a toujours eu le don de voir cette fameuse lumière chez les gens, ce côté refoulé pour certains, irradiants pour d'autres et c'est peut-être cette vision qui la rend si agressive et parfois cynique. C'est vrai comment peut-on gâcher une si belle personne en faisant des actes aussi abominables ?
Parce qu'elle en voit des saloperies cette petite...
Richards lui avait perdu foi en l'être humain depuis très longtemps et il savait que si Lourdes ne lâchait pas ça causerait sa perte un jour. De toute manière il en était persuadé, quelqu'un l'avait utilisé avant de la jeter du haut d'une falaise. Mais elle s'était accrochée et était remontée tant bien que mal. D'ailleurs parfois il lui semblait que son côté sombre en elle remontait comme une bouffée de chaleur auquel elle ne pouvait rien à part dessiner. Ce qui donnait planches effrayantes de réalité et de terreur. Ces épisodes plus sombres où tout espoir semble perdu, comme si cette petite flamme en elle c'était éteinte. Pour exemple Richards avait sous les yeux, la fois où Superêve Evy part en vacances et qu'elle découvre un enfant qui a tenté d'immigré en vain, échoué sur la plage et juste à côté un dauphin. Une foule de personnes se prennent en photo avec le dauphin causant vainement sa mort, avant de le laisser inerte sur la plage, les yeux rivés sur leurs portables. Le garçon restera ignoré par les médias indépendants mais les likes pour ces personnes et ce dauphin mort vont affluer.
Les sujets qu'elle est capable de traiter sont aussi divers que l'actualité. Il y a des fois où Lourdes reprend le costume de trasheuse et fait rêver Superêve Evy avec des dessins comme elle en a le secret. Personne ne peut lui enlever qu'elle a toujours bien fait son travail et qu'elle le fera toujours bien parce qu'elle a quelque chose qui se perd de nos jours ; c'est la conscience professionnelle. Le peu de fois où elle a pris des vacances c'est Joseph qui lui a imposé et elle est restée joignable tout du long même si elle avait un remplaçant. Une fois que le dernier journal à consulter fût celui d'hier Joseph se pencha en arrière basculant sa tête sur le fauteuil.
Il pencha sa tête légèrement pour regarder sa fourmilière en action à travers la grande vitre de son bureau. Sterling et Jonas discutaient, d'autres se documentaient, ou encore téléphonaient et Lourdes travaillait. Elle avait beau être une tigresse indomptable le sens de l'honneur chez elle était quelque chose d'admirable. C'est vrai Joseph avait peur de beaucoup de choses chez elle mais s'il était certain d'une chose c'est que son dessin serait parfait comme d'habitude. La tête à quelques centimètres de son écran Lourdes faisait avec ses problèmes. Il se surprit même à avoir hâte qu'elle lui présente ses deux dessins.
Évidemment quelque part tout au fond de cette tonne de regrets, de non-dit et d'occasions manquées Joseph Richards avait un cœur et voir Lourdes dans cet état lui faisait un petit pincement.
Rha la jolie garce.
Quand elle se leva, Joseph croisa son regard et gêné, détourna le regard sans même imaginer qu'elle voyait à peine le bout de son nez n'apercevant que les formes dans son ensemble de manière légèrement gazeuse. Lourdes poussa la porte du bureau de Richards, les yeux purulents. De nouveau, Richards détourna le regard mais pas pour les mêmes raisons. Cette fois les yeux de sa dessinatrice n'étaient vraiment pas beaux à voir. Elle déposa ses 2 dessins, le premier était une planche de comics comme d'habitude, aussi bien dessiné, il devinait qu'elle avait fait ça hier. Par contre le dessin pour l'édition spéciale il dut s'y reprendre à deux fois mais quand il comprit le dessin une larme roula sur sa joue.
Lourdes n'avait prévu qu'un seul dessin, un énorme, un tableau pour l'édition spéciale. Superêve Evy était à genoux en larmes avec une pile de corps autour d'elle circulairement, qu'elle essayait de protéger alors qu'un nuage de fumée les entourait. À première vue ce nuage rendait le dessin moins clair mais en faisant attention aux détails, cette poussière n'était qu'une métaphore pour les balles mais ce n'était pas tout. Autour de ses nuages à peine visibles des personnes avec seulement des lettres sur leurs visages pointaient en direction de Superêve Evy.
Heureusement que cette petite conne ne peut pas distinguer mes larmes. Ça me ferait chier de me faire chambrer pour ça.
En effet, Joseph Richards avait beau l'insulter, c'était cette fois affectif parce que son dessin était sublime.
- Je ne crois pas avoir vu un jour Superêve Evy pleurer ?
- C'est exact.
Inutile d'être psychologue pour comprendre que Lourdes avait donné à son personnage quelques-uns de ses traits de caractère. Une idée derrière la tête Richards mit une main sur les dessins avant de les décaler sur le côté.
- Tu m'enverras par mail ton dessin avec une signature dessus s'il te plaît. Je veux que si un jour un livre sort de nos meilleurs articles ce dessin soit en couverture.
- Bien sûr, j'en ai pour une seconde !
- Parfait, tu fais ça et tu dégages. Tes dessins du jour sont faits comme tu me l'as si délicatement fait remarquer à la réunion, ton dessin de demain peut attendre.
- Mais je...
Richards tapa du poing sur le bureau ce qui décontenança Lourdes une seconde. Est-ce qu'elle allait être virée ? Peut-être après tout que son dessin n'était pas à la hauteur. Remarque, si c'était un problème de sa part elle ne pouvait pas en vouloir à Richards. Elle regarda une dernière fois son bureau avant qu'il ne lui réponde.
- T'as vu ton œil on dirait un lapin en train de crever. T'as fait tes dessins, OK t'es journaliste mais tu n'as pas bossé sur un vrai sujet depuis combien de temps... ?
- Au moins 5 ans mais je peux le faire, c'est comme le vé...
- Non putain, ce n'est pas négociable parce que tu ne vois pas à un mètre devant toi. Même ma grand-mère germaine de 104 ans y voit mieux que toi. Alors tu dégages aux Urgences je ne veux pas de toi ici. En plus avec un peu de chances ta connerie est contagieuse alors merci mais j'ai du travail, je n'ai pas vraiment le temps d'être malade.
- Reçu, Sergent ! Allez, on est entre nous vous pouvez l'avouer qu'il est cool mon dessin... ! Le taquina-t-elle.
-- Lil, je peux savoir ce que vous foutez encore là ? Peut-être que vous voulez que je vous appelle une ambulance pour qu'elle décolle votre cul de mon bureau !
Lourdes partit un grand sourire aux lèvres. Elle savait que ça lui avait plu, elle a même cru voir quelque chose rouler sur sa joue. Bon elle n'y voyait pas grand-chose mais c'est beau de rêver n'est-ce pas ? Alors elle passa à son bureau envoyer son fichier à Richards comme demander, elle servit un café du reste de son thermos à Sterling et Jonas avant de passer la tête par le bureau de Richards rapidement.
-- Vous n'oubliez pas notre deal, une personne pour m'aider ! Vous m'aimez trop pour me laisser partir de toute manière.
Avant même qu'il ait le temps de répondre Lourdes claqua la porte avant de partir. Joseph souffla avec un sourire en coin.
J'avais tort cette nana est pire qu'un tigre. Elle vous mord avant de lécher la main qui la nourrit. Remarque il n'y a que les animaux les plus intelligents pour faire ça.
Quelle emmerdeuse ! Je ne peux même pas dire qu'elle me mène la vie dure, c'est la première chose qu'elle réclame en plus de 10 ans qui ne soit pas du matériel pour travailler.
Hélas, sans que Joseph ne puisse s'en rendre compte il croula rapidement sous les articles à vérifier alors il appuya sur envoyer mais n'eut que 2 minutes à lui pour le déjeuner hebdomadaire. Lui et sa femme avaient comme rituel de manger ensemble au moins une fois par semaine. Au début le jour devait être une surprise, pour mettre du piment dans leur couple probablement. Mais il s'est avéré que c'était sans compter sur le routinier Joseph Richards qui a besoin d'un quotidien bien réglé pour se sentir bien. June déteste ça, elle déteste beaucoup de choses chez son mari mais ça figure largement en top.
À 12 hh tapante Joseph claqua la porte de son bureau avant de le fermer à clé. L'ambiance de la pièce commune était aussi calme qu'un restaurant à 16 heures. Le rush est passé, les derniers articles sont parties à l'impression, ne reste plus qu'à reprendre un rythme normal. Il renvoya son signe de main à Sterling avant de quitter les bureaux de l'entreprise.
Il est brave ce gars, là.
Joseph Richards avait la plus haute estime de Sterling parce que malgré tout ce qui lui était arrivé ce « gars » gardait une âme pure et intègre. Jamais il n'avait semblé entendre une méchanceté ou une grossièreté qui pourrait blesser quelqu'un. Joseph Richards et Lourdes Lil étaient les deux seules personnes qui voyaient chaque jour cette lueur triste dans ces yeux mais par contre tout le monde pouvait constater le sourire et la gentillesse de Sterling envers tout le monde.
Même si cet imbécile a un faible pour Lil. Bon sang, y a des types qui ne savent vraiment pas choisir leurs nanas.
Sur la route pour l'hôpital Joseph prit le plat préféré de sa femme au restaurant chinois et se prit pour lui un plat quelconque, beaucoup trop gras pour lui mais sa June détestait la nourriture japonaise. En fait c'était le poisson cru qu'elle détestait mais elle ne faisait pas trop de différences. Pour elle Japonais = poisson cru, ce qui n'est pas tout à fait vrai. D'ailleurs Joseph ne l'a jamais vu goûter un sushi de sa vie, c'est une des choses qu'il détestait chez sa femme. Sa facilité à dire qu'elle n'aimait pas sans même prendre la peine de goûter mais Richards n'aimait pas la contredire et franchement le peu de fois où il a essayé la discussion a tourné au fiasco au point qu'elle avait même menacé de divorcer.
Joseph Richards regarda ses beignets suintants d'huile qu'il n'aimait même pas en pensant qu'il allait prendre des kilos supplémentaires pour rien. Contrairement à ce qu'on pourrait penser il a déjà été gracieux, et beaucoup moins graisseux. À dire vrai quand Joseph Rodriguez est arrivé aux États unis il avait 12 ans. Sec, le teint hâlé, les yeux noisette très clair, et le visage carré il pouvait percer à Hollywood. Il y avait quelque chose d'hypnotique dans son regard qui forcer les gens autour de lui à le regarder et le trouver beau, parce qu'il avait ce charme naturel magnétique inexplicable. Évidemment quand il a grandi il a fait du body-buildingbodybuilding pour ressembler à ses idoles de la télévision. À 20 ans il aurait pu jouer dans un film. , dD''ailleurs sa mère a insisté pour lui faire passer pas mal de casting mais les seuls rôles qu'on lui proposait étaient : Chef de gang, dealer de drogue, conducteur de taxi, immigré clandestin et laveur de voitures au feu rouge.
Un panel très étendu vous en conviendrez. Pour sa mère un rôle est un rôle mais Joseph lui avait d'autres ambitions.
-- Jo'', tu crois vraiment que quand ton Arnold a reçu ses premiers rôles il s'est plaint qu'on ne base que ces propositions sur un physique ? Non bien au contraire il en a joué ! Lui avait un jour dit sa mère.
-- Oui enfin maman, la différence c'est que pour son premier rôle il a joué Hercule, il a incarné Conan, Terminator, pas un chicano qui vole le pain dans la bouche du gentil blanc.
-- Fais comme tu veux hijo, mais tu sais ce que j'en pense.
-- Je déteste quand tu fais ça mama !
Mais en fils modèle Joseph a baissé ses exigences et il a accepté d'être acteur dans une publicité. Pour ce rôle il a dû se laisser pousser une vraie moustache parce que ça passe mieux à l'écran, il a dû enfiler une chemise blanche bien ouverte, un grand sombrero et faire comme s''il gérait une entreprise qui se résumait à une échoppe en bois de distillation de Tequila en parlant un espagnol « compréhensible pour les américains ». Ça a été la chose la plus humiliante qu'il ait dû faire de toute sa vie.
Pourtant quand la publicité est enfin passée à la télé sa mère était la plus fière de toutes les « mamacita ». Elle regardait la publicité en boucle et avait toujours l'enregistreur et une cassette vierge dans le magnétoscope prêt à l'emploi au cas où la pub passe à la télévision. Parce que oui grâce à l'argent de la pub sa mère était la seule du quartier à avoir la dernière génération de téléviseur avec même un lecteur casette enregistreur et un frigo plein, c'était le grand luxe. Du coup, cette affectueuse maman donnait à qui voulait bien des casettes avec exactement 1 mminute et 39 secondes de publicité, une infusion aussi pourrie que les yeux de Lourdes de racisme banalisé.
La fierté que sa mère lui transmettait au quotidien avait presque motivé Joseph a continué dans cette voie mais c'était sans compter le plus grand mensonge de l'histoire. « The American Dream ». Il a failli y croire, l'espace d'un instant on l'aurait presque eu. En réalité il n'a fallu que quelques semaines pour que la pub soit si populaire qu'elle passe et repasse à la télévision inlassablement. Bien sûr c'était si drôle pour l'américain moyen de voir un Mexicain leur apprendre comment on distille de la tequila avec un accent chaud et un regard de braise. Et encore tout le monde savait que c'était la ménagère esseulée qui avait contribué au si grand succès de la pub et par extension de la marque. Parce que oui une fois au supermarché la ménagère pouvait se poser un millier de question sur le choix de sa sauce tomate, celle de sa farine, de son eau en bouteille mais pas de sa tequila !
Seulement il n'y avait pas que son regard, tout dans cette pub tenait de la braise ardente, à un moment cette braise allait rencontrer un terrain propice et l'explosion promettait d'être aussi épique que douloureuse. Pourtant Joseph ne le savait pas encore, comment aurait-il pu deviner ? Il ne l'a pas quémandé sa chance, il a travaillé dur pour l'obtenir alors pourquoi le verrait-on autrement ? Pour lui il était de ces immigrés qui ont réussis même si ce terme le faisait sourire.
Le blanc qui se dit « Natif américain » l'est autant que moi.
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