2.
Dans la grande maison, les ombres gagnent du terrain sur la lumière. Inès, le visage tordu dans une moue de désapprobation, fixe son regard sombre sur le papier plié sur la table du séjour. Une simple feuille, d'un blanc laiteux, sur une simple table en bois de chêne. Elle sait déjà ce que contient cette feuille. Les excuses de lâches.
"Chérie.
Ton père et moi avons fini plus tôt aujourd'hui. Nous savons que nous t'avions promis de passer la soirée avec toi, mais cela fait très longtemps que nous ne sommes pas sortis au restaurant, et nous nous sommes dis que tu serais contente de savoir que nous t'avons acheté de nouveaux livres, et que tu ne voudrais pas qu'on te dérange. Nous passerons donc la soirée ensemble une prochaine fois. Sois sage. Je t'ai laissé du rôti de veau sur la table, et Vincent pourra bien rester avec toi ce soir.
Tes parents qui t'aiment."
Elle souhaiterait déchirer le papier, déchirer ses parents. Elle voudrait que, pour une fois, ils s'occupent d'elle. Mais, ce n'est qu'un doux rêve. Son beau visage reprend un masque arrogant, et elle se lève. Dans l'entrée, Vincent finit de ranger leurs manteaux ainsi que le sac de sa demoiselle. Il sourit, encore.
Inès voudrait lui arracher, ce visage si... si arrogant. Pourquoi, pourquoi lui peut-il sourire, et pas elle ?! Elle est Inès Rose, la plus belle, la plus intelligente, la précieuse petite fille Rose ! Pourquoi, alors... pourquoi ne sourit-elle pas ?
-Mademoiselle. Vous devez révisez votre violon pour le cours de demain, le tira de ses pensées l'homme.
-Ah. Oui, c'est vrai. Merci Vincent.
Froide comme la pierre, la jeune fille repoussa ses cheveux d'un blond couleur champs au soleil, avant de se diriger vers sa chambre, au deuxième étage de la maison. Une chambre, une salle de bain, et une bibliothèque privée. Inès aimait lire, de tout et de rien, de poésie et de romans, une passion qu'elle cachait précieusement au collège. Que dirait-on, s'il on apprenait que l'étoile de l'établissement lisait plus de trois heures par jour environ ?
Non, vraiment, jamais elle ne le dirait. Et puis, de toute façon, personne ne la comprenait. Et c'était tant mieux. Elle était après tout, la meilleure. Il fallait qu'elle reprenne sa vie en main. D'un pas décidé, l'adolescente monta jusqu'à sa chambre, les yeux d'un gris sombre et orageux.
-Vincent, hurla t'elle de là-bas, réchauffe le repas !
-Yes, Lady, exécuta l'homme du rez-de-chaussée.
Sa phrase fit sourire la jeune fille. Depuis son plus jeune âge, Vincent faisait partit de sa vie. Et, maintenant, à chaque fois qu'il la sentait d'humeur noir, il lui suffisait de deux mots pour la faire sourire. Deux petits mots qui prouvait à Inès qu'elle était précieuse et importante aux yeux de tous. Car il obéissait, n'est-ce pas ?
La chambre de la jeune fille n'était pas vraiment grande, ni vraiment petite. Vingt-sept mètre carré, un lit deux places azur, de la moquette turquoise, un grand veluxe, une commode, une coiffeuse, un bureau et un grand coffre, le tout dans des couleurs et des teintes clairs, comme le bleu et le blanc.
La pièce n'avait pas changé depuis son entrée à l'école primaire, en quittant ainsi le rose de la maternelle et des princesses toutes de paillettes et de fleurs. Soupirant d'aise, l'adolescente saisit un coffret en velours bordeaux, ainsi qu'un archet en bois noir lustré, et se retourna vers son pupitre, où reposait une partition.
"Caprice, op. 29" de Karel Lipinski. Son morceau préféré entre tous, qu'elle apprenait et entretenait avec soin, et qu'elle se faisait un plaisir de jouer devant un Vincent souriant, comme toujours. Ses parents, c'était autre chose, comme toujours. Ils n'étaient là que rarement, malheureusement.
-Miss ? appela Vincent du rez-de-chaussée, votre mère a laissé un message dans la cuisine.
-Ah ? Soit, je descend dès que j'ai finis.
Et, alors que l'homme s'en retournait au repas, les premières notes légères et cristallines s'élevèrent. Inès était douée, très douée, incontestablement, et même plus. C'était un prodige. Fredonnant en même temps les notes, que son excellente mémoire lui permettait de retenir aisément, elle s'évadait ainsi.
Un moyen, peut-être, d'oublier qu'elle n'était qu'une gamine capricieuse, égoïste, froide et sans cœur. Vraiment ? Vraiment. Et elle l'assurait pleinement. Jamais, elle n'avait regretté aucun de ses actes. Jamais, elle ne s'était posé de questions sur ce qu'elle faisait. Jamais, elle n'avait dit pardon.
Environ une demi-heure après, elle était dans la cuisine, attablée en face de Vincent, qui, pour tout dire, faisait un peu parti de la famille Rose. Un baby-sitter, chauffer, cuisinier, ménager, et un grand frère. Le rôti de veau n'était ni trop chaud ni trop froid, la sauce bonne, et il avait même préparé un rapide dessert pour la jeune fille. Une salade de cinq fruits. Pomme, fraise, framboise, poire et pêche. Il savait ce qu'elle appréciait.
-Demain midi, il faudra allez acheter une nouvelle corde pour mon archet, rappela distraitement Inès, la mienne est presque cassée, et mon cours est demain soir.
-Oui, mais n'oubliez pas que vous avez cours de danse dans l'après-midi.
-C'est vrai. Alors tu te débrouilleras.
-Une corde de chez Mino's ?
-Hum... je ne sais pas, réfléchit la jeune fille en triturant son assiette, les yeux dans le vague, peut-être... hum... Non, tout compte fait, ce serait mieux que tu ailles à Music Valley.
-C'est moins cher, c'est vrai, mais la qualité...
Les yeux d'un gris anthracite orageux de l'adolescente plongèrent dans ceux, clairs, de l'homme, qui, son sempiternel sourire au lèvres, attendait son approbation. Il avait raison, comme toujours.
-Très bien. Vas là-bas, et ne m'en parle plus, décréta t'elle.
Et, fière poupée au cœur de glace, elle sortit de la pièce, le salon, suivit par un agaçant sourire et des yeux pâles.
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