Rose-Marie et moi

Rose-Marie m'a installé chez elle. Dans sa chambre d'amis. C'est douillet et un peu kitsch. Je ne suis pas fan de sa déco, mais je ne vais pas faire la fine bouche. Vu les circonstances, c'est déjà pas si mal que je dorme dans un vrai lit.

Dans la voiture, quand elle m'a ramené de la gare, elle n'a pas trop cherché à me poser de questions. Elle m'a plus ou moins raconté ce qu'elle avait compris de la situation.

Les parents Eisenduler avaient fini par s'inquiéter de la disparition de Sosnowski. Au bout de quelques jours, ils avaient décidé de forcer son bureau et avaient fouillé toutes ses notes à mon sujet. Le journaliste ne leur avait pas tout révélé ce qu'il avait découvert. Il préférait garder le plus croustillant pour lui. Ils étaient revenus rôder près de chez moi pour m'épingler et m'emmener de force à la gendarmerie. Une idée stupide, mais le Lieutenant-Colonel retraité Eisenduler avait une haute opinion de lui-même. Il pensait avoir l'autorité suffisante pour me contraindre. Finalement, c'était ce con de Maxence avec sa crise de nerfs qui m'avait sauvé. Après leur scène de bagarre, les deux Eisenduler étaient partis voir le juge avec des extraits du dossier Sosnowski. Pendant ce temps, Maxence tirait les vers du nez d'Esther, jusqu'à ce qu'il se rende compte que je la tringlais depuis des semaines.

Par un curieux hasard, tout ce petit monde accompagné des gendarmes s'était réuni pratiquement au même moment devant chez moi.

Au moment où Rose-Marie était partie, le juge d'instruction faisait sauter la porte de ma maison et ordonnait la fouille. Ma voiture avait déjà été embarquée la veille, lorsque le juge Besnard avait communiqué le numéro de plaque aux gendarmes de la ville. Un mandat de recherche allait être diffusé dans toute la région dès le lendemain matin. Ça Rose-Marie, l'avait entendu en laissant traîner ses oreilles devant chez moi, quand le juge et les gendarmes étaient ressortis bredouille de ma maison. L'entrée était mise sous scellés en attendant l'arrivée des experts le lendemain. On allait fouiller tous les recoins de mon domicile pour trouver des preuves.

Rose-Marie m'avait préparé du thé. On était assis tous les deux sur son canapé. Il était presque deux heures du matin quand j'ai commencé à lui raconter ma version des faits.

Oui, je savais que Mirabelle se droguait et je l'avais laissé faire.

Non, je n'avais pas tué mon voisin André.

Oui, Sosnowski était persuadé du contraire et je savais que lui et les parents Eisenduler enquêtaient sur moi.

Oui, Maryline était plus ou moins morte à cause de moi.

Oui, j'avais couché avec Esther juste pour faire chier Maxence.

Non, je n'étais pas secrètement amoureux de Rose-Marie.

Oui, je mentais sur ce dernier point.

Depuis des années et parce que je cachais à tout le monde un terrible secret.

Quand elle a voulu savoir de quel horrible secret je parlais, j'ai voulu lui montrer.

Je lui ai dit de bien regarder le cône d'encens qui était en train de brûler dans la petite coupelle sur la table basse. Je me suis concentré sur la soucoupe et Rose-Marie s'est brusquement raidie. Et je n'ai rien pu soulever.

Elle a attrapé sa nuque et m'a demandé si c'est moi qui lui faisait ça.

— Faire quoi ?

— Ce truc, là ! Les picotements derrière ma tête.

— Mais non !

— Mais si ! À chaque fois que je te vois, ça me picote dans la nuque.

— C'est juste ton tic nerveux, ça.

— Je n'ai pas de tic nerveux.

— Mais si ! Tu te masses tout le temps la base du cou. Tu t'en aperçois même pas.

— Non. Je sens juste une sorte de chaleur bizarre quand tu es dans les parages. Et c'est encore plus fort quand tu me regardes avec ton drôle d'air.

— Quel drôle d'air ?

— Ben quand tu me mattes comme si tu essayais de savoir ce que je porte sous mes fringues.

— N'importe quoi ! J'ai jamais fait ça !

— Si tu le fais tout le temps. Surtout quand j'ai le dos tourné.

— Si tu as le dos tourné, comment tu peux savoir que je te regarde !

— Je le sens. C'est tout.

— Mouais.

— Bon, alors ? C'est toi ?

— Non.

— Qu'est-ce que tu voulais me montrer alors ? C'est quoi ton histoire d'encens ?

— Attends : regarde bien.

— Aïe ! Tu vois, tu recommences.

— Bizarre... d'habitude ça marche.

— Arrête ! Tu me fais mal.

— Mais je te touche même pas, greluche !

— DIDIER !

Et là, c'est moi qui me suis raidi. Impossible de bouger. Genre : tétanisé. Et elle, elle me regardait avec une sorte de... d'intensité dans le regard. Ça m'a rappelé moi au début, quand je découvrais mes pouvoirs.

— Rose-Marie ? Il se passe quoi, là ?

— Putain, Didier, j'en sais rien. Je me sens toute bizarre d'un coup.

— Ok. Calme toi. Relâche moi.

— Comment je fais ?

— C'est de la télékynésie. C'est un peu compliqué à expliquer. Il faut que tu te détendes.

— Ok. Je vais essayer.

— Bon. Très bien. Maintenant, tu respires doucement et tu me laisses faire.

— Laisser faire quoi ?

— Regarde la coupelle.

Et j'ai soulevé la coupelle ! Mais j'ai forcé comme un malade. Genre pour la déplacer de trois centimètres au-dessus de la table basse.

— Waow ! Et c'est toi qui...

— Aïe ! Putain ! Rose-Marie, ma tête !

— Quoi ? C'est moi qui ait fait ça ?

— Tu m'empêches de... Ah ! Laisse moi respirer !

— Putain, Didier ! C'est quoi ces conneries ?

— Mais merde, Rose-Marie ! Toi aussi t'en es une !

— Une quoi ?

— Une comme moi. Une surfemme !

On a passé le reste de la nuit à tester nos pouvoirs. Je lui ai expliquer les miens. On a tenté de comprendre les siens. On s'est rendu compte, que Rose-Marie réussissait à détecter le mien dès que je la scannais ou que je tentais de faire bouger un truc. Même à travers les murs. Même à l'autre bout de son jardin et les yeux fermés. Le plus étonnant, c'est que son pouvoir bloque le mien.

Au bout de deux heures, elle arrivait plus ou moins à moduler ses capacités pour me laisser utiliser le mien, le baisser ou le bloquer. J'ai vite compris qu'elle n'était pas télépathe.

D'un côté, j'étais presque content d'avoir découvert une personne dotée de pouvoirs. Une personne adulte, de mon âge et pas une bande de gamins enrôlés dans je ne sais quelle organisation secrète et prêts à me poursuivre.

D'un autre côté, ça me faisait chier que Rose-Marie ait un pouvoir capable de détecter et d'annuler le mien. C'était râpé pour lui écraser la tête avec un gros rocher. Mais en réalité, je n'avais plus très envie de la buter. J'en avais jamais eu envie. Je crois.

Au milieu de la nuit, je lui avais raconté à peu près tous mes déboires depuis mon adolescence. J'ai quand même passé sous silence deux ou trois détails, genre les morts un peu injustifiées et le car de scouts. Je ne voulais pas non plus tout lui dire. Je lui ai avoué pour Maxime, le connard qui voulait violer les filles au lycée. Et puis aussi pour Sosnowski – en évitant les éléments les plus glauques de sa mort – parce qu'il constituait une véritable menace pour moi.

J'ai fini aussi par lui dire qu'on était en danger. Qu'il existait une sorte de brigade secrète constituée de jeunes monstres comme nous, sans doute pilotée par une section ultra-secrète de la gendarmerie et qui s'apprêtait à nous attraper. Il fallait qu'on se barre tous les deux, loin d'Angevilliers.

Elle a regardé l'heure sur son téléphone et a dit qu'elle devait quand même dormir quelques heures avant d'aller au boulot.

J'ai commencé à protester, mais elle m'a dit que si on voulait éveiller les soupçons, la pire chose à faire, c'était de changer son quotidien.

J'étais recherché et elle serait sans doute surveillée à son tour si on remarquait son absence au bureau.

On était jeudi matin. Demain soir elle serait en weekend et on y verrait plus clair pour réfléchir à tout ça.

Elle me montra sa chambre d'ami et m'embrassa avant de monter dormir dans sa chambre.

Je m'écroulai dans son lit et m'endormis aussitôt tout habillé. 

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