Moi et Mylène Farmer

J'ai jamais pu blairer Mylène Farmer.

Encore moins ses fans. Le lien évident entre les mots fans et fanatiques prend tout son sens avec les admirateurs de cette vieille morue. Je n'ai jamais vu plus hargneux et plus pathétique qu'un fan de Mylène Farmer.

Dès que je suis entré dans la salle de concert ça m'a tout de suite gonflé. Des milliers de débiles extatiques crevaient d'impatience – dont la moitié étaient déjà en transe et aux bords des larmes.

Il y a eu une première partie interminable – surtout minable d'ailleurs – avant le début du show. Je voulais que ça se passe très vite : j'avais pas non plus envie de me farcir tout le concert. Avec la télékynésie, j'ai un peu testé la résistance des perches et du matériel suspendu au-dessus de la scène. J'ai scanné tout le bazar technique et j'ai fini par comprendre comment ça marchait. Il y avait des câbles, des spots de lumières, des grilles et des mousquetons de sécurité. J'ai repéré un gros bloc de lumière et j'ai commencé à le débrancher et jouer avec son câble de sécurité. Il me paraissait assez gros pour écrabouiller la tronche de l'autre chouineuse. Il ne restait plus qu'à attendre qu'elle arrive et se poste à peu près en dessous. Au pire du pire, je pourrais toujours dévier la course du spot pour le lui balancer en pleine poire. Ça allait être magistral. J'imaginais déjà le contenu de sa petite tête de fouine arroser tout le premier rang.

Par contre, depuis que j'étais dans la salle, je me sentais bizarre. Genre, vraiment bizarre. Une sensation que je ne connaissais pas, une sorte de poids et de malaise diffus. Un peu comme si j'allais être pris sur le vif, comme s'il y avait des centaines de gendarmes dans la salle qui connaissaient tous mon visage et qui s'apprêtaient à me tomber dessus d'une seconde à l'autre.

Le gros stress.

Et ça ne venait pas de moi. Non, ça émanait de la foule.

Et puis soudain : une voix dans ma tête.

Je veux dire : pas le genre où c'est moi qui me parle à moi-même dans mon esprit.

Non. La voix de quelqu'un d'autre dans mon crâne. Comme si on me parlait au téléphone de l'intérieur.

Salut !

Je me suis retourné, j'ai regardé le public autour de moi, scruté toutes leurs têtes de shampouineuses et de garçons coiffeurs...

N'aies pas peur.

Bordel de merde !

Oh ! On a réussi. On en a trouvé un ! C'est trop cool !

Taisez-vous ! C'est à moi de lui causer ! C'est mon taf.

Oh ! Ça va !

Solveig : tais-toi ou sors de la sphère. Obéis aux ordres : c'est à Malika d'établir le contact.

Ils étaient plusieurs. J'entendais deux voix de filles et une de mec. Des voix jeunes. Des ados.

Je transpirais, je tremblais, je suffoquais et mon pouvoir commençait à partir en couille.

Bonjour. Si tu arrives à nous entendre, c'est parce que comme nous, tu es différent des autres humains. Tu l'as toujours su depuis le début de ton adolescence. Tu ne dois pas avoir peur. Nous aussi nous sommes passés par ce premier contact. Il peut être déstabilisant et... merde, c'est quoi la suite ?

... déstabilisant et effrayant.

Ouais : déstabilisant et effrayant. Mais ne t'inquiète pas. Écoute ma voix. Respire doucement. Assieds-toi si tu en ressens le besoin. Nous allons à présent nous concentrer pour essayer de te localiser. Focalise ton attention sur ma voix. Tu es en sécurité. Nous sommes comme toi : des êtres spéciaux. Nous sommes amicaux. Nous ne te voulons pas de mal. Bientôt, tu seras toi aussi parmi nous et nous t'expliquerons tout. D'où te viennent tes pouvoirs et comment nous t'avons retrouvé. Tu n'es plus seul. Dis-moi ton nom. Moi, je m'appelle Malika.

Il est en train de se refermer.

Il est en panique.

Taisez-vous putain ! Je suis en train de le perdre.

La vache ! Vous sentez ça ?

Ouais ! Il est... J'ai jamais senti un truc pareil !

Mais c'est qui ce type ?

Il est surpuissant. On dirait... un dieu.

Il est en train de sortir de la sphère !

Putain ! Mais vous sentez ses ondes ? Il est plus fort que nous tous réunis !

J'étais roulé en boule, recroquevillé sur moi même près du sol. La foule s'est resserrée autour de moi quand le concert de Mylène Farmer a débuté. On m'a bousculé, piétiné et c'est sans doute ça qui m'a sauvé. J'ai éteins mon pouvoir. Pour la première fois, je me suis rendu compte que je pouvais le mettre en sommeil. Le scan, la conscience des objets, des gens. J'étais volontairement redevenu un type normal. Lambda. Privé de mes capacités.

Je me suis relevé et j'ai fendu la foule vers la sortie la plus proche. Pas en courant. Pas dans un état de panique. J'ai fait semblant d'être calme et je me suis faufilé dans les gradins et les coursives. J'ai esquivé les flics et les types de la sécurité, l'air de rien et j'ai disparu dans une bouche de métro. Je me suis planqué dans un coin de gare pendant des heures, en attendant de monter dans un train pour entrer chez moi.

Dans le TGV qui me ramenait à Angevilliers, je me suis assis près d'une manette d'arrêt d'urgence. Juste au cas où. Au cas où des gendarmes ou des agents secrets déboulent dans le wagon. Au cas où je doive arrêter le train, défoncer le sas et me précipiter dehors. Au cas où j'ai besoin de m'envoler pour disparaître dans le ciel.

Après plusieurs centaines de kilomètres dans le train lancé à toute vitesse, je me suis rendu compte que personne ne me poursuivait. Et aussi que mes mains tremblaient. Il faisait nuit. Il était tard. J'étais au bord de la crise d'angoisse depuis des heures. Épuisé.

Bordel. Il y en a d'autres comme moi. Ils sont jeunes et organisés. Ils suivent des protocoles définis et ils récitent un discours à la con écrit pour eux. Écrit par qui ?

J'avais perçu quelques images dans ma tête, durant ces quelques secondes où j'étais dans leur "sphère". J'avais presque entrevus leurs visages. Senti leurs pouvoirs qui fouillaient dans mes souvenirs.

J'ai attrapé mon téléphone. Je voulais parler à quelqu'un. N'importe qui. Ma mère, ma soeur, Jason, Esther. Même Rose-Marie aurait fait l'affaire à ce moment là. Je me suis rendu compte que mon téléphone était éteint depuis la veille, quand j'étais parti pour la gare d'Angevilliers. Je voulais me couper du monde pendant deux jours. Juste deux jours peinard. Sans avoir à réfléchir à tous mes problèmes.

Dès que j'ai rallumé le smartphone, il a commencé à sonner dans tous les sens. J'avais dix messages sur le répondeur. Le dernier appel manqué remontait à moins de cinq minutes.

Le train s'est arrêté. Je suis descendu. Je pensais me faire menotter à peine j'aurais mis un pied sur le quai. Mais non. Personne pour m'attendre. Normal : personne ne savait où je venais de passer les deux derniers jours.

Sur le parking de la gare, à l'emplacement où aurait dû se trouver ma clio, il y avait un vieux break Peugeot tout pourri avec un autocollant "nucléaire non merci" collé au cul.

Ma bagnole avait été repérée. Sans doute saisie. Fouillée. Démontée. Désossée. J'ai baissé la tête et j'ai continué à marcher, l'air de rien, sans marquer de pause à l'endroit où je m'attendais à trouver ma Clio. Je me disais que les caméras surveillaient le parking et que des gendarmes surveillaient les écrans des caméras, quelque part en ville. J'ai marché vers l'arrêt de bus. Je m'attendais à tout moment à me faire alpaguer.

J'ai compris que je ne pouvais pas rentrer chez moi. Et sans doute pas chez mes parents. Ni chez ma frangine. Certainement pas chez Maxence. À la limite chez Jason, ou Jean-Manu. Mais je n'avais pas le coeur à les appeler. J'avais pas envie de me farcir leurs câlins de pitié. Et encore moins de leur expliquer les raisons pour lesquelles j'essayais d'échapper aux gendarmes. De toute manière, ils me dénonceraient à coup sûr, ces débiles.

— Didier ?

— Rose-Marie ? Qu'est-ce que tu fous là ? T'es avec les flics ?

— Non. J'ai réussi à les convaincre que je n'étais au courant de rien. Que j'étais passé chez toi parce que je n'avais plus de nouvelles de toi depuis plusieurs jours et que m'inquiétais.

— Comment tu as su que j'étais ici ?

— Je sais pas. Une intuition. On n'a qu'à appeler ça le sixième sens féminin.

— Arrête ! T'es pas du genre à croire à ces conneries.

— Non, en effet. Ça va, toi ?

— Bof.

— Allez, viens. On va chez moi.

J'ai haussé les épaules. Foutu pour foutu...

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