Moi et Maxime
Le plus dur, c'est de faire face.
La facilité serait de profiter de ma situation pour tout envoyer promener, imposer ma loi et diriger ma vie comme je l'entends.
Manque de bol, ça ne marche pas. J'avais bien essayé d'être un vengeur masqué quand j'étais plus jeune et je peux le dire : c'est la chienlit. En vrai !
Il y a quelques années – je n'étais encore qu'un gamin – j'avais un peu pété les plombs. À vrai dire, j'avais presque envisagé d'embrasser la carrière de maître du monde, comme les vilains dans les films à la télé. Il y avait bien un détail qui m'avait retenu : à la fin, les méchants perdent. C'est systématique. Tous, aussi malins qu'ils sont, ils finissent mal. À part le type super intelligent de Watchmen qui ne s'en sort pas si mal. Lui, c'est une pointure, mais je suis loin d'être aussi malin même si j'ai un QI au-dessus de la moyenne nationale.
À l'époque, vers la fin du lycée, j'avais bien trouvé deux ou trois combines pour me faire un peu de fric ou épater les gonzesses, pourtant, la plupart du temps, elles me prenaient pour une espèce de geek bizarre; pas tout à fait le beau ténébreux que j'essayais d'être alors. De là étaient nées beaucoup de frustrations, comme il en va pour n'importe quel ado. Et puis c'était aussi sans compter sur les raclures de beaux gosses et de brutes qui me tombaient souvent sur le râble parce que j'étais différent. Pas différent comme on pourrait s'y attendre. Je n'ai jamais été assez bête pour révéler ce que j'étais en réalité. Enfin, si une fois. Mais j'avais vite appris à passer le balai derrière moi. Et non, j'étais pas non plus différent dans ce sens là ! J'ai toujours aimé les petits culs avec des hanches un peu rondes. Et j'ai jamais eu d'a priori sur les boobs : petits, gros, moyens, tant qu'ils tiennent au creux de la main, je ne me formalise pas. Remarquez, c'est pas que je suis anti quoi que ce soit. Je n'ai rien contre les gays et les lesbiennes et autre bizarrerie incompréhensible de genre ou de sexualité alternative. Au contraire, je suis plutôt bien placé pour savoir quel effet ça fait de ne pas entrer dans le moule.
Niveau filles et relations intimes, concrètement, on ne peut pas dire de moi que je suis un chaud lapin ou un séducteur. De manière générale, j'essaie de me tenir à carreau en ce qui concerne ces choses-là. En fait, je crois que ça ne m'intéresse pas plus que ça. Je préfère ma tranquillité. Mais les filles sont folles et même si je ne cherche pas à aller vers elles, il s'en trouve toujours deux ou trois pour s'intéresser de trop près à mes affaires. La plupart du temps il s'agit de gonzesse borderline en manque d'affection et qui veulent jouer à la maman avec moi. Je pense que c'est dû à mes faux airs – forcés – de gentil garçon aimable. Mais, perso : ça me gonfle de sortir avec des tarées. Du coup, avec l'expérience, j'ai dû apprendre à esquiver.
Bien sûr, ça n'a pas toujours été le cas. Quand j'étais adolescent, je voulais vivre comme n'importe quel autre garçon de mon âge : être accepté, ne pas être mis à l'écart de l'univers, avoir une copine et tirer mon coup comme les autres. Hélas, on n'a jamais ce qu'on veut ! Alors, j'ai triché. Un peu.
Tout ça pour dire que, oui, à une certaine époque, quand je devais avoir dix-sept ou dix-huit ans, je me suis un peu laissé aller. L'appel de la violence, le côté obscur, tout ce qu'on peut imaginer. En gros, j'ai un peu abusé de mes pouvoirs et disons que j'avais accumulé depuis déjà pas mal de temps une certaine colère en moi. Entre les râteaux des meufs, les petites hontes de la cour du lycée, les notes pas folichonnes en fin de trimestre et mon physique de babtou fragile, ce n'était pas la joie. Sans compter qu'à l'époque j'essayais aussi de me persuader que je n'étais pas un monstre. En fait, je n'étais pas populaire malgré mes efforts factices et peu crédibles. La classe, on l'a ou on ne l'a pas. Moi je ne l'avais pas.
Depuis mes onze ans, j'avais plus ou moins refoulé mon pouvoir. Genre psychose, mal-être, horreur et abîme sans fond. Se découvrir doué, ce n'est pas drôle. L'école, la famille, la télé-réalité, toutes ces idioties nous incitent à viser la normalité et à ne pas sortir du rang. Déjà quand je pensais à comment on traitait les gothiques ou les jeunes un peu bizarres au collège puis au lycée, ça ne donnait pas trop envie de s'affirmer ou de prendre des risques sociaux.N'empêche que, un jour un peu avant les examens, j'ai lâché la pression et je me suis finalement occupé de ce crétin de Maxime. Dire qu'il me chauffait les nerfs depuis le début la rentrée scolaire, serait un doux euphémisme.
Je ne sais plus pourquoi il m'avait dans le pif, mais ça prenait des proportions démentes au fil des mois. Je crois qu'une fois, en tout début d'année de terminale, il avait mal vécu que je lui mette une branlée pendant un match de basket. Peut-être que dans le feu de l'action, pris par l'envie de m'intégrer, j'avais un peu eu recours à ma télékinésie. Un tout petit peu. Genre pour placer quelques paniers et l'empêcher de marquer. Sans doute. Quoi qu'il en soit, c'était très discret.
Le fait est que je me sentais de plus en plus à l'aise. C'était la rentrée, j'étais dans une nouvelle classe, il y avait des filles mignonnes, j'avais envie de me mettre en valeur. Pendant le match j'en ai profité pour lancer des œillades à Margaux et lui glisser un ou deux compliments.Je n'avais pas bien imprimé une information essentielle, à savoir que cet abruti de Maxime avait précisé dès la première semaine de cours que Margaux serait son objectif de l'année et qu'aucun mec de la classe ne devait tenter quoi que ce soit tant qu'il ne l'aurait pas sautée.
Maintenant que je m'en souviens, c'était ça le point de départ. Ce guignol avait réellement cru que je lui faisais de l'ombre. En plus je n'avais pas été malin et surtout trop sûr de moi, j'avais dû lui sortir une connerie du genre "premier arrivé, premier servi !". Juste pour la boutade.Je ne pensais pas qu'il me mettrait un pain dans la tronche à peine arrivé aux vestiaires.
Très vite après cette première altercation, ce fut l'escalade. Maxime était devenu le leader d'une bande de bouffons sans personnalité ni respect pour eux-mêmes et je m'étais vu relégué au rang des crevards, entre deux ou trois autres nerds et psycho-débiles. Quelques mois plus tard, la blague continuait et c'était devenu un réflexe de la plupart des mecs de me coller des beignes à la moindre occasion, de renverser des gobelets de café bouillant sur ma chemise ou de voler mon cartable pour pisser dedans.
Cette année de terminale fut donc relativement pénible pour le jeune Didier que j'étais.Au mois de mai, quelques jours avant les épreuves du baccalauréat, la classe avait été gratifiée d'une excursion au grand air en vue de se détendre un peu avant la période des révisions. La belle affaire !
On nous avait installé dans un car scolaire en direction d'un site archéologique quelconque, sous prétexte qu'un sujet sur les Vikings, les Normands ou une vieille peuplade anodine était susceptible de tomber au bac. Entre deux rangées de menhirs, Maxime faisait son show. Il n'était pas parvenu à conclure avec Margaux depuis sa promesse solennelle à tous les autres mecs – ce qui ne l'avait pas empêché selon ses dires de serrer une ou deux autres filles entre temps – et, à bout de patience, il avait fini par opter pour une approche plus directe à base de mains aux fesses et de dialectique sordide. Je pense qu'il voulait l'avoir à l'usure. J'avais pitié d'elle.
De mon côté, j'avais perdu tout espoir d'intéresser n'importe quelle fille de la classe, jusqu'aux pires cageots. Être le souffre-douleur de l'année n'était pas un argument de séduction valable, même auprès des filles gentilles et compatissantes : il y avait trop de risques à prendre ma défense ou montrer le moindre signe de charité.
Mais le traitement que cet enfoiré de Maxime infligeait à cette pauvre gamine me révoltait. J'avais entendu plusieurs fois ses copines tenter de l'encourager à se plaindre auprès des surveillants, mais Margaux souhaitait avant tout qu'on lui fiche la paix. Quelque part, elle avait déjà bien intégré sa place de femme dans la société.
Je suivais de loin les tentatives de plus en plus lourdes et brutales de Maxime, jusqu'au moment où il profita d'une occasion idéale, sans doute aidé par des complices aussi mesquins que crapuleux, pour se trouver seul en tête à tête avec Margaux sous l'abri frais et épais d'un dolmen millénaire.
Je m'étais approché, sans même une idée de la manière de désamorcer le piège. Je le voyais l'acculer au fond de la cave, menaçant et prêt à lui bondir dessus. Quand il lui saisit les cheveux d'un air triomphant en lui disant des horreurs du genre qu'il allait lui fourrer sa queue dans ses orifices vierges, j'avais foncé.
S'en était suivi un long chapelet d'insultes et de menaces, mais je tins bon et il finit par lâcher Margaux. Je dis à la fille de se barrer sans regarder derrière. Elle me toisa d'un air bizarre que je ne pris ni pour de la gratitude ni pour du soulagement. Plutôt pour une sorte de dégoût hautain.Maxime fit un pas vers moi. Un seul.
Je n'avais encore jamais eu l'occasion d'apprendre à canaliser ma force télékinésique : je passais en pilote automatique sans trop savoir où je voulais en venir, mais j'aimais la sensation de puissance de ce moment.
Maxime ne pouvait plus bouger malgré ses efforts considérables et ses cris de rage. Je le maintins immobile quelques instants et je reculai pas à pas vers la sortie. Je me souviens m'être cogné l'arrière du crâne car les dalles du mégalithe étaient très basses. Mais je gardai ma poigne psychique enroulée autour de lui jusqu'à ce que je fus dehors.
Là, je lâchai et fis s'écrouler le monument préhistorique.
Ce qui m'étonna le plus sur le coup, ce fut l'absence de vacarme. Même le cri de Maxime avait été étouffé. Personne ne s'était aperçu de rien; Margaux était déjà loin. Il n'y avait eu aucun témoin de la scène alors que je m'attendais à entendre des hurlements de terreur, des sirènes d'alarme et voir des dizaines de flics surgir de nulle part pour me menotter et me gazer – pourquoi je pensais à ça ? la trouille, sans doute. Je m'étais penché sur l'amas de pierres et j'essayais de voir ce qu'il restait de Maxime. Je ne vis ni n'entendis rien. Je l'appelai pour savoir s'il était encore vivant, allongé à plat ventre sous les roches. Rien du tout. Je regardai autour de moi et vérifiai si quelqu'un se trouvait aux alentours. Personne.
Afin d'être tout à fait certain de mon massacre, je fis trembler l'amas de gros cailloux pour piétiner la carcasse de Maxime. Avec le plus de soin et de discrétion possible. Puis je rejoignis le reste du groupe.
En chemin j'avais échafaudé un alibi, comme quoi je m'étais perdu en allant aux toilettes mais tout le monde s'en fichait de moi et je n'avais même pas eu à m'excuser de quoi que ce fut. Le reste de la journée se déroula sans encombres jusqu'à ce qu'on regagne le car. Là, les profs qui nous accompagnaient avaient vite constaté la disparition d'un élève.Ça avait fait des histoires, râlé un peu et les profs avaient finalement prévenu les gardiens du site. La ronde avait duré presque une heure jusqu'à ce qu'un employé s'aperçoive de la chute du dolmen.
Inexplicable.
C'était le titre de l'article dans le Ouest-France qui racontait comment un garçon de dix-sept ans avait été écrabouillé par l'effondrement d'un mégalithe sur un site accueillant des milliers de visiteurs par an.
J'avais secrètement espéré que Margaux vienne me dire merci à un moment ou un autre, mais elle avait gardé la même attitude envers moi que pendant tout le reste de l'année : elle m'ignorait et ne m'adressait jamais la parole. Après les résultats du bac, je ne la revis plus jamais. Quelques années plus tard, j'appris un peu par hasard qu'elle était morte dans un accident de plongée aux Seychelles à l'âge de dix-neuf ans.
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