Moi et les to-do-list
J'ai pris des vacances.
J'ai besoin de réfléchir.
J'aime bien réfléchir, assis contre mes oreillers, coincé entre mes draps et ma couette. Le matin, au calme, c'est le meilleur moment de la journée.
Je me suis fortement retenu d'ouvrir une boîte de céleris rémoulade parce que quand je fais ça, j'ai tendance à broyer du noir et me morfondre. Et là, c'est clairement pas le moment pour se laisser aller à la déprime. J'ai ni le temps, ni l'envie.
J'ai pris un carnet, un crayon et j'ai essayé de récapituler tous les points merdiques de ma vie. Puis je les ai rangé dans l'ordre idéal de résolution. Histoire de les traiter un par un.
Je n'ai pas réussi : tout me semble plus ou moins lié et je ne sais pas par où commencer.
Hier, après que Gérald m'ait tout balancé à propos de Sosnowski et des parents Eisenduler, je suis parti ramener la voiture d'entreprise au siège du Crédit Angevillin. Je suis monté à mon bureau et j'ai effacé l'historique de mes recherches internet. J'ai viré les cookies et les onglets "favoris" des sites internet de Synesthésia, PsychoMag et du Nouvel Enquêteur. J'ai fouillé dans tous mes tiroirs pour bien vérifier qu'il ne restait aucun article découpé ou imprimé et je suis passé voir Rose-Marie à la RH pour lui dire que j'avais besoin de vacances.
Elle était en réunion cette conne.
J'ai hésité à l'appeler sur son téléphone perso. J'ai hésité pendant trois heures parce que je n'arrivais pas à me souvenir si j'étais sensé connaître son numéro ou si je l'avais dans mon répertoire après avoir fouillé dans son bureau un jour qu'elle était occupée ailleurs.
Quand je l'ai appelé, elle m'a tenu des propos trop chelous. Je crois qu'elle était à moitié bourrée. Elle m'a finalement accordé une autorisation exceptionnelle pour poser quelques jours de congés. Pour qu'elle cède j'ai dû lui promettre de sortir boire un verre. Pute ! Si elle insiste, je lui dirai que je suis en train de refaire ma vie avec Esther. On attend qu'elle divorce de Maxence pour se marier. Ça devrait suffire à calmer Rose-Marie.
J'espère. Je ne suis pas sûr parce qu'elle avait déjà l'air de s'en foutre à l'époque où je fricotais avec Mirabelle. Je crois qu'elle ne comprend pas très bien la notion de couple.
Sur ma liste il y a donc écrit dans l'ordre :
- tuer Sosnowski
- tuer Eisenduler x3 (mention rayée)
- tuer Eisenduler x2
- rompre avec Esther
- trouver le coupable du meurtre d'André
- prouver mon innocence
- changer de boulot
- changer de ville
- couper les ponts avec ma famille
- arrêter d'aller au Buffalo Grill
- recoller les morceaux avec Mirabelle
- reprendre une vie normale
Là, tout de suite, en relisant ma liste, je me dis que je ferais mieux de me limiter à :
- démarrer une nouvelle vie dans un pays pauvre.
Mais en vrai, ça me fait chier. Je n'ai pas envie de tout quitter à cause d'une bande d'immondes trous du cul qui me font chier. Je peux encore sauver la situation. Je veux dire : si je suis méthodique, je peux à la fois résoudre tous ces points, garder ma maison et mon confort et réparer les dégâts avec Mirabelle – qui ira forcément mieux quand ses abrutis de parents seront morts et qu'ils ne feront plus chier.
La clef, selon moi, c'est de me tenir à carreau.
À mon avis, il y a peu de chance pour que Sosnowski et les parents Eisenduler découvrent quoi que se soit de compromettant. De toute manière, je n'ai pas tué André. On ne peut pas m'inculper de meurtre. Pas pour ça en tout cas. Et pour les autres gens que j'ai tué, il faudrait être un sacré malin pour faire le lien entre moi et des corps congelés en orbite. De toute manière, il n'y a aucun lien direct entre tous les cons qui tournent autour de la Terre et moi : je ne tue jamais les gens de mon entourage. Ou alors si je le fais, j'efface les traces en balançant les corps dans les hélices d'un super-Tanker qui passe au large de Sordyds-lès-bains – je ne l'ai fait qu'une seule fois et c'est beaucoup moins impressionnant qu'il n'y parait; en tout cas c'est efficace.
Je reste persuadé que Mirabelle guérira un jour ou l'autre. Comme elle ne se souviendra de rien, on pourra reprendre notre histoire. Et cette fois, je serai moins un connard avec elle et je la protégerai.
N'empêche que ce connard de Sosnowski m'emmerde bien comme il faut. La nuit dernière, j'ai attendu qu'il fasse nuit noire et que les lampadaires s'éteignent dans le quartier pour sortir dehors avec une paire de jumelles. Je suis monté très haut et j'ai observé le quartier. Je crois que j'ai vu sa putain de Citroën verte moisie garée à quelques rues de chez moi. Ce qui voudrait dire qu'il est toujours en planque dans le périmètre. Après, comme il faisait bien noir, j'y voyais couille. Je ne suis pas certain que c'était sa bagnole.
En tout cas, si Gérald a dit la vérité, je dois faire encore plus attention que d'habitude. Je dois me maintenir sous le radar coûte que coûte. Ne rien faire qui sorte de l'ordinaire. Ne rien changer à mes habitudes ou à mon emploi du temps.
Sauf que Sosnowski a mon emploi du temps et que dessus, ce n'était pas prévu que je prenne des vacances.
Erreur de débutant. Voilà. C'est le stress qui me pousse au faux pas. Je vais être obligé d'exécuter mon plan.
Retour aux points numéro 1 et 2 : tuer Sosnowski et les Eisenduler. Au moins, ça sera fait et on n'en parlera plus. En poussant un peu la réflexion, je crois que j'ai un plan parfait.
D'abord, je vais dire à mes proches que je suis en train de subir le contrecoup du meurtre d'André. J'ai voulu faire croire à tout le monde que ça allait, que je n'étais pas très concerné par cette affaire, mais au fond de moi, j'ai eu très peur. J'ai tout intériorisé et maintenant, je dois faire face à mon mal-être. Je vais donc en parler à ma mère, ma pouffiasse de soeur, mes potes du Buffalo grill et je vais écrire un long mail à Rose-Marie pour lui expliquer ma démarche et le besoin de prendre des vacances.
Ensuite, je vais réellement partir en vacances. Pas très loin, mais en dehors de la région quand même. Genre dans un coin de campagne sympa, à la montagne ou au bord de la mer. Là-bas, je vais faire des activités avec des gens. Je vais m'obliger à sympathiser et comme ça j'aurai un alibi solide.
Par contre, la nuit, je m'envolerai en toute discrétion. Les nuits sont encore assez longues pour me laisser le temps de voler jusqu'à Angevilliers, buter Sosnowski et les Eiseinduler et puis revenir. Je sais que théoriquement je peux traverser toute la France de la façade atlantique à la Moselle en moins de trois heures. Du coup, si je suis en vacances à deux ou trois cent kilomètres, ça sera facile et rapide. Le marais poitevin, ça pourrait le faire. Je n'y suis jamais allé et je crois que c'est un peu touristique. Même si ça a l'air bien naze.
Pour buter les trois clampins, je m'y prendrai en deux temps. Une première nuit, j'irai les trouver et je leur donnerai rendez-vous le lendemain à la même heure, dans un endroit désert, genre le petit parc à côté de la rue Louis Jouvet.
La nuit suivante je reviendrai un peu plus tôt pour les observer. Au moment où leurs bagnoles arriveront, je les élèverai dans le ciel et je transporterai tout le merdier avec les connards coincés à bord. Je volerai avec les deux bagnoles vers la mer et je balancerai le tout très loin du rivage. En poussant bien pour que les carcasses restent tout au fond pour la nuit des temps. La solution Atlantique me parait plus réalisable que l'expulsion dans l'espace. Je ne sais pas si une voiture pourrait rester en orbite. Et puis une carcasse de Citroën, je ne sais pas, mais peut-être que ça risque de cogner contre un satellite de téléphone ou de télé ou de Gendarmerie et ça risque de causer des emmerdes plus tard. Autant éviter.
Non. Mon plan est parfait ! En plus il a l'avantage de revêtir un petit côté ironie du sort qui n'est pas pour me déplaire. Le clin d'oeil aux noyés de la Sordyds, ça leur fera les pieds à ces trous du cul.
Et moi, je me réveillerai le lendemain matin, bon pied, bon oeil et j'irai prendre le café au troquet du coin, là-bas dans le Poitou, et je taperai la discussion avec des gus qui pourront tous témoigner que ma bagnole n'a jamais quitté le parking de mon auberge pendant toute la durée de mon séjour.
Irréprochable. Innocent.
Bien entendu, le gendarme Ziller et ce crétin de juge d'instruction viendront me poser des questions. Ils diront que c'est fichtrement bizarre que Sosnowski et les Eiseinduler ont eux aussi disparu alors qu'on m'a vu en leur compagnie plusieurs semaines auparavant.
Là, je dirai la vérité : Sosnowski me poursuivait et avait réussi à convaincre les parents Eisenduler que j'étais responsable de la maladie de leur fille, ce qui est d'ailleurs totalement faux.
Les parents de Mirabelle m'en voulaient terriblement parce qu'ils étaient incapables de faire face à leurs propres problèmes familiaux; j'étais donc le bouc émissaire désigné.
Quand Sosnowski est venu les trouver, ils ont sauté à pieds joints dans son délire, convaincus par ses talents de bonimenteur. Le gendarme Ziller et moi-même avons déjà eu cette conversation il y a quelques temps, il pourra en témoigner.
En réalité, Sosnowski m'a dit à plusieurs reprises qu'il comptait bien retrouver sa célébrité en enquêtant sur moi. Pour preuve, Monsieur le Juge n'aura qu'à regarder de plus près tous les documents photographiques et vidéos prises par ce fou furieux : on m'y voit avoir une vie tout à fait normale durant des semaines et des semaines. À la fin, comme ça devenait du harcèlement moral, j'ai craqué et j'ai pris des vacances.
Je pense que ces trois tarés ont quitté la ville pour essayer de me suivre en vacances. Ils sont sans doute à l'heure actuelle en train d'enquêter sur mes faits et gestes dans un petit village pittoresque à quelques centaines de kilomètres d'ici.
L'enquête piétinera avant d'être abandonnée. Moi, je passerai voir Mirabelle à la clinique et tout le monde comprendra que nous nous aimons et qu'en réalité je n'ai toujours aspiré qu'à prendre soin d'elle. On nous fichera la paix et la vie reprendra son court.
Emballé, c'est pesé !
Non. En fait, j'y crois pas trop. Mais je vais quand même tenter de suivre ce plan, parce que pour l'instant, je ne vois pas d'autres alternatives. Au pire du pire : j'improvise et je me casse du pays avec le passeport de Marc Chandellier et tous mes biftons. Après tout je suis encore jeune et il n'est pas trop tard pour recommencer ma vie ailleurs.
Sur le chevet, le téléphone vibre. Un connard quelconque vient de m'envoyer un sms.
Hey Didier : t'as pas oublié ! tu nous rejoins à la maternité ! Le petit Philémon est né hier ! On y va tous pour 11h30 ! A toute à la clinique Didi !!!!!
Ça vient de ce pignouf de François-Xavier. Et bien sûr que j'ai oublié : j'en ai rien à foutre des naissances, des chiards, des grosses dondons en pyjama qui collent leurs bébés contre leurs gros nibards plein de bave, l'air de rien, pendant que tout un tas de débiles s'extasient et déposent des fleurs et des paniers-cadeaux remplis de trucs bio pour bébés.
Je ne veux pas y aller. Rien que d'y penser, ça m'énerve. Je vais encore rester planter là, sans savoir quoi dire, comme à chaque fois que ça arrive. Tout le monde va me regarder et attendre que je lâche une banalité, genre que le moutard est mignon et qu'il fait un joli poids et qu'on lui souhaite tous le meilleur pour son avenir dans ce monde de merde. Blablabla.
Je vais quand même y aller, parce que c'est justement ce qu'on attend de moi : que je me comporte comme un type normal et tout.
Faudra quand même que je dise à ce couillon de F-X qu'il devrait arrêter de foutre des points d'exclamation tous les six mots : d'après PsychoMag, la multiplication des points d'exclamation dénote un comportement à tendance hystérique.
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