Chapitre 3
Attablée dans la salle principale du restaurant, je dinais avec mes parents. Il était déjà minuit passé. La tradition était toujours la même, un petit encas avant le service et un repas de roi une fois les clients partis. Ce soir, l'affluence de touristes avait été à la hauteur des racontars. Je n'avais jamais vu autant de monde, hormis pendant les plus hauts pics des week-ends de haute saison, en plein cœur de l'été. Dire que nous n'étions qu'en mai.
— Alors la vie à New York ma fille ? Raconte nous tout ! s'exclama mon père en déposant un dernier plat sur la table.
Voici un vaste sujet. Durant l'année, nous nous étions appelés plusieurs fois et nous avions échangé quelques messages, mais je n'avais pas vraiment eu le temps de leur faire un point sur toute cette expérience, sur ce nouveau départ. Et je n'étais pas prête de leur dire que j'avais failli arrêter plus d'une fois pour revenir en pleurant à la maison.
— C'était cool, un peu stressant mais cool.
Mon père leva un sourcil en entendant ma réponse.
— Juste ça ? Juste cool ? New York voyons !
Je comprenais son incompréhension, mais l'année s'était succédée entre beaucoup de galères et je ne savais pas vraiment par quoi commencer.
— Non mais ... c'est une belle ville, c'est sûr, mais je n'ai pas forcément eu le temps de faire vraiment du touriste, les études m'ont pris beaucoup de mon temps et à côté j'avais ce travail en bibliothèque alors ... je ne sais pas vraiment si on peut me considérer comme une newyorkaise.
J'émis un rire léger en me servant des pommes de terres et ma mère passa sa main au dessus de la table pour presser légèrement mon poignet dans un geste affectueux.
— Tu as raison de te concentrer sur tes études ma chérie.
Elle lança un regard à mon père.
— Et toi arrête avec tes questions, on est pas de la police.
Je souris en coin alors qu'elle continuait.
— Je suis pas fière de l'annoncer, mais moi aussi j'ai été à New York il fut un temps, deux ans avant de rencontrer ton père, j'avais presque fugué de chez moi pour fuir mon « horrible » mère.
Elle insista sur « horrible » en riant. Ma grand-mère était une crème.
— Au final, je crois que ça a été une des pires expériences de ma vie. J'étais pas faite pour l'activité d'une ville comme New York, c'était trop grand, ça m'a fait peur. J'ai réalisé que j'étais très bien sur mon île et j'y suis retournée après avoir ravalé ma fierté. Ça correspond pas à tout le monde.
Je sentais derrière son histoire qu'elle tentait de m'influencer, mais ses choix ne pousseront pas les miens. Elle avait raison sur une chose : nous n'étions pas préparés à ça. Mais je ne pense pas que nous le soyons moins que les habitants des campagnes américaines. Ici, tout le monde était chauvin. Pour ma part, j'avais décidé que mon avenir se dessinerait loin de là où j'avais grandi.
— Et les études sinon ? Ça te plait ? me questionna une nouvelle fois mon père avec prudence.
Je picorai dans mon assiette avec enthousiasme. Voilà une chose sur laquelle je pouvais parler pendant des heures.
— Carrément ! C'est assez compliqué, mais ça me passionne vraiment.
Ma mère sourit alors que je continuai.
— Les professeurs sont incroyables et heureusement que j'ai pris des cours renforcés parce qu'ils sont encore plus à l'écoute. Et puis, les infrastructures sont folles. Je crois que je passe plus de temps à la bibliothèque universitaire que dans mon propre appartement.
Ça se ressentait dans ma voix, cette excitation, ce frisson de l'aventure réussie. J'étais fière de ce que je faisais, fière de me dire que quelque part dans le monde il y avait sûrement une place pour moi.
— T'entends ça Jessica ? Notre fille va devenir médecin et elle nous soignera quand on sera vieux et fatigué.
— J'espère bien, avec tout ce qu'on lui fait sur le dos.
La remarque de ma mère était une plaisanterie, mais j'étais très reconnaissante de tout ce qu'ils faisaient pour moi. Mes parents n'avaient jamais failli à leur devoir et si j'arrivais à faire ce que je voulais dans la vie, c'était en partie grâce à eux. Ils préféraient ne pas s'étaler sur ce sujet, considérant que c'était normal de faire pour que je réussisse dans la vie, mais tous les parents n'avaient pas la même dévotion.
— Et la petite Ortega aussi était avec toi dans la promo non ? questionna innocemment mon père.
Pour mon plus grand malheur, oui elle y était. Je ne comprenais pourtant pas ce que ça pouvait leur faire.
— Oui, mais on se parle pas, c'est toujours la même peste qu'ici, sauf que là-bas, elle a trouvé une armée de congénères adhérant à sa secte élitiste.
J'étais amère dans mes paroles, mais je n'oubliais pas sa puérilité et son harcèlement depuis que nous étions des gamines, mais ça, mes parents n'étaient pas forcément au courant. Je ne les mêlais pas toujours à mes petites histoires et ils me considéraient assez mature pour gérer mes conflits relationnels toute seule.
— Fais attention à tes mots mon ange, son père a disparu, je suppose que ça ne doit pas forcément être drôle tous les jours.
Ma mère était trop gentille, trop tolérante. Alyssa passait justement son temps à rire dans les amphis, ça ne manquait sûrement pas d'humour.
— C'est ça qui vous a poussé à pactiser avec Nate ? demandai-je un peu soudainement.
La petite remarque de ma mère m'avait quelque peu irrité. La vie n'était facile pour personne et c'était effectivement triste pour eux qu'ils perdent un parent, mais il n'avait pas le monopôle de la vie de merde. Ils en étaient même plutôt éloignés. La tristesse ne justifiait pas tous les comportements, et surtout, ils n'avaient pas attendu de perdre leur père pour être des abrutis.
— On n'a pas eu pitié de lui si c'est ce que tu entends.
— Alors qu'est-ce qui vous pousse à traiter avec cet idiot ?
J'avais élevé la voix et mes parents se regardèrent, légèrement abasourdis par mon ton. Je me raclai la gorge pour dissiper le malaise, consciente que je n'étais pas avec mes amis mais avec mes parents.
— Je crois qu'on peut gérer nos partenariats comme on veut jusqu'à preuve du contraire, non ?
— Ecoute ta mère, rajouta mon père, nous avons simplement nos raisons.
Alors que la tension venait à peine de redescendre, elle me tirailla à nouveau la nuque. Je n'étais pas forcément intriguée par le sujet de la famille Ortega lorsque j'avais lancé le sujet, mais j'étais maintenant plus qu'interrogative. Pourquoi faisaient-ils autant de secret ? Cette famille avait autant de mystères que Donald Trump avait de neurones. C'était juste des privilégiés qui pensaient dominer le monde grâce à leur argent, rien de nouveau sous le soleil.
— Ça me regarde à partir du moment où je suis peut-être amenée à le croiser tout l'été, maugréai-je, avant vous n'auriez même pas accepté d'avoir un seul contact avec Miles et maintenant vous marchandez avec son fils.
Ma mère leva les yeux au ciel en posant brusquement sa fourchette dans son assiette.
— C'est quoi ton problème exactement Mia ? De quoi est-ce que tu nous accuses ? D'avoir pactisé avec le diable ? Nous avons vu une opportunité et nous l'avons saisi, je ne comprends pas ce qui te dérange là-dedans.
Plus elle insistait, plus je me renfrognai.
— Ce qui me dérange c'est que vous êtes des personnes honnêtes et eux sont loin de l'être, ce n'est pas parce que ce n'est plus Miles qui est à la tête de la famille qu'elle est lavée de tous soupçons, je vous rappelle qu'avant sa disparition il était soupçonné de détournement de fonds !
— Ça n'a jamais été prouvé !
Je me tus brusquement en entendant la réponse de ma mère, déboussolée par ce qu'elle venait de dire. Ce n'était pas comme ça qu'elle m'avait élevé, quelque chose avait changé.
— Donc ça y est ? Vous êtes devenus ce type de nouveaux riches ?
Je les toisais tous les deux alors qu'ils ne disaient rien pour se défendre. Brusquement, je me levais de table en repoussant ma chaise dans un bruit sourd.
— Je vais rentrer toute seule, prononçai-je sans les regarder.
Je récupérai mon téléphone sur la table, ils m'avaient coupé l'appétit.
Alors que je tournai les talons pour quitter le restaurant, la voix de mon père s'éleva, lui qui s'était mis en retrait de ce conflit depuis qu'il avait été lancé.
— On est très loin d'être de nouveaux riches Mia, on est plus dans la phase des nouveaux pauvres.
Je me stoppai et tournai légèrement la tête.
— Comment ça ?
— On a plus d'argent, lâcha ma mère, tous nos comptes épargne sont à sec, on a tout vidé pour te payer l'université. Ce qui fait que nous n'avons plus d'argent de côté, plus rien de prévu pour la retraite. Actuellement, si nous arrêtons de travailler, nous finissons à la rue.
Je déglutis à l'entente de ses paroles et me retournai vers eux. Ils me regardaient gravement et je me sentais honteuse de leur avoir fait une scène, il y a quelques minutes à peine.
— Pourquoi vous me l'avez pas dit ? soufflai-je.
Mon père reposa sa serviette à côté de son assiette sous l'œil attentif de ma mère.
— Parce qu'on est tes parents et que nous n'avons pas à t'infliger nos problèmes financiers. On a toujours dit qu'on te paierait tout ce que tu veux pour tes études, alors on l'a fait. On aurait dû mieux se préparer.
Je comprenais pourquoi ils ne m'avaient rien dit, parce que maintenant je me sentais coupable, comme si je leur avais mis le couteau sous la gorge pour payer mes études.
— Je...
— C'est pour ça que nous avons « pactisé » comme tu le dis si bien, avec Nate, ajouta ma mère d'une voix un peu plus froide, parce qu'il avait besoin d'un service et qu'il payait très bien pour ce service. C'est juste un échange de bons procédés. C'est un bon gars, il n'est pas comme son père. Il a même donné du travail à Jason, malheureusement lui n'a pas voulu saisir cette opportunité et à préférer ses petites combines.
Je fronçai les sourcils à la mention de Jason.
— Nate lui a donné du travail ? répétai-je pour être sûre d'avoir bien compris.
— Oui, et il a voulu en faire qu'à sa tête, au nom de votre guerre débile. Les gens peuvent changer et Jason a préféré ignorer ce changement.
Les sourcils toujours froncés, je ne savais plus vraiment quoi dire alors je me tus. J'étais honteuse des paroles que j'avais tenu. Mon père me tendit sa main pour que je revienne m'asseoir et je m'exécutai alors que ma mère continuait de manger comme si de rien était. Je sentais qu'elle était blessée par mes mots de tout à l'heure et je le comprenais. Ils essayaient juste de faire le mieux pour moi en m'épargnant et je venais presque de les insulter de collabos. Je n'avais pas à être aussi agressive avec le monde qui m'entourait, ici je n'étais plus à New York, j'étais de retour chez moi, personne ne souhaitait me mettre des bâtons dans les roues. Et peut-être même que certaines personnes que je n'aurais pas soupçonné voulaient mon bien.
***
Je me retournai pour la énième fois dans mon lit et regardai l'heure sur mon réveil, il était 5 heures du matin. Le jour commençait à se lever à travers les volets. Je n'avais presque pas fermé l'œil de la nuit.
Le retour à la maison s'était fait dans le silence et mes parents étaient partis se coucher directement à notre retour, épuisés par la journée qu'ils avaient eu. J'avais imaginé ma première nuit ici plus sereinement.
Je me redressai dans mon lit, repoussant mon doudou qui était posé sur ma poitrine et me levai pour m'étirer. Je devais me rendre à l'évidence, ma nuit ne serait pas plus longue. J'avais cette incapacité à dormir lorsque mon cerveau savait qu'il faisait jour, la journée allait être compliquée.
D'un coup d'œil à mon armoire, mon regard glissa sur un de mes shorts de sport qui dépassait et je décidai d'aller courir. Courir à l'aube avait une autre saveur.
J'attrapai mes affaires de sport et partis les enfiler dans la salle de bain avant de faire un chignon rapide pour attacher mes cheveux bruns.
Je descendis les escaliers le plus discrètement possible et filai à la cuisine pour manger un fruit et boire un peu d'eau, histoire de ne pas faire un malaise sur le chemin. Je n'allais pas faire une grande performance, je n'étais pas une professionnelle de la course, mais je voulais me réveiller en douceur.
Dehors, la température était convenable, juste assez fraiche pour que je ne sue pas au premier mètre parcouru. Je glissai mes écouteurs dans mes oreilles et contournai la maison pour déboucher sur la digue où j'entamais mes foulées. Malgré la musique qui pulsait dans mes oreilles, j'entendais les vagues en contrebas. Le reste de l'île était calme, encore endormi alors que le soleil pointait le bout de son nez à l'est. Les levés et couchés du soleil était magnifiques ici, ce n'était pas pour rien que l'île s'appelait Sunset Island.
Je courus jusqu'au port où un bateau était en train de débarquer sa marchandise et continuai jusqu'au bas des falaises. J'aimais bien faire mes étirements ici.
Je retirai mes écouteurs en ralentissant le pas tout en plissant les yeux. Au loin se trouvait une silhouette que j'avais du mal à distinguer. Qui pouvait se trouver à une heure pareil au même endroit que moi ? L'île était certes petite, mais elle était bien assez grande pour le nombre d'habitants que nous étions, encore plus à 5 heures du matin. La probabilité était folle.
Elle était encore plus folle quand je compris quel était l'humain qui se tenait appuyé contre la falaise, jambe en arrière, coincée dans sa main droite. Il dut m'entendre arriver puisqu'il se retourna presque instantanément.
— Mia ? Encore toi.
Il semblait une nouvelle fois tout aussi surpris que moi et je devais sûrement avoir la même expression qu'hier soir.
— Ouais.
Je n'avais aucune mauvaise remarque en stock, ma matinée avait trop bien commencé pour qu'il la gâche. Je me mis dans la même position que lui en silence et il recommença son exercice sans ajouter quoique ce soit.
Le calme était à son comble et je posai mon front contre la falaise en changeant de jambe. Les paroles de ma mère sur Jason hier me revenaient en mémoire. J'avais envie d'interroger le concerné à ce sujet, mais ne savais pas comment m'y prendre sans paraitre suspecte.
— T'as pas bien dormi ? finit-il par me demander en me sortant de mes pensées.
Nate semblait avoir fini ses exercices et s'était adossé à la falaise sans me regarder.
— On peut dire ça, et toi ? L'esprit préoccupé ?
Il haussa les épaules.
— Pas mal, ouais.
Le silence revint, mais Nate ne partit pas, continuant de regarder droit devant lui, les bras croisés sur son torse. Toute son attitude trahissait certains changements, le langage du corps pouvait être impressionnant. Son air détaché était travaillé, il semblait avoir évolué. Enfin, je pensais sans douter que la disparition de son entourage proche avait pas mal participé à cette maturation. Avant il était rare de le croiser seul, toujours flanqué de ses deux acolytes.
— Où sont Garance et Tobias ? le questionnai-je, je t'avais jamais vu sans eux.
Il eut son éternel sourire en coin, révélant ses dents blanches et tourna sa tête vers moi.
— Je pourrais te poser la même question.
— Comment ça ?
— Ils sont où tous tes petits copains ?
Touchée, coulée. Je rompis notre échange de regard et me décollai de la falaise en relâchant mes muscles. La différence était que, lui, il savait très bien où était parti mon groupe, les nouvelles avaient dû faire le tour de l'île et il avait visiblement perdu un employé. Il laissa échapper un rire.
— Tu me fais rire Mia.
Il leva le regard vers le ciel en passant sa langue sur ses lèvres.
— Parfois j'ai l'impression que tu es coincée dans une boucle. Tu réinitialises ta naïveté et tu te fais toujours incroyablement baisée.
Je manquais de m'étouffer face à sa franchise. Il avait l'art de dire beaucoup de mots pour un contenu bien vide.
— Me chauffe pas dès le matin, Ortega.
Ça serait mentir de dire qu'il ne m'avait pas piquer, mais j'aurais préféré qu'il continue de se taire comme il le faisait si bien au début.
— Ne t'inquiète pas, je préférerai toujours chauffer Madame Harisson plutôt que toi.
Il me lança un sourire et plongea sa main dans la poche de son short pour en sortir ses écouteurs.
— Pourquoi t'as donné du taf à Jason ? demandai-je de but en blanc.
Il arrêta son geste et me toisa.
— Qui est-ce qui t'a dit ça ?
— Mes parents, ils m'ont dit que tu avais proposé du travail à Jason avant qu'il...
Ma phrase mourut entre mes lèvres, mais il la finit entre les siennes.
— Finisse au trou, ouais je sais, ce con m'a fait prendre deux jours de retard, je l'avais mauvaise.
Il glissa un écouteur dans une de ses oreilles, comme s'il ne parlait pas d'un être humain, comme s'il ne parlait pas de mon meilleur ami.
— Pourquoi ? répétai-je.
— On a toujours besoin de gens comme lui pour faire le travail de merde, me répondit-il le plus simplement du monde.
Je le regardai en serrant les dents, non en fait il n'avait pas évolué, il restait toujours aussi con. Avec ou sans ses amis. Je m'apprêtai à lui répondre avec une remarque bien placée, mais il m'arrêta d'un geste de la main.
— Et ça ne sert à rien de dire quoique ce soit.
Il glissa son second écouteur dans ses oreilles et les tapota de l'index sous mon regard abasourdi.
— Je ne t'entends plus.
Coite, je le regardai s'éloigner en petites foulées comme le parfait des enfoirés.
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