Prologue
Quelques fringues dans un sac poubelle, c'est tout ce qu'il me reste de mon chez-moi. Ancrée dans le canapé de Brooke, je contemple la poisse intersidérale qui constitue ma vie. Je voudrais que ses larges coussins en cuir m'avalent toute crue tant je ne vois aucune autre solution à ma situation.
— Quelle horreur !
Les traits fins de ma meilleure amie se parent d'une mine choquée alors qu'elle découvre les dégâts de mon appartement. Elle inspecte les photos sur mon téléphone et sa mâchoire semble prête à se décrocher. Haru passe derrière elle pour les examiner à son tour et, surpris, il réprime un violent relent de dégoût. Comment lui en vouloir ? Sur ces photos, on dirait que tout l'immeuble s'est rassemblé pour souiller mon logement. Et vu l'état de mes sols après ce dégât des eaux usées, c'est presque littéralement le cas.
— Et encore, estime-toi heureuse de ne pas avoir l'odeur, fais-je remarquer.
— Épargne-nous les détails, se plaint mon frère en se détournant des photos.
Il retourne s'asseoir sur l'un des fauteuils du salon au moment où sa fiancée — l'une de mes amies les plus proches — revient avec une tasse de thé qu'elle me tend. Une douce odeur de mangue envahit mes narines. Mais même le goût sucré de la boisson n'arrive pas à chasser l'amertume au fond de ma gorge.
Lorsque Haru aperçoit Olivia, il est un instant subjugué par sa présence. Et pendant une seconde, on dirait qu'il ne voit plus qu'elle. Même après quatre ans de relation, la flamme de leur romance semble brûler comme au premier jour. Ça en est presque écœurant. Liv s'installe sur les genoux de mon frère et lorsqu'elle retrouve ses bras, Haru peut enfin se reconcentrer sur la conversation. Comme s'il n'était complet et fonctionnel qu'à ses côtés.
— Qu'est-ce que tu comptes faire du coup ? Tu ne peux plus vivre dans ce taudis.
Je soupire dépitée, bien consciente que mon frère aîné a raison. J'ai vu la catastrophe de mes propres yeux et j'en suis encore sous le choc. Mes meubles, la plupart de mes affaires et mon intimité tout entière ont été ravagés.
— Tu peux rester ici autant que tu le veux, intervient Brooke.
— Ma porte t'est aussi ouverte, ajoute Olivia.
Leurs sourires compatissants me réchauffent le cœur. Pour autant, ces solutions ne sont pas réellement envisageables. Les travaux pour refaire la plomberie et les sols de mon immeuble pourraient prendre des mois. Et dans ma situation financière, il n'y a aucun moyen que je trouve une location ailleurs. Mais Brooke vit dans un minuscule studio. S'il est parfait pour accueillir notre petit groupe régulièrement, il n'est clairement pas adapté à une colocation sur la durée. Quant à Olivia, elle vit quasiment avec Haru, même si ce n'est pas encore officiel. Et je doute qu'il y ait de la place pour une cinquième roue du carrosse au milieu de leur petit nid d'amour.
— Vous êtes des anges, mais je crois que je vais devoir aller vivre chez mes parents le temps de retomber sur mes pieds.
Mon frère et mes deux amies m'adressent des regards choqués. On dirait que je viens de les insulter de la pire des manières.
— T'envisages sérieusement de quitter San Francisco ? s'étonne Olivia.
— Oublie San Francisco. Tu parles carrément de quitter le continent là, Neela !
Brooke me fusille du regard comme si je venais de dire quelque chose de totalement incongru et inimaginable.
— Je n'ai pas vraiment d'autres choix je vous signale. Vous voulez revoir les images de l'état actuel de mon appart' ? me défends-je.
Tous repoussent le téléphone que je leur tends avec une mine de dégoût. Moi non plus je n'ai pas envie de quitter mes proches, ma ville, mon quotidien et tout ce que je connais pour retourner vivre chez papa et maman, telle une adolescente. Et à l'autre bout du monde qui plus est. Mais je ne supporterais pas non plus d'être un poids pour mes amis.
— C'est ridicule. Laisse-moi t'aider, insiste Brooke.
Je n'ai pas la force de lui répondre directement, mais je fais non de la tête. Si je lui explique que je ne me sens pas à l'aise à l'idée de la déranger de la sorte, elle ne fera qu'essayer de me convaincre que ce n'est pas le cas. Je la connais par cœur.
— Ça me fera une occasion de passer du temps avec mes parents, tenté-je de relativiser pour les rassurer.
Mais mon grand frère lève les yeux au ciel. Il me connaît assez pour lire dans mes mensonges.
— Et ta carrière alors ? On aime tous les deux papa et maman, mais soyons franc, ni toi ni moi n'avons envie d'aller nous perdre dans la petite campagne de Sicile où ils ont été s'expatrier. On s'ennuierait comme des rats morts sans l'ébullition de San Francisco.
Mes deux amis acquiescent fermement et je les déteste de me faire regretter encore plus ma décision de partir. Bien sûr qu'Haru a raison. Bien sûr que je vis pour le soleil de Californie et l'effervescence des grandes villes. Mais ici, je n'ai ni toit, ni argent, une situation professionnelle au point mort et tous les biens qu'ils me restent reposent piteusement dans ce sac poubelle à mes pieds.
— Tu ne m'aides pas, me plains-je épuisée.
Au bout du rouleau, je me penche en avant pour enfouir mon visage dans mes deux mains. Déjà, je me vois cantonnée dans la campagne sicilienne, seule, dépendante de mes parents et obligée de laisser tomber mes rêves en cours de construction. Heureusement, Haru me sort de ma spirale infernale lorsqu'il me rejoint sur le canapé et pose une main compatissante sur mon dos.
— Tu n'as qu'à venir vivre chez moi, propose-t-il finalement.
À ces mots, tout mon corps se fige entièrement et je garde volontairement la tête baissée pour qu'il ne capte pas mon expression gênée.
— Haru...
— Avant de rejeter mon offre juste parce que tu es plus têtue qu'une mule, réfléchis une seconde.
— Je ne peux pas squatter ta chambre. Tu vis en coloc', je te rappelle, le coupé-je.
Et quelle coloc'...
— Et alors ? Je suis quasi exclusivement chez Liv, désormais. Ma chambre est libre. Et même Sun passe la plupart de son temps dehors ou dans son atelier. Tu ne dérangerais personne.
L'évocation du prénom de son meilleur ami me tend un peu plus. Lorsque je relève brièvement le regard, je croise celui de Brooke qui partage mon malaise. Dans mes yeux, elle peut lire un « Sors-moi de là », mais elle est visiblement aussi prise de court par la situation que moi.
— Je ne peux pas m'imposer comme ça, tenté-je de me défendre.
— Arrête, Sun est un frère, c'est la famille. Tu ne t'imposes pas. Il sera ravi de te dépanner, tout comme je le suis.
Sun n'est définitivement pas un frère pour moi.
Je tente de protester une nouvelle fois, mais Haru ne m'en laisse pas le temps. Dans son expression, je retrouve l'assurance de l'aîné qui n'acceptera pas non pour réponse.
— Donne-moi une seule raison de préférer squatter chez papa et maman, loin de tout, plutôt que dans la chambre vide que je n'utilise pas, dans ma coloc'.
Ses yeux sombres me scrutent avec insistance et mon cerveau travaille à plein régime pour essayer de trouver une excuse, en vain. Une dernière fois, j'essaie de rechercher un soutien auprès de ma meilleure amie, mais elle hausse les épaules, visiblement convaincue elle aussi.
— Ce sera clairement mieux que de te voir nous quitter pour vivre la dolce vita, admet-elle.
Il est clair que vivre avec Sun n'aura rien de « dolce ».
Mais je ne peux clairement pas expliquer cela à Haru. Alors, je me retrouve dans une impasse. Ses arguments sont en béton et accepter sa proposition semble parfaitement logique. Dire non créerait des questions auxquelles je n'ai pas envie de répondre.
— Bon... juste le temps de me retourner, alors.
L'expression de mon frère se fait victorieuse lorsque je cède finalement. Il ne semble même pas s'inquiéter de mes réserves et c'est tant mieux. Mais lorsque la conversation reprend, je me perds un instant dans mes pensées en réalisant la situation dans laquelle je me trouve. Demain, j'emménage avec Sun Serrano. Il semblerait que le destin aime se parer de tordante ironie.
Quel enfer !
🌙🌙
Voilà pour ce petit prologue et la rencontre de notre héroïne qui est déjà en galère ! Pour info, le dégât des eaux usées dans l'appart' ça m'est déjà arrivé et c'est vraiment pas fun du tout 😅
La suite arrive très rapidement. À bientôt !
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