Chapitre 8 - Déraisonnable (1)

- J'te jure Brooke, je commence à déprimer au milieu de toute cette paperasse.

- C'est que le début, t'es pas censée te décourager maintenant.

Sur la table basse du salon, mon ordinateur portable est ouvert sur une page Excel tandis que mon téléphone est posé contre le vase vide qui orne le meuble. Brooke est en appel visio et elle me tient compagnie pendant mes tâches fastidieuses tout en rangeant son appartement.

- Je n'imaginais pas vraiment ma vie d'entrepreneure, coincée sur un canapé, en pyjama, à remplir des dizaines de formulaires de déclaration et autres documents légaux.

- Et encore, t'as pas de clients pour l'instant. T'as pas à faire aux contrats, à la comptabilité, aux taxes, à l'administration liée à la location et à l'entretien de locaux et j'en passe.

- Merci, tu me remontes vraiment le moral, ironisé-je dans une moue contrariée.

- Attends ! Tu m'as pas laissé finir. Je voulais dire : "T'as pas encore à faire à tout ça, mais je suis sûre que tu vas t'en sortir parce que tu es trop une successful businesswoman qui va tout cartonner".

- Ouais ouais, c'est ça, rattrape-toi.

Brooke essaie à peine de cacher son rire, mais je sais qu'elle ne se moque pas réellement. Au fond, s'il y a bien une personne qui croit en moi, c'est Brooke. Elle est celle qui m'a encouragé à me lancer et à réaliser mes rêves quand j'hésitais à monter ma boîte pour choisir une option plus stable. Depuis l'enfance, elle a toujours été celle qui m'a poussée à être celle que je voulais vraiment être et à faire ce que j'avais envie de faire. Parfois, ça nous a conduits à faire quelques bêtises, mais je n'ai aucun regret. Les souvenirs que j'ai à ses côtés sont irremplaçables.

Nous sommes d'ailleurs en pleine discussion au sujet de notre prochain weekend lorsqu'une notification s'affiche sur le haut de mon écran.

- Tu devineras jamais qui vient de commenter ma story, la coupé-je immédiatement.

- Ne fais pas du teasing comme ça, balance les gossip ! répond-elle en lâchant immédiatement le t-shirt qu'elle était en train de plier pour se rapprocher de son téléphone.

- Ian. Il m'envoie "Tu es vraiment très belle.".

- Oh ce fils de...

- Calme-toi, Brooke. Je te rappelle qu'on ne s'est pas séparés en mauvais termes lui et moi.

- Et bah vous auriez dû !

- Brooke ! la réprimandé-je.

- Quoi ? Ce type t'as couru après pendant des mois et quand il t'a enfin eu à l'usure et que t'as craqué pour lui et ses petites attentions de mecs romantiques à deux balles, il t'a jeté par texto en te disant qu'il ne ressentait rien pour toi. Si c'est pas la définition même du connard fini, je ne sais pas ce que c'est.

- Je ne peux tout de même pas lui en vouloir de ne pas m'aimer.

- Tu vois, c'est ça ton problème, s'exaspère Brooke. Tu es trop gentille ! Et maintenant il se permet de revenir dans ta vie tous les deux mois avec ses notifications à la con, juste pour t'empêcher de l'oublier alors qu'il n'en a clairement rien à foutre de ta gueule. Il prend juste son pied à avoir réussi à te séduire. Quel genre de psychopathe fait ça ?

Je soupire profondément devant l'exposé pitoyable de ma vie amoureuse. Le pire est sans doute qu'elle n'a pas tort. Je me suis fait avoir par les charmes d'un homme qui n'était attiré que par l'idée que je lui résiste. Et j'ai été assez naïve pour envisager un futur avec lui. Il faut croire que je ne suis définitivement pas doué pour choisir mes partenaires.

- Le genre que j'attire apparemment. C'est toujours pareil. Je me retrouve sans cesse dans ce genre de demi-relation qui n'a aucun sens et qui finit inévitablement mal.

- Tu n'es pas tombé sur la bonne personne, c'est tout. Et puis... peut-être que tu t'auto sabotes un peu. Il ne reste plus beaucoup de place dans ton cœur puisqu'il est depuis longtemps occupé par...

Je sais parfaitement où veut en venir ma meilleure amie et je m'apprête à la laisser finir avant de la contredire. Mais un bruit de vaisselle dans la cuisine attire mon attention. Mon colocataire fait alors son entrée dans le salon et la conversation que j'ai avec Brooke devient soudainement bien plus gênante. Le sang me monte immédiatement aux joues.

- Sun ! la coupé-je en interpellant le jeune homme pour qu'elle s'arrête de parler.

Pendant un quart de seconde, ma meilleure amie semble croire que je viens de terminer sa phrase pour elle, et donc d'admettre mes sentiments. Mais je reprends aussitôt.

- Qu'est-ce que tu fais là, Sun ? Je te pensais en train de bosser dans ton atelier.

- J'avais la dalle, je me suis fait un sandwich, répond-il avec nonchalance avant de s'asseoir dans l'un des fauteuils.

- Brooke, je te rappelle plus tard, OK ? informé-je mon amie en reprenant mon téléphone en main.

- Pas de soucis ma belle, à plus tard, souffle-t-elle avant de mimer un "désolée" du bout des lèvres. Oh et surtout ne répond pas au message de ce bat...

Je raccroche avant qu'elle n'ait le temps de finir sa phrase. Je n'ai pas envie que Sun assiste à un peu plus de cette conversation. C'est donc dans une légère gêne que j'essaie de me concentrer sur mon écran pour ignorer le brun qui m'observe effrontément. Mais comme je m'y attendais, il n'est pas du genre à ignorer ce qu'il vient inévitablement d'entendre.

- C'est qui Ian ?

Je soupire en entendant sa question si directe. Il ne semble même pas un peu gêné d'avoir écouté aux portes.

- Qu'est-ce que t'as entendu de notre conversation ?

- J'ai surtout entendu Brooke l'insulter de tous les noms. Moi qui pensais qu'elle ne pouvait pas me voir, on dirait qu'elle peut faire pire.

- Ce n'est pas qu'elle ne peut pas te voir, tenté-je de la défendre.

Mais je n'ai pas beaucoup plus d'arguments que cela. Brooke est ma meilleure amie depuis l'adolescence, elle a donc assisté à l'entièreté de ma relation avec Sun. Les hauts, les bas et les très bas. Alors, il faut admettre qu'elle n'est pas sa plus grande fan.

- Et donc ce Ian ? reprend Sun qui ne s'attarde pas sur le sujet Brooke.

- Oh, juste un ex, rien de très intéressant.

- Il ne me semble pas avoir entendu parler de celui-là.

Alors qu'il mord dans son sandwich, je prends une seconde pour comprendre ce que signifie sa phrase.

- Attends, quoi ? Haru te parle des mecs que je fréquente ?

- Il se plaint plutôt, se moque-t-il dans un sourire narquois.

Je vais le tuer, pensé-je en regrettant toutes les fois où je me suis confiée à mon grand frère. Si j'avais su que tous les récits de mes relations catastrophiques atterriraient dans l'oreille de Sun, je me serais sans doute abstenue.

- C'est exactement pour ça que je ne lui ai pas parlé de Ian. Je n'avais pas envie de me taper ses reproches.

Sun se contente d'acquiescer, mais quand je retourne à ma paperasse, il ne semble pas satisfait. J'ai à peine le temps de relire une phrase qu'il reprend.

- Ça s'est mal terminé avec... Ian ?

La façon dont il prononce son prénom sonne presque comme si le dire lui arrachait la bouche. Il a visiblement entendu tout ce que Brooke a dit à son sujet, mais je joue le jeu et fait comme si je ne remarquais pas son ton.

- Oui et non. C'était le genre de type qui appréciait la "chasse" plus qu'il m'appréciait moi.

- Tu étais amoureuse de lui ?

Une nouvelle fois, Sun fait preuve d'une franchise extrêmement directe et je m'étrangle en toussotant, prise par la gêne. Je n'ai jamais beaucoup de chance en amour et je n'aime habituellement pas m'étaler sur le sujet. Je reporte mon regard sur mon interlocuteur et je suis assez étonné de voir qu'il semble réellement curieux. Pourquoi s'intéresse-t-il à cette histoire ?

- Non, je ne l'étais pas, finis-je par soupirer. Disons que c'est surtout mon égo qui a été blessé. Ça ne fait jamais plaisir de se faire jeter.

- Et tu as déjà été amoureuse ?

Une nouvelle fois, je suis surprise par la façon dont il creuse le sujet. Ce n'est normalement pas une conversation qu'on a entre deux crocs dans un sandwich au poulet. Je n'arrive décidément pas à cerner Sun. Mais je ne suis pas non plus capable de simplement l'ignorer. Une part de moi a envie de lui dire qu'après lui, j'ai éprouvé tout autant - voire plus - de sentiment pour un autre. Mais je suis une mauvaise menteuse.

- Non, me contenté-je de répondre.

Il semble tiquer sur cette réponse et il fronce très brièvement les sourcils. Il se reprend toutefois très vite et retrouve son attitude nonchalante.

- Alors pourquoi tu te prends la tête avec ces mecs de ton passé ?

- C'est plus compliqué que cela.

- Explique, insiste-t-il.

Je soupire profondément. Je ne m'attendais pas à devoir me plonger dans les méandres de ma vie amoureuse dans l'instant. J'avais oublié que parfois, Sun me fait penser à Haru. Pas étonnant qu'ils soient si bons amis tous les deux.

- C'est juste que... Le point commun entre toutes ces relations ratées, c'est moi.

- Neela, soupire-t-il sur un ton qui me laisse deviner qu'il va me contredire.

Mais je ne lui laisse pas le temps de le faire. Je n'ai pas besoin de pitié. Surtout pas de la sienne.

- Je suis la fille avec qui on a envie de s'amuser. Celle qui plaît, mais finalement pas tant que ça. Pas au point d'envisager quelque chose de sérieux, pas au point d'en tomber amoureux. C'est toujours la même chose.

Je me sens pathétique d'admettre ce genre de chose. Devant le reste de mes proches, j'aime jouer les indifférentes. Je n'ai besoin de personne et rien ne m'atteint. Mais face au regard interrogateur de Sun, il m'est plus difficile de faire semblant. Ça l'est d'autant plus lorsqu'il se met à jouer du bout des doigts avec le pendentif que je lui ai offert il y a cinq ans.

Ses doigts fins qui manipulent la petite goutte de verre avec délicatesse et savoir-faire m'hypnotisent. Il semble pensif, mais moi j'ai dû mal à réfléchir à autre chose qu'à l'encre de son tatouage qui dépasse de son t-shirt pour effleurer sa clavicule. On dirait la queue d'un serpent, un morceau de vigne ou l'embouchure d'un fleuve. De ce que j'ai brièvement pu voir l'autre soir, ce fleuve serpente sur le buste de sun, se courbe et se pare de virage sur sa peau bronzée pour finir par s'éteindre au niveau de ses côtes. Je ne peux m'empêcher de rêvasser en l'imaginant.

- Tu dis n'importe quoi, me répond-il finalement en me sortant de ma rêverie.

- Tu es sans doute le mieux placé pour savoir que non, le coupé-je.

Visiblement, il ne prend pas longtemps pour comprendre que ma phrase fait référence à son propre comportement à mon égard. Son comportement d'il y a des années. Et pour une fois, son masque d'indifférence s'étiole...


🌙🌙

Dans ce chapitre on parle un peu du passé amoureux de Neela. Et comme vous avez pu le voir, c'est pas la grosse joie ahah Alors, forcément, ça va pas vraiment faciliter nos histoire. Mais bon, ça serait moins drôle si tout était facile 😋 Je vous dis à bientôt pour la suite !

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