Chapitre 7 - Faisons une trêve (1)
Ma chambre est l'endroit dans lequel j'ai trouvé refuge ces temps-ci. Depuis notre altercation, j'ai évidemment été forcée de recroiser Sun. Nous vivons ensemble après tout. Mais en dehors de l'absolue nécessité, j'essaie d'éviter les espaces communs. Sa réaction de l'autre soir m'a irrité autant qu'elle m'a amené à me poser des questions. Y a-t-il une raison derrière sa possessivité soudaine ? Si oui, il faut admettre qu'une part de moi y prend plaisir. Mais une autre part, plus raisonnable, ne peut accepter qu'il me traite de la sorte. Il ne peut pas jouer avec moi en soufflant le chaud et le froid sans cesse.
Pendant deux ans après notre rencontre, c'est à cela qu'a ressemblé notre relation et je n'ai plus la force de l'accepter. Avec du recule - et nos trois années de distance - j'ai commencé à croire que j'avais tout imaginé. Que j'avais mal compris les intentions de Sun et que je m'étais blessée toute seule en espérant plus que ce qu'il n'a jamais tenté de m'offrir. Mais depuis mon emménagement ici, je constate que j'avais tort. L'attitude de Sun est étrange. Elle l'a toujours été. Un instant il me donne envie de me perdre dans ses bras, la seconde d'après j'ai plutôt envie de le pousser par la fenêtre.
Dans tous les cas, il faut admettre qu'il est doué pour provoquer de vives émotions en moi. Des émotions épuisantes. Alors, je me contente de passer la plupart de mon temps dans ma chambre, chez Brooke ou au Rouge et cela fait plusieurs jours que je n'ai pas eu à parler à Sun. Alors, quelle n'est pas ma surprise lorsque j'entends frapper quelques coups à ma porte et que sa voix m'interpelle depuis le salon.
- Neela, tu as reçu de nouvelles boîtes. Qu'est-ce que j'en fais ?
- Oh euh, laisse-les dans le salon. Il faut que je tri ce que je récupère et ce que je stocke dans le garage. Merci.
Cela fait environ une semaine que j'ai commencé à recevoir des boîtes en carton de la part de mon propriétaire. Avec le lancement des travaux dans mon immeuble, l'équipe de nettoyage a entièrement vidé mon appartement et je reçois petit à petit les biens qu'ils ont pu sauver de la catastrophe. Il s'agit majoritairement de tout ce qui était placé en hauteur et qui n'a pas été touché par le désastre. À chaque fois que je reçois une nouvelle boîte, je n'ai aucune idée de ce qu'elle va contenir. Ce que je sais c'est que le dégât des eaux a causé beaucoup de perte et retrouver les quelques objets qui n'ont pas été détruits me fait toujours plaisir.
Je suis donc impatiente d'aller ouvrir ces nouveaux colis. Pour autant, je reste mal à l'aise avec Sun dans les parages. Alors, j'attends de ne plus entendre signe de vie dans le salon pour m'y rendre. Je ne l'ai pas entendu remonter dans sa chambre et j'imagine qu'il s'est simplement rendu dans son atelier. Mais quelle erreur !
En effet, lorsque j'ouvre les portes coulissantes de ma chambre et que je descends les deux marches conduisant à l'espace salon, je découvre Sun allongé sur le canapé. J'ai légèrement envie de faire demi-tour, mais ce comportement serait assez immature et je n'ai pas envie de lui donner plus de raison de me voir comme une enfant. De plus, j'ai réellement besoin de faire le tri dans mes cartons et je ne peux pas vivre éternellement en me cachant dans ma chambre.
Le salon se compose de deux petits canapés - l'un bleu canard et l'autre jaune moutarde - au design scandinave et cosy. Deux fauteuils de la même couleur complètent l'espace et forment un demi-cercle autour de la table basse en bois clair. Finalement, un grand écran plat trône contre le mur en pierres foncées à l'aspect vieilli. L'endroit est charmant jusqu'à son parquet en bois et ses coussins tout doux. C'est assez paradoxal de trouver le duplex objectivement accueillant alors que je m'y sens mal à l'aise depuis mon arrivée.
Sun est concentré sur son téléphone et ne fait pas vraiment attention à mon arrivée. Cela me soulage un peu. Les boîtes sont déposées en évidence, près du fauteuil dans lequel je m'installe pour les ouvrir. Le silence entre nous est un peu pesant, mais j'essaie de me concentrer sur ce que j'ai à faire en l'ignorant.
La première boîte que j'ouvre contient quelques vêtements. Majoritairement des tenues d'hiver que j'avais rangées tout en haut de mon armoire pour la saison prochaine. Je suis rassuré de retrouver mes affaires, mais il faut admettre que celles-ci ne sont pas celles qui me seront le plus utiles dans l'immédiat. Le second carton contient tout ce qui se trouvait sur mon bureau. Des stylos et autres crayons, un ou deux carnets de notes, mon agenda, une fausse plante décorative et quelques documents concernant mon entreprise. Enfin, je tombe sur quelques souvenirs d'école que j'avais gardés au fond d'une étagère. Il y a des petits mots d'amis de lycée, des photos de classes et même quelques photos de famille. L'une d'elles m'échappe d'ailleurs avant que je n'aie eu le temps de la regarder. Elle glisse sur le sol face cachée et alors que je m'apprête à me relever pour la récupérer, c'est la main de Sun qui s'en empare.
Sans aucune gêne, il la retourne pour la regarder et j'aperçois un léger haussement de sourcil. En me la rendant, il m'adresse un demi-sourire qui ne m'inspire rien de bon. C'est alors que je découvre la raison de son amusement. C'est une photo de moi et mon frère, sur les genoux d'un père Noël de supermarché. Je pleure toutes les larmes de mon corps tandis qu'Haru, dévisage l'homme comme s'il allait lui sauter dessus à tout moment. Cette photo ne me met clairement pas en valeur, mais elle est effectivement assez comique.
- T'as pas changé d'un pouce, toujours aussi élégante aujourd'hui, se moque mon colocataire.
Je ne lui réponds pas et me contente de lever les yeux au ciel, mais l'atmosphère est un peu moins lourde. Au vue de notre dernière rencontre, je n'ai toutefois pas envie de surenchérir et j'imagine que la conversation va s'arrêter là puisque je n'essaie pas de l'alimenter. Mais à mon plus grand étonnement, Sun se redresse et s'installe sur le bord du canapé en se penchant vers moi.
- Tu n'en as pas d'autres de Haru ? Ça pourrait être utile d'avoir un ou deux dossiers sous la main.
Malgré ma rancoeur, son regard malicieux m'amadoue. Après une seconde d'hésitation je cède et lui montre la photo de mon frère, la tête en bas, accrochée au flanc d'un poney. J'étais trop jeune pour me souvenir de ce jour, mais cette mésaventure a marqué toute la famille et j'en entends encore souvent parler. Sun pouffe en découvrant le petit visage paniqué d'Haru qui se fait trimballer comme un sac par sa monture. Et lorsque j'entends son rire, je me détends un peu.
Pourquoi ai-je tant de mal à rester fâchée face à lui ?
Finalement, je tombe sur une photo que j'avais oubliée et celle-ci installe en moi un mélange de nostalgie, de joie et de regret. Je la tends tout de même à Sun et tente une boutade pour cacher mes sentiments.
- Regarde, un autre Noël où j'ai fait une rencontre traumatisante.
Quand il s'empare de la photo, le brun ne peut retenir un léger rire. Il s'agit du premier soir de Noël qu'il a passé chez nous. On y voit mes parents, Haru, Sun et moi devant un sapin plein de décoration, posant pour une photo de famille dans laquelle il s'intègre parfaitement. Sur le cliché, il affiche un sourire un peu gêné et timide, mais visiblement heureux.
- Tu n'as pas l'air si traumatisée que ça, plaisante-t-il à son tour.
Il n'a pas tort. Je pose mon regard sur cette moi du passé qui s'accroche au bras de Sun, un sourire radieux sur les lèvres et les joues rosies du fait de cette proximité. Comment le reste de ma famille a fait pour ne pas voir que j'étais raide dingue de lui à l'époque ?
- Je ne te connaissais pas encore, c'est pour ça, rétorqué-je.
- Touché.
Il reporte son regard sur la photo et durant un instant, il semble particulièrement pensif. Je me souviens alors que ce premier Noël avec nous marque aussi le premier qu'il n'a pas célébré avec sa propre famille. Selon ce que m'a dit Haru, les choses ne sont plus aussi tendues qu'auparavant entre Sun et sa mère. Mais leur relation reste loin d'être idéale.
Cet appartement est d'ailleurs un cadeau du nouveau beau-père de Sun après son mariage avec sa mère. Mais je suis certaine que s'il a accepté ce présent démesuré c'est pour pouvoir loger Haru par la même occasion. Quand je repense à ses difficultés familiales, j'ai envie de le prendre dans mes bras pour réconforter cette peine qu'il essaie de cacher, mais que je sais bien présente. Soudainement, je me demande si j'ai bien fait de lui montrer cette photo avec tant de légèreté. Mais il reprend la parole et me sort de mes pensées.
- C'était vraiment une bonne soirée.
Ses mots me surprennent. Moi qui pensais qu'il se remémorait des souvenirs désagréables, j'aperçois une naissance de sourire au coin de ses lèvres.
- J'ai toujours été très reconnaissant. Votre famille est si... chaleureuse et accueillante. Je n'avais jamais connu tant de bonté et je n'ai jamais retrouvé ce sentiment ailleurs.
La sincérité vibre dans sa voix et je ne peux que m'étonner de le voir s'ouvrir autant. C'est sans doute la première fois qu'il me dit une phrase aussi profonde - ou aussi longue - depuis trois ans.
- Mes parents t'aiment beaucoup. Ça leur fait toujours plaisir de te recevoir.
- C'est gentil de dire ça. Même si ça ne me fait qu'un peu plus culpabiliser de la façon dont je t'ai reçu ici.
Je souffle un léger rire dont je ne peux retenir une pointe d'amertume. Mais je n'ai pas envie de relancer un conflit alors que la situation semble s'apaiser.
- La situation a changé depuis. Je n'aurais sans doute pas réagi beaucoup mieux que toi à ta place.
- Quand même... Je suis désolé, insiste-t-il avant de me rendre ma photo.
Et ses excuses me touchent. Si Sun a bien un défaut, c'est qu'il n'est généralement pas du genre à se remettre en question. Je le connais depuis cinq ans et je n'ai jamais réussi à lui faire entendre raison lorsqu'il avait une idée en tête. Alors, le voir revenir sur son comportement en s'excusant - même s'il ne s'agit que d'un timide « je suis désolé » - est quelque chose d'assez étonnant.
- Ce n'est rien, ne t'en fais pas, soufflé-je plus par politesse qu'autre chose.
Mais il sait très bien que ce n'est pas rien. Je ne me serais pas terré dans ma chambre pendant presque deux semaines si son comportement ne m'affectait pas. Il en a inévitablement conscience.
🌙🌙
À bientôt pour la suite !
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