Chapitre 1 - Bienvenue chez toi
Ce matin, j'ai la boule au ventre lorsque Brooke gare sa voiture devant l'immeuble d'Haru. L'avantage de perdre toutes ses affaires dans un dégât des eaux, c'est que le déménagement est particulièrement rapide. L'inconvénient c'est que je me retrouve à vivre avec Sun. Particulièrement rapidement.
- Tu es sûre que c'est une bonne idée, demande ma meilleure amie.
Elle m'adresse un regard qui ne laisse aucun doute sur son avis sur la question. Sa crinière bouclée attachée en un haut chignon lui donne un air un peu plus sérieux et je n'ai pas le courage de lui mentir. J'ai toujours été impressionnée par le charisme de Brooke. D'origine jamaïcaine, elle possède une beauté hypnotique et un physique digne des plus grands podiums. Mais c'est surtout l'assurance et la détermination qu'elle dégage qui font tout son charme. Sa peau brune contraste avec la blancheur opaline de mon teint au métissage japonais. Tout autant que son charisme met en lumière ma gaucherie. Je suis le Yin de son Yang.
- Je suis sûre que ça n'en est pas une. Mais qu'est-ce que j'étais censée dire à Haru ?
- Si tu lui avais dit ce que tu ressens pour Sun, c'est clair qu'il n'aurait pas autant insisté... Il lui aurait sans doute cassé la gueule au passage, mais ce n'est qu'un détail.
Je lui lance un regard noir en captant son petit sourire amusé. Brooke ne connaît que peu Sun, mais elle ne l'a jamais porté dans son cœur dû à une certaine solidarité féminine à mon égard.
- Ce que je ressentais, la corrigé-je en insistant sur la conjugaison au passé. Ce n'était qu'un crush d'adolescente, il y a des années. Il n'y a pas de raisons de créer des problèmes pour ça.
Même si l'idée de le revoir me donne envie de sauter de la voiture en marche.
- Si tu le dis.
Brooke semble aussi convaincue que moi, mais elle me connaît assez pour savoir qu'il ne sert à rien d'insister. Alors, elle se contente de me souhaiter bon courage avant que je ne descende de la voiture.
- Écris-moi quand tu es installée. Et n'oublie pas que ma porte t'est toujours ouverte s'il y a un souci.
Son soutien me va droit au cœur et je l'en remercie. Après un dernier au revoir, elle démarre sa voiture et nos chemins se séparent. Je réalise alors qu'il est temps de faire face à la situation. Je pousse un profond soupir et passe la grille de la propriété sans plus attendre. Haru et Sun y vivent depuis trois ans, mais je n'ai que rarement mis les pieds ici. À vrai dire, mes visites se comptent sur les doigts d'une main et se sont toujours résumées à des passages éclairs.
C'est fou. J'ai parfaitement conscience que je suis au pied du mur et que je n'ai aucun autre choix. Pourtant, mon cerveau essaie de calculer mille et un itinéraires qui pourraient me permettre d'échapper au chemin que je suis en train d'emprunter. Est-il encore temps de sauter dans un avion pour rejoindre la Sicile ?
Le bâtiment grisâtre devant lequel je me trouve n'est haut que de deux étages et forme un grand U au cœur duquel est posée une charmante cour fleurie. La colocation des deux amis est un appartement en duplex dont l'entrée se trouve au rez-de-chaussée. Je pénètre au sein de la propriété et remarque rapidement la porte du logement.
Mes jambes se font plus lourdes, mes pas ralentissent et j'hésite à continuer. À l'intérieur de ma poitrine, mon cœur s'affole. Ça n'a aucun sens et je surréagis complètement. Mais ça ne serait pas la première fois que Sun me rend irrationnel.
Haru a laissé la porte ouverte, sans doute pour m'entendre arriver. Mais au contraire, c'est moi qui entends des voix s'élever depuis l'appartement. En reconnaissant ce timbre si particulier que je n'ai plus entendu depuis longtemps, je me fige sur place. À quelques pas de mon but, je n'arrive plus à avancer et j'écoute aux portes telle une voisine trop curieuse.
- Sérieusement, Haru !?
Son ton est nerveux et outré. Il n'est pas difficile d'y lire son mécontentement.
- C'est quoi, le problème ? On parle de Neela, là.
- Tu aurais au moins pu me demander mon avis. Ce n'est pas ma petite sœur à moi !
- Et alors ? Tu voulais que je la laisse dormir sous les ponts parce que t'es un putain d'égoïste ? Je paie un loyer ici, qu'est-ce que ça change que ça soit moi ou ma petite sœur qui dort dans ma chambre ?
Un râle d'agacement se fait entendre et malgré ma forte envie de faire demi-tour et d'aller « dormir sous les ponts », je prends sur moi pour signaler ma présence. Je n'ai pas besoin d'en entendre plus.
Et pas un mot de plus de la part de Sun.
J'avance dans l'encadrement de la porte d'entrée et tape trois coups pour attirer leur attention. La gêne sur le visage de mon frère est perceptible, mais il tente de la cacher avec un air enthousiaste pour m'accueillir. Il me fait entrer dans la pièce et récupère le sac que Brooke m'a prêté et où j'ai rassemblé les quelques biens qu'il me reste.
- Bienvenue chez nous... et chez toi pour quelque temps.
J'adresse un semblant de sourire à Haru, mais il est difficile d'ignorer Sun qui lève exagérément les yeux au ciel. Il n'aurait pas pu me faire comprendre plus clairement que ma simple présence l'exaspère. Pour mon frère, je tente de l'ignorer.
Je pénètre donc dans une petite entrée qui donne sur un plus large salon. L'endroit est simplement, mais joliment décoré et est parfaitement rangé, peut-être un peu trop d'ailleurs. On dirait que personne ne vit ici. Haru m'a prévenu qu'il passe tout son temps chez Olivia et que Sun est souvent dehors ou dans son atelier. Il ne mentait visiblement pas. Ça me rassure un peu.
La grande pièce à vivre est séparée en deux espaces : un coin salon avec canapé et télé et un espace de bureau qui donne sur une immense baie vitrée faisant presque toute la largeur du mur. La luminosité dans l'espace est incroyable. Et la vue sur le jardin verdoyant à l'arrière de l'appartement n'est qu'un peu plus agréable. J'en oublie presque mes réticences à emménager ici.
Presque.
Au beau milieu du salon, Sun ne me lâche pas des yeux tandis que Haru me fait visiter les lieux. Son regard me brûle la nuque alors que j'essaie de l'esquiver et de me concentrer sur les indications de mon frère. Pourquoi a-t-il l'air de tant être révulsé par ma présence ? Je suis censée être celle en colère, pas l'inverse.
Finalement, Haru pénètre dans la cuisine et j'entends le bruit de la machine à café. Je profite de cet instant pour rendre à Sun son expression peu amène. Il n'est pas le seul à avoir le droit d'être agacé par cette situation et sa réaction a le don de me titiller.
Malheureusement pour moi, quand je lève les yeux vers lui, la confiance et l'audace que je pensais avoir s'étiole bien vite face au grand brun qui me fait face. Je me suis répétée encore et encore qu'il ne me faisait plus aucun effet et qu'il n'était qu'histoire ancienne. Mais même si je ne suis plus la petite adolescente impressionnable que j'étais il y a cinq ans, le charisme et l'irrésistible attraction de Sun sont indéniables. La maturité qu'il a prise avec les années n'a fait qu'augmenter son aura séductrice.
Mon regard s'attarde brièvement sur son bras tatoué. Il en a plus que dans mes souvenirs et je laisse mes yeux suivre l'encre sur sa peau pour remonter jusqu'à son cou. Là, je me perds dans la contemplation de sa mâchoire saillante et recouverte d'une barbe de quelques jours, je vogue sur les courbes de ses lèvres pulpeuses et tentatrices pour remonter jusqu'à son nez fin et si droit qu'il semble taillé dans la pierre. Finalement, ses yeux sévères que je tentais d'éviter s'imposent à moi et je me perds dans ses iris d'un marron si clairs qu'elles semblent remplies de reflets dorés.
Lorsque nos regards se croisent, ils serrent brusquement les poings et la tension qui émane de tout son corps m'arrive en plein visage. Je suis beaucoup moins forte que je l'imaginais et cet échange silencieux suffit à me faire prendre la fuite pour retrouver mon frère dans la cuisine. J'ai à peine rejoint Haru que derrière nous, j'entends la porte d'entrée se claquer violemment.
Mon grand frère soupire bruyamment avant de m'adresser un sourire d'excuse.
- Ne fais pas attention à lui. Je ne sais pas ce qui lui prend ce matin. Sans doute une gueule de bois difficile.
Ou une haine incommensurable - et injustifiée - à mon égard.
🌙🌙
À samedi pour la suite !
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