01.
CHAPITRE 1
SCOTT
Mes muscles ne sont plus qu'un tas de chair destiné à être grignoté par les vautours. De la sueur dégouline le long de mes tempes et je passe ma main dans mes cheveux désordonnés par mon casque. Pour la cinquième fois depuis le début de l'entraînement, ma bouche âcre cherche le réconfort de l'eau de ma gourde. Pour la cinquième fois depuis le début de l'entraînement, je la laisse gagner et je laisse l'eau couler le long de ma gorge.
Aujourd'hui, c'est vendredi. Et le vendredi, on travaille les muscles. Et putain, c'est épuisant de travailler les muscles.
Le coach tape dans ses mains pour nous rassembler. Il est gentil, le coach. Edgar, qu'il s'appelle. Cheveux gris hirsutes, front plissé par le stress et l'âge, il est plus que déterminé à nous faire gagner le tournoi, cette année.
Le Tournoi National de Hockey a lieu tous les ans pendant une période de cinq mois, de novembre à mars. L'année précédente, nous avons fini deuxième derrière l'équipe des Faucons Rouges, des adversaires du nord du Canada. La déception était grande et on s'est entraînés deux fois plus dur, cette année, sachant qu'en plus, des recruteurs qui pourraient nous permettre de pratiquer le hockey de manière professionnelle commenceront à venir pour nous observer. Deux fois plus de pression sur nos grosses épaules de hockeyeurs de haut niveau.
— Bon, les gars, c'est l'heure de la récompense, annonce le coach.
On se regarde tous, un petit sourire aux lèvres. Eh oui, cette année, les stagiaires en médecine ont le privilège de s'occuper de l'équipe de hockey. On va pouvoir se faire masser et cajoler à gogo. Ça ne les enchante pas toujours, mais nous, on est ravis. Mathys, un de mes amis, mon coéquipier de toujours, me donne un coup dans les côtés.
— Excité par le programme, capitaine Nelson ?
— Et comment ! m'exclamé-je.
Nous rions et nous pénétrons dans l'immense pièce éclairée de lumières artificielles jaunes et blanches. On se croirait sérieusement dans un bloc opératoire. Différentes tables de massages sont éparpillées dans la salle et des filles et garçons habillés de blouses blanches nous attendent devant chacune d'elles. On a le choix. Le coach nous entraîne au pif à différents emplacements et, pas le temps de bavarder, on commence déjà à se faire masser pour détendre nos muscles douloureux. Seulement, je m'assois calmement sur la table, attendant la personne qui s'occupera de moi, sûrement en retard. Et j'attends un bout de temps en plus. J'ai le temps d'envier mes camarades luisant d'huile de massage.
Enfin, elle arrive.
Je l'observe en silence.
Elle a les joues rouges d'avoir couru, quelques mèches folles collent à ses joues et à son front. Ses lèvres sont roses et pulpeuses, elle est petite de taille et ses cheveux sont d'un blond doux comme un lever de soleil. Ses gros yeux bleus étaient un peu fermés, elle se remettait de son sprint dans les couloirs tortueux de l'université. Elle n'a pas le corps des nanas d'instagram, mais et alors ? Ça la rend mignonne et avec plus de valeur à mes yeux encore. De la valeur oui. Je la reconnais sans avoir besoin de chercher plus longtemps.
Sabrina de Rigela.
L'unique et la seule tête de classe.
Des 18 et des 20 tombant du ciel, des parents riches, je mettrais ma main à couper qu'ils sont multi-millionaires, mais absents. Ça se sent. Sabrina est toujours seule. Que ce soit dans la rue pour aller et rentre de l'université, ou dans les couloirs, au déjeuner, entre et pendant les cours, lorsqu'elle est assise tout devant toute seule.
La petite blonde ronde de qui on se moquait en chuchotant à son passage. La petite blonde ronde qui garde la tête haute malgré les remarques acerbes de ses camarades.
Elle enlève précipitamment son manteau qu'elle pose sur une chaise. Elle est vêtue d'un pull en laine gris et d'une petite jupe noire avec des collants gris également. Des petits talons noirs vernis et des bijoux venaient fignoler sa tenue et, malgré sa simplicité, elle devait coûter plus cher que mon équipement tout entier. Elle se vêtit rapidement de la blouse imposée et se tourna enfin vers son patient qui patientait là, c'est-à-dire moi.
Je la dévisage, intrigué. Tout comme elle, qui me regarde plutôt comme si j'avais un gros bouton sur le nez. Cette fille, je n'ai jamais réussi à la comprendre. C'est un véritable coffre fort donc je n'ai pas la clé en ma possession. Et je ne l'aurai jamais, vu l'exaspération que mon interlocutrice affiche lorsqu'elle reconnaît mon visage. Je lui sourit innocemment, presque puéril.
Elle attache ses cheveux en un chignon désordonné et elle replace ses lunettes sur son front, attrapant une lotion au passage. J'enlève mon t-shirt comme indiqué et je lui souris de toutes mes dents. Autant être gentil avec elle et effacer les préjugés qu'elle semble avoir à mon propos.
— Content de te voir aussi, Sabrina.
Elle souffle, bien qu'un peu étonnée que je connaisse son prénom, paraissant visiblement agacée par mon comportement, et elle étale la lotion au monoï sur ses mains tout en parlant. Une vraie pro.
— Tu es content de me voir ? Sérieusement ? Je savais que tu nous cachais des choses, capitaine Scott Nelson.
Donc elle connait mon prénom. Logique, qui ne le connaît pas ?Je suis le capitaine de l'équipe de Hockey. Seulement, Sabrina n'a pas l'air intéressée par le sport, et encore moins par les garçons. Elle m'indique d'un mouvement de la tête de m'allonger sur le ventre et je lui obéis, détendant mes muscles douloureux au maximum. Elle commence à me masser le bas du dos de ses mains habiles.
— Tu sais pas que je fantasme sur toi depuis tout petit ? je reprend.
Elle soupire en roulant des yeux et je ne peux réprimer mon sourire et elle commence à passer ses mains sur tous les muscles de mon dos.
— Je ne suis pas une de tes groupies. Je ne vais pas rougir et glousser comme une dinde juste parce que tu me sors une de tes disquettes. Et puis faut être sacrément bizarre pour fantasmer sur une fille quand on est petits, Capitaine Nelson.
— Ce n'était pas une disquette.
— Mon cul, ouais.
Elle m'amuse franchement et je me mord l'intérieur de la joue pour ne pas rire. Elle sourit faussement en voyant ma tête et elle se penche vers moi.
— Est ce que tu as des endroits où tu as plus de courbatures qu'à d'autres, dis moi ?
Je réponds sans hésiter.
— Les omoplates, bébé.
— Bébé ?!
Elle semble horrifiée, et je souris en coin.
— Tu n'aimes pas ?
Je me redresse un peu pour faire face à son regard et ses yeux bleus me transpercent.
— C'est surprenant. Tu ne m'as jamais adressé la parole avant aujourd'hui et tu me donnes déjà un surnom ?
Elle s'efforçait de garder la face, je voyais bien qu'elle était perturbée. Je la connais bien mieux qu'elle ne le croit.
— Je t'observe depuis longtemps, tu sais ?
Elle me dévisage d'un drôle d'air.
— Je te demande pardon ?
— Je peux te le prouver.
Elle semble attendre de voir ce que je peux bien savoir, croisant les bras sur sa poitrine bien formée, pour ne pas dire bien garnie.
— Jeudi, tu as eu un 20 en anglais. Tu étais très contente parce que d'habitude, tu as des 18, donc tu as appelé ton père. Il n'a pas répondu. comme d'habitude, sans doute. (Je sais très bien qu'il ne répond jamais) Tu étais triste, tu as regardé les groupes d'amis déjà formés autour de toi et tu t'es dirigée seule à la boulangerie du coin. Tu t'es acheté une religieuse au chocolat et tu l'as mangé. J'ai suivi la scène d'à côté sans que tu ne me vois, je venais de finir l'entrainement. Tu es toujours seule. Personne ne vient te voir ou te parler. Tu es très secrète aussi, mystérieuse.
Elle arrête de parler le temps que je raconte mon histoire et elle finit par hocher la tête, semblant incapable de répliquer.
— T'as raison, marmonna-t-elle. Il me répond jamais quand je l'appelle.
— C'est tout ce que tu as à dire ?
Elle se remet soudainement à me masser, comme si elle avait été mise sur pause.
— Depuis quand tu m'observe ? demande-t-elle.
— Quand tu es venue en cours en jupe blanche et qu'une fille t'avait renversé de l'eau dessus. Elle était devenue transparente et tous les hommes te reluquaient.
Elle rougit. C'est la première fois que je la fais rougir.
— Et toi aussi, je suppose ?
— Evidemment.
Je souris et continue.
— Mais j'ai glissé mon pull dans ton casier. Je savais qu'il serait trois fois trop grand pour toi.
***
SABRINA
Je souris, attendrie, en me remémorant ce souvenir. Cette seule et unique fois où je me suis sentie observée par un mystérieux ange gardien qui prendrait soin de moi, là haut, et qui aurait potentiellement le visage de ma grand-mère. Parce que, on ne va pas se mentir, j'ai toujours eu une poisse pas possible, rien que pour le coup de l'eau sur ma jupe. J'avais enfilé le sweat, pensant qu'il venait des objets trouvés, et que quelqu'un l'avait mis là parce qu'il avait honte de me le donner en face. Mais en fait c'était Scott Nelson, et il n'avait juste pas eu le temps. Je l'avais enfilé, et maintenant, je le mets tous les soirs pour faire dodo, au chaud, dans un gros pull orné du logo du club de hockey de l'université.
Si mon maître de stage me voyait rêvasser, je me prendrais un sacré savon.
— ..Il l'était.
Il hoche la tête, se remémorant la scène.
— Plus personne ne t'a regardé jusqu'à la fin de la journée. Sauf moi.
— Plus personne ne m'a jamais regardé tu veux dire. Sauf toi du coup.
Je rougis et détourne le regard.
— C'est difficile à croire..
Il me sourit.
— Eh bébé, ne crois pas que je me suis attaché à toi.
A quoi je m'attendais en même temps ? C'est Scott Nelson. Il est populaire, toutes les filles sont à ses pieds, et il me semble même qu'il a une copine. Ou une ex insupportable. Je ne sais plus trop.
Et il ose m'appeler Bébé.
Ce gars me dégoûte, il profite de sa popularité, c'est aberrant.
— ..Mais..
Je me fige et me détourne. Je m'efforce de ne pas paraître blessée, alors que je le suis. Je m'en voulais terriblement d'avoir baissé ma garde à cause de la nostalgie.
— J'ai fini.
Il se redresse sur la table. Non je n'avais pas fini. Mais je n'avais plus envie de toucher son dos incroyablement musclé pourtant si agréable au toucher. Parce qu'il me dégoûte.
— On se retrouve demain soir, donc ? 21 heures, devant la patinoire ?
Je fronce les sourcils et me tourne vers lui, alors que j'étais en train de me laver les mains.
— Pourquoi ça ?
— J'aimerais te rendre la pareille bébé.
"Bébé."
Quel culot, Monsieur Nelson.
Une négation me brûlait les lèvres, alors que je m'efforçais de réfléchir.
Je suis seule depuis toujours, littéralement. Je n'ai pas d'amis, donc encore moins quelqu'un avec qui passer mon samedi soir. Pourtant j'avais très envie de pouvoir dire: "Oui, j'ai passé la soirée avec Scott Nelson. En tête à tête."
—..Oui d'accord.
Il se lève et attrape son t-shirt, sans pour autant le mettre, pour le plus grand plaisir de mes curieux petits yeux.
— Cool.
Typique de la nonchalance de Nelson. Il attrape ses affaires puis se penche vers mon oreille, beaucoup trop près.
— Juste, au passage, cette tenue te va super bien.
Il s'éloigne et sort de la pièce, en trainant des pieds, suivi à la trace par son meilleur copain et très vite rejoint par un groupe de fille qui patientait devant la porte comme des loups affamés.
Seulement, cette fois, je ne pouvais rien leur reprocher. J'avais remarqué que Scott était vachement bien fait.
Je le regarde s'éloigner, les joues chaudes, meme brûlantes.
De quel droit Scott Nelson me fait autant d'effet ?
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