L'adieu aux armes

Quand j'ai annoncé à ma mère que je comptais prendre mon envol vers la Californie, plus précisément, la ville d'Inglewood, elle a tout de suite pensé que ce n'était qu'une mauvaise blague fait dans un élan de détresse totale. Mais plus les jours passaient, plus ma chambre d'ado inutilement grande se vidait, sous le regard impuissant de ma mère. Je donnais dans des associations, vêtements qui ne me correspondaient plus, meubles et babioles, ne voulant pas voir partir à la déchèterie ces choses indispensables qui pouvaient servir à d'autres.

Heureusement, je n'ai pas dû me débrouiller seule. Malgré la distance, mon frère m'a aidé avec son rire franc et enjoué qui traversait mon téléphone jusqu'à faire vibrer mes tympans. Aussi m'a t-il proposé un toit — son toit vu que, n'ayant pas un dollars en poche, je ne suis pas parvenu à trouver des résidences avec colocation assez acceptable.

— Dit moi que tu n'a rien oublié, April... Me redemande ma mère, le regard bazardant les alentours.

Je soupire, faisant virevolter la mèche rousse qui s'est échappée de mon chignon instable.

— Tu veux bien arrêter de te faire un sang d'encre pour des choses absurdes.

Je tremble déjà assez pour que les paroles désespérées de ma mère en rajoute. Mes mains moites sont fermement resserrées sur la poignée en caoutchouc noir de ma valise, et mon pied droit frappe inconsciemment sur le sol.

— Me faire un sang d'encre, comme tu dis, c'est le rôle pénible qui m'a été attribué depuis que tu es sortie de mon vagin. Sa voix tendue se mêle au brouhaha des roulettes de valises et des voix élevées des personnes de l'aéroport. Et pour continuer dans cette lancée, je veux que tu m'appelles quand tu arrives. Ne l'oublie pas.

Heather Dakota Johnson — ma mère. Au delà de ses allures condescendantes de femme d'affaires, ma mère est une femme consumée de l'intérieur. Son amour pour mon père était un feu ardent qui ravageait tout sur son passage, allant des personnes les plus éloignées, jusqu'à leurs propres enfants. Son amour pour lui était tel que, lorsque leur relation s'est embrasée et que la fougue endiablée de leur amour s'est consumée, ma mère n'a été que réduite en cendres. Alors mon père est parti entretenir la flamme d'une autre, laissant une famille en désarroi, déboussolé, perdu, éteinte. Et à cela, se rajoute le départ prématuré de mon frère, Logan.
Sa passion pour la photo l'a suivit jusque dans l'état californien. Malgré des débuts difficiles, il a su s'imposer dans ce milieu artistique qui le passionne depuis toujours, et dans lequel, j'ai été sa première supporter — et son premier modèle. Je ne peux qu'être heureuse pour lui. Son talent évident lui a été récompensé par des publications dans les magazines les plus huppés et par un réseau de personnes influentes. Il a réussi là où moi j'ai échoué. C'est le seul qui a pu s'échapper de cette spirale familiale qui a affecté bien plus que ma mère et ses sentiments éperdus. Moi j'ai été trop lâche pour partir, ou alors trop courageuse pour rester. Mais maintenant, à 19 ans, les épreuves de la vie m'ont apprises que parfois, il faut savoir lâcher du lest.

Et depuis peu, je suis complètement déconnectée du monde.

— Je n'oublierais pas. Me contenté-je de lui dire.

Rassurée, elle s'approche de moi et pose sa main manucuré de rouge sur mon avant bras. Sa tentative de soutien échoue implacablement puisqu'un frisson épineux parcourt ma colonne vertébrale. D'un mouvement brusque et instantané, je retire mon bras.

— Excuse-moi, je n'y ai pas pensé... Soupire t-elle en baissant les yeux vers ses mains. Ton médecin a dit que ça ne durerait pas toute une vie. Un traumatisme, ça se guérit dans certains cas April, tu le sais ?

Je me mords l'intérieur de la joue puis incurve mes lèvres duveteuses en un sourire rassurant.

— Je le sais. Soupiré-je en m'asseyant sur le banc près de la porte d'embarquement, à l'écart de la foule. Et, s'il te plaît, je n'ai pas le sida, maman. Je peux vivre avec un TSPT— plus que tu ne le crois. Repris-je d'une voix cynique. Plus que quiconque ne le croit.

En vérité, un TSPST n'est pas très différent de ses maladies qui te ronge peu à peu jusqu'à faire dysfonctionner ton système vital. Et les personnes souffrants de ce monstrueux stress post-traumatique seront les premiers à confirmer ce fait. Alors que moi, contrairement à eux, je m'efforce de l'infirmer, en riant et en souriant à tout va pour garder la tête hors de l'eau, malgré les vagues incessantes qui tentent de me noyer.

J'affronte et fais front.
Je me braque et encaisse.

Mais New York regorgeait d'un passé bien trop douloureux et compliqué à gérer pour moi. Je n'y arrivais plus, je souffrais plus qu'autre chose et la population imposante de cet immense état ne m'aidait pas. Ne m'aidait plus.

— Ça n'a rien avoir. Je veux juste que tu saches qui est là pour toi. Renchérit-elle, d'un ton catégorique.
Puis, les traits juvéniles de son visage s'adoucissant, elle rajoute : Cependant, même si je t'aime bien ma petite mère, dépêche toi de quitter les lieux. Le foutu parking de cette aéroport coûte la peau des fesses.

Je roule des yeux vers le plafond de l'aéroport et lui tire la langue, instantanément détendu par le changement de température qu'à prit notre conversation. J'aime voir ses petites fossettes se creuser au coin de ses joues. J'aime voir les ridules fines se plisser dans le recoin de ses yeux. Ça n'efface aucunement les moments où je la voyais pleurer discrètement dans la cuisine, mais ça me rassure un peu plus de la laisser seule. De toute évidence, même si elle se mettait à fondre en larmes dans l'aéroport, je ne resterais pas une journée de plus ici, même pas pour elle.

Et c'est avec cette pensée égoïste, mais véridique, en tête qu'une voix féminine et monotone provenant des hauts parleurs me fait relever la tête vers le plafond.

Le vol New York - Los Angeles est imminent. Veuillez faire attention à vos bagages et vous rendre près des portes d'embarquement. Merci et bonne fin de journée.

C'est comme si un poids se retirait de ma poitrine. Ma mère se crispe, sa colonne vertébrale se rigidifie pendant que mes mains encore serrées sur ma valise, se délient, faisant affluer le sang vers mes doigts.

— Je dois y aller. Lui dis-je en me relevant.

Je rattrape sûrement ma valise puis m'éloigne tout d'abord à reculons pour calquer le doux visage de ma mère dans ma mémoire. Elle sourit, ses lèvres tressautant légèrement alors que l'étincelle brillante de son regard ambré luit de larmes qu'elle essaye de contenir.
Elle est tellement belle et rayonnante malgré l'horrible poncho rouge qui recouvre ses épaules nonobstant la température douce de cette fin de mois de mai. Aussi sa douceur maternelle me pousse à me rediriger vers elle, pressée par le temps, puis, tout près de son visage de porcelaine, à déposer un chaste baiser sur sa joue — le nez dans ses cheveux bruns.

— Pas de bêtises, sale gosse ! Me commande t- elle, tentant en vain de cacher son émotion.

— Pas de bêtises ? Avec Logan ? Je préfère tondre la pelouse avec une pince à épiler plutôt que te promettre l'impossible, maman.

Dès la naissance, mon aîné a imposé son caractère volcanique en mordant le sein rempli de lait de ma mère. Et quand elle essayait de lui montrer son affection en l'embrassant tendrement sur le front, il lui mettait sa petite main potelée au visage avant de glapir comme une grue.

Alors si elle espère que la petite rousse se comporte comme une sainte, comme une Innocent, ce n'est pas inscrit dans ses gènes de sorcière.

- Mea culpa, madame l'irréprochable.

Je lui souris franchement puis après des échanges quelques peu larmoyants, je rattrape mon unique valise et me dirige vers la porte du quai d'embarquement. Obligée de me mettre à l'écart à cause du monde affriolants, je m'assoie près des baies vitrées de l'aéroport et contemple l'oiseau en métal qui m'emportera dans la contrée ensoleillée de Californie.
Le voilà ; mon California Dream. Je l'attendais depuis quelques mois, et là, passeport en main, j'ai l'impression de rêver alors que je vois encore les gratte-ciels typiquement new-yorkais.

Mon téléphone, coincée dans la poche horizontale mon sweat-shirt, vibre deux fois, alors, après un soupir exagéré, je l'extirpe et ouvre les messages.

Moby Dick :
Je te récupère à l'aéroport.
À plus, carotte sauvage.

Je souris laconiquement puis me relève, bien décidée à partir d'ici.

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What's up, voici le premier chapitre de cette nouvelle histoire qui j'espère vous plaira. J'essayerai d'être un maximum régulière mais ne m'en veuillez pas si je ne le suis pas toujours. 

I wish you all the best ❤️

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