Chapitre 19
Seulgi souffla en sortant de la patinoire, le temps commençait à se rafraîchir le soir. L'automne était officiellement là et c'était la saison qu'elle détestait le plus. Même la chaleur insupportable de l'été ne pouvait pas la battre. Outre le fait qu'elle signifiait la fin des grandes vacances, de la nuit tombant de plus en plus tôt, l'adolescente détestait voir les arbres perdre leurs feuilles.
« Il ne fait pas encore assez froid pour faire de la fumée, lui fit remarquer Joohyun qui avait plongé ses mains dans la poche kangourou de son sweat. J'ai hâte, c'est une période où je me sens moins différente, parce que personne ne fait attention à moi.
- Je vois, répondit-elle en se retournant, enroulant son bras autour d'un des siens. Personne ne fera attention à quelqu'un qui se cache sous un amas de vêtements en hiver puisqu'il fait si froid, que tout le monde le fait.
- Exactement, confirma la plus vieille, tu es étonnamment très perspicace aujourd'hui, plaisanta-t-elle. Tu n'as pas faim ? On pourrait grignoter quelque chose dans le coin. »
Seulgi fit une moue agacée pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas vraiment d'accord avec le fait d'être taquinée à la moindre occasion. Joohyun pencha légèrement la tête sur le côté, comme pour insister. Il lui fallait une réponse, et elle ne pouvait être que positive.
« Mh, oui, j'ai un petit creux, je crois, avoua la jeune fille après avoir soupiré, mais je dois rentrer dans une heure, en regardant sa montre.
- On peut sûrement trouver une supérette ou un petit stand encore ouvert sur le chemin. Cherchons une rue commerçante, annonça Joohyun en commençant à marcher. Ne t'inquiète pas, tu seras chez toi à l'heure. »
Seulgi hocha la tête et suivi ses pas. L'adolescente était toujours accrochée au bras de son ainée, qui ne semblait pas plus gênée que ça d'avoir un poids à traîner à moitié. Elles marchèrent pendant une bonne dizaine de minute, avant de s'arrêter devant un petit vendeur qui allait bientôt ranger et tout nettoyer. Joohyun demanda si elles pouvaient encore être servies et l'homme lui répondit chaleureusement, qu'il se pliait forcément en quatre pour deux jeunes femmes ayant faim.
Elle ignora, gardant un sourire sous son masque, malgré cette réponse qu'elle n'aimait pas beaucoup. La noiraude demanda une barquette de tteokbokki et plusieurs brochettes d'odeng. Elle paya elle-même cette fois-ci, donnant toutes les collations à sa cadette qui eut rapidement les mains pleines. Tout lui donnait l'eau à la bouche, et l'odeur qui lui chatouillait le nez n'arrangeait rien à la situation. Seulgi avala sa salive, ses pupilles fixant la nourriture bien chaude entre ses doigts, il fallait absolument qu'elle y goûte.
Elles s'installèrent sur un petit banc, pas très loin et Joohyun se libéra enfin en enlevant son masque. La plus jeune commença à manger, bien qu'elle soufflât plusieurs fois sur chaque bouchée qui fumait. Elle manqua même de se brûler, alors qu'elle avait fait très attention. Seulgi finit par glapir en trépignant, secouant sa main devant sa bouche légèrement ouverte.
« C-Chaud ! gronda-t-elle en se tournant vers Joohyun, qui venait de parler en même temps.
- C'est bon ? »
Son regard avait croisé celui de sa cadette, et ses paumes se plaquèrent sur sa bouche. Elle en était sûre, son amie venait de voir ce qu'elle lui cachait depuis des semaines. C'était fini, elle allait tout perdre.
Seulgi ne voudrait plus jamais rien d'elle. Son cœur était lourd tout à coup, tambourinant si fort dans sa poitrine, qu'il était prêt à fait exploser sa cage thoracique.
« C'est rien... susurra la jeune fille en lui attrapant son poignet. Ne t'inquiète pas, reprit-elle en lui tendant la barquette de tteokbokki, assieds-toi et mangeons. »
Joohyun s'assied à nouveau, posant ses paumes sur ses genoux, serrant aussi fort que jamais ses jambes à travers son pantalon. Seulgi s'approcha doucement, et glissa sa main dans le dos de son ainée. Elle avait envie de la prendre dans ses bras et de lui dire tout ce qui lui passait par la tête, mais ses mots étaient bloqués dans sa gorge.
« Je... Je m'en fiche de ton apparence, puis... Je... commença-t-elle avant de fermer les yeux en fronçant les sourcils. Tu es mon amie, ce n'est pas ça qui m'éloignera de toi », termina-t-elle en ne pouvant pas en dire plus.
Seulgi se mordit la lèvre, elle ne pouvait pas dire ce qu'elle avait réellement sur le cœur. Il était sûr qu'elle ferait peur à Joohyun, et la ferait fuir. Pourtant, cela faisait plusieurs semaines qu'elle avait remarqué qu'il se passait quelque chose au fond d'elle.
Elle n'était pas sûre, mais après tous les romans qu'elle avait pu lire dans sa courte existence, Seulgi arrivait tout de même à mettre un terme précis sur le sentiment qui parcourrait tous ses sens.
« Merci... »
Joohyun se pencha en avant et enlaça le cou de sa cadette pour la serrer le plus fort possible dans ses bras. C'était sûrement la première fois qu'elle se sentait si heureuse, si normale aux yeux de quelqu'un d'autre que ses parents. Les larmes coulaient déjà le long de ses joues, son corps pris de hoquets, ses épaules frémissantes. Seulgi ne savait pas quoi faire, elle était juste complètement immobile, à moitié étouffée. Néanmoins, elle ne resta statique que très peu de temps, juste le temps de quelques sursauts de son ainée.
Elle lui répondit en se blottissant dans ses bras, et elles restèrent comme ça pendant de longues secondes, ne voulant plus se quitter. Elles étaient en réalité, légèrement gênées, ne sachant plus trop comment réagir l'une envers l'autre. Seulgi confirma néanmoins ce qu'elle ressentait, il n'y avait plus d'erreurs possible, et sa respiration était devenue lourde, au point que Joohyun le remarqua, même à travers son propre essoufflement.
« Je t'en prie, ne pleure pas, marmonna la plus jeune en serrant ses poings.
- C'est parce que je suis heureuse, ce sont des larmes de joie... lui répondit Joohyun en s'éloignant finalement doucement, en baissant la tête pour ne pas croiser le regard de sa cadette.
- Je sais, mais je préférerais te voir sourire, ajouta Seulgi en glissant ses doigts sous le menton de Joohyun pour qu'elle arrête de regarder vers le sol, parce que tu es encore plus belle quand tu es joyeuse.
- T-tu n'as jamais rien vu de moi, balbutia la jeune femme en évitant de la regarder, cachant tout de même sa bouche avec le dos de sa main, après l'avoir utilisé pour essuyer ses joues. Tu racontes n'importe quoi.
- Je suis désolée, je t'ai menti il y a quelque temps. En fait, je te regardais dès que j'en avais l'occasion et je l'avais déjà remarqué lorsque tu n'avais pas ton masque. C'est de la curiosité malsaine, je sais. Tu peux m'en vouloir, je comprendrais... »
Joohyun l'observa se recroqueviller sur elle-même, son cou englouti dans ses épaules rentrées vers l'intérieur. Elle croisa les bras, sa poitrine se soulevant après une lourde inspiration, un regard froid et distant peint sur son visage. Seulgi tenta encore plus de disparaître, se sentant honteuse sur le coup. Puis la plus vieille leva les yeux au ciel, ne pouvant tenir plus longtemps. Elle lui donna un coup de coude, un coin de ses lèvres remonté en un sourire bancal.
- « Je croyais que je pouvais te faire confiance... dit-elle outrée, pressant sa paume contre sa cage thoracique.
- Mais tu le peux ! s'exclama Seulgi en se redressant. J'étais juste un peu trop curieuse, et puis je savais déjà que rien n'allait changer mes sentiments... Je veux dire, reprit-elle en marmonnant, tu seras toujours mon amie, n'est-ce pas ? Alors je serais toujours la tienne.
- Faisons une promesse, annonça Joohyun en tendant son petit doigt, le serment que nous serons toujours là, l'une pour l'autre, jusqu'à ce que la mort nous sépare. »
Seulgi regarda longuement la main de son ainée, avant qu'elle ne lui donne sa réponse, repliant ses phalanges autour du doigt de la noiraude. Elle lui offrit un grand sourire qui rendit ses yeux si petits, que Joohyun avait du mal à voir si ses paupières étaient encore ouvertes.
« Promis, souffla-t-elle finalement, avant de se rendre compte que cela faisait un bon moment qu'elles étaient assises à discuter. Joohyun, je dois être à la maison dans moins de trente minutes ! s'écria-t-elle en croisant le cadran de sa montre.
- Allons-y, répondit la plus vieille en se levant, enfilant à nouveau ses gants. Mangeons sur le chemin, ajouta-t-elle en attrapant la barquette encore à demi-pleine et les brochettes empilées dans le petit verre en carton.
- Mes parents vont me faire la morale, marmonna Seulgi en secouant la tête, même si je ne suis en retard que d'une seule minute...
- Je me porterai responsable, ne t'inquiète pas. Je leur expliquerai », lui assura-t-elle en gardant un pas assuré, sans pour autant se dépêcher.
La plus jeune avait l'estomac noué, elle ne pouvait plus rien manger. Ses parents lui avaient toujours fait confiance et ce n'était absolument pas maintenant, qu'elle souhaitait la perdre. Joohyun lui tendit la barquette, et elle la prit, malgré le fait que c'était peu probable qu'elle la vide.
La plus vieille profita de sa main libre pour grignoter une brochette, puis elle attrapa celle de sa cadette et elle la balança doucement d'avant en arrière. Elle était bien plus sereine que Seulgi, qu'elle n'avait jamais vu aussi stressé. Certes, elles avaient un peu trop traîné, mais pas non plus au point d'arriver forcément en retard. Ainsi, elle découvrit une autre facette de sa cadette, celle qui devait d'ailleurs être proéminente lorsqu'elle allait au lycée.
- « Désolée, annonça la plus jeune en essayant de quitter l'emprise de Joohyun, en vain. J'ai les mains moites.
- Seulgi, je porte des gants, je m'en fiche complètement. »
Lorsqu'elles arrivèrent au bout de leur rue, elles se ruèrent presque jusque devant le portail de la brunette. Il ne restait que quelques minutes, et elles avaient même eu le temps de terminer leurs encas. Seulgi se sentait bien sûr, un peu idiote, pour avoir paniqué aussi vite pour rien. Son ventre lui faisait quand même encore et toujours mal, comme si le stress avait été trop fort et poignant, pour disparaître aussi vite qu'il était arrivé.
Elle tourna les talons, se retrouvant face à son ainée, qui lui glissait quelques mèches derrière son oreille. Son masque avait retrouvé sa place lorsqu'elles étaient arrivées près de chez elles, par précaution. Seulgi pouvait quand même toujours voir les expressions de Joohyun à travers ses yeux, et elle savait qu'un sourire narquois était peint sur son visage.
« Allez, rentre vite avant de te faire punir, lui ordonna-t-elle en secouant sa main.
- D'accord... » souffla la plus jeune, ses épaules s'affaissant d'un coup.
Elle tourna les talons, fit quelques pas sous le regard de son aînée et finalement, elle changea d'avis et revint sur ses pas, profitant de sa dernière minute pour agir sans réfléchir. Sa main droite se posa sur l'épaule de Joohyun, son pouce et son index gauche pinçant le masque noir protégeant le bas du visage de son ainée. Elle le tira légèrement vers elle et le fit descendre, sa tête se penchant légèrement sur le côté.
Seulgi s'approcha si vite, que la noiraude n'eut aucun moyen de faire un pas un arrière ou d'esquiver. Ses lèvres s'étaient déjà pressées contre la joue nue de Joohyun, pile au coin de ses lèvres d'un rouge si foncé, qu'elles semblaient presque noir sous les pauvres réverbères de leur rue.
« Bonne nuit, Joohyun », lui susurra-t-elle avant d'accourir chez elle, abandonnant cette dernière sur le bord de la route.
Sa paume se colla contre l'endroit où elle avait reçu un baiser et lorsqu'elle reprit ses esprits et leva la tête, elle vit la lumière de la chambre de sa cadette s'allumer. Quelques secondes plus tard, Seulgi était à la fenêtre, lui faisant exactement le même geste de la main, pour lui dire d'arrêter de rester immobile au beau milieu de la rue.
La jeune femme secoua la tête et rentra chez elle toute pantelante. A peine sa porte fermée, qu'elle s'effondra, les joues cramoisies. Elle sentait la chaleur quitter sa peau comme si son corps avait surchauffé et tentait de réguler sa température. Son cœur battait encore toujours autant, et Joohyun comprenait bien que quelque chose d'anormal était en train de se passer. La première fois que cela était arrivé, elle avait cru avoir un souci cardiaque, s'ajoutant à tous les autres symptômes de la maladie qui lui pourrissait réellement la vie. Seulement, il n'en était rien, et elle en avait à nouveau la confirmation, c'était Seulgi qui la rendait comme ça et c'était mal, très mal.
Cette dernière, de son côté, ne pensait pas du tout de la même manière. Le sourire peint sur ses lèvres ne voulait plus partir. Elle n'avait jamais été aussi heureuse depuis des années, et ses parents avaient bien remarqué que quelque chose avait changé chez elle. Ils n'avaient rien demandé, à part si elle avait passé une bonne soirée, malgré la réponse plus que logique. Ils étaient tout de suite partis se coucher puisqu'elle était rentrée saine et sauve. Le lendemain matin leur servirait par contre pour l'assaillir de questions en tout genre.
Seulgi prit une bonne douche, qui lui rappela, à chaque geste sur sa peau, qu'elle ne s'était pas raté lors de sa chute. Elle s'était en réalité très mal réceptionnée, n'ayant plus du tout l'habitude. Tout ce qui l'avait importé, était de protéger Joohyun à la place de sa propre personne. Il allait sûrement lui être difficile d'être assise correctement sur une chaise pendant quelques jours, tellement le bas de son dos était contus.
Finalement, lorsqu'elle se décida à aller au lit, un profond râle s'échappa de ses lèvres. Elle se roula en boule, gémissant à chacun de ses mouvements, il lui fallait une bonne nuit de sommeil pour que son corps commence à s'en remettre, même si ce ne serait pas suffisant pour que ses courbatures et ses hématomes s'effacent. Elle souleva la capuche du sweat de Joohyun qu'elle avait remis et elle serra sa peluche dans ses bras, sous ses couvertures.
Elle sentait l'odeur de son amie qui l'embaumait, c'était rassurant et chaleureux, comme si elle était dans son étreinte. Seulgi était plus heureuse que jamais et elle savait que pour une fois, ses rêves ne seraient pas mauvais. Ce pouvait être ses cauchemars habituels, elle savait que Joohyun serait là, parce qu'elle dormait avec quelque chose lui appartenant.
Pourtant, de son côté, Joohyun était bien moins sereine sur le coup, comme si la réalité la frappait de plein fouet.
« Elle s'en fiche... marmonna la plus vieille, en souriant. Elle m'aime comme je suis, s'exclama-t-elle presque en dévoilant toutes ses dents, comme une véritable amie, remarqua Joohyun en se redressant. Une amie... »
Joohyun avait un problème finalement, et Seulgi aussi allait y être à nouveau confronté. Seulement, c'était exactement le même, et elles n'en avaient aucune idée.
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