7.
[ 16 Juillet (1/2) ]
La nuque de Siyeon était douloureuse, et elle grimaça en se réveillant. Ses yeux toujours fermés, elle s'étira le cou, une main massant le point douloureux. Dormir sur une chaise était loin d'être confortable et idéal.
En ouvrant les yeux, elle constata l'absence de SuA dans son lit. Sa couette était remise en état comme si elle n'avait jamais été là. Elle la chercha du regard un instant, en tournant la tête, mais elle était introuvable.
« SuA ? »
Silence. Elle n'était pas là. Devrait-elle s'inquiéter ? Siyeon n'avait même pas de moyen de la contacter, et devait se réduire à l'attendre ici.
En réfléchissant, elle se dit qu'elle devrait sûrement retourner dans son bungalow pour la retrouver plus tard. Pourquoi se sentait-elle déçue de ne pas s'être réveillée à ses côtés ? Siyeon s'était vraiment entichée de la jeune femme qu'elle était, sans réellement la connaître. Ce n'était que le cinquième jour qu'elle passait à ses côtés, mais la voilà complètement éprise.
Avant même qu'elle ne puisse réfléchir plus, SuA revint dans son bungalow avec toujours ce sourire collé au visage. Cette fois, elle la vit apparaître avec ses longs cheveux bruns attachés, une brassière de sport, et un legging qui moulait ses jambes musclées.
« Siyeon ! s'exclama-t-elle avec son habituel dynamisme. Levée au parfait moment.
- T'étais où ? s'informa-t-elle, intriguée.
- Un petit tour du camping. Ça faisait longtemps que j'avais pas couru, ça fait vraiment du bien. C'est une partie de ma routine, habituellement, mais ici c'est plus compliqué.
- Une infinité de compétences sportives, alors ?
- Tout à fait », confirma-t-elle en exposant toutes ses dents par son large sourire.
Siyeon n'ajouta rien, et la vit partir dans la petite salle de bain pour boire un grand verre d'eau. Son front luisait, alors elle l'essuya d'un revers de manche.
« Siyeon ?
- Oui ?
- Maintenant que tu es réveillée... Je te donne dix minutes pour te préparer et me rejoindre dehors. Après ça, c'est une surprise. Et tu n'as besoin de rien de particulier, juste ta beauté naturelle suffira. »
Après un clin d'œil, SuA lui tourna le dos sans lui laisser la possibilité de répondre quoi que ce soit. Elle verrouilla la porte de la salle de bain, et la blonde resta figée un instant. Une surprise ? Cela venait de piquer sa curiosité, et elle se demandait à quoi cette jeune femme mystérieuse pouvait bien penser.
« Plus que neuf minutes ! » prévint sa voix depuis l'autre pièce.
Ce fut comme un rappel qui lui permit d'enfin agir, et Siyeon sortit alors de son bungalow.
Après ces fameuses minutes, SuA lui avait demandé les clés de la voiture de Gahyeon qui étaient restées là pour qu'on puisse les rejoindre dans quelques jours. Que prévoyait-elle donc ? La blonde finit par décider d'arrêter de se torturer lorsqu'elles montèrent en voiture, se forçant à penser qu'elle ne pourrait ni deviner ni savoir sans le vivre directement. Il lui fallait donc un peu de patience.
Siyeon s'efforçait de s'armer de cette vertu pendant le court trajet. Elle contenait toutes ses curiosités, en s'empêchant de poser la moindre question. Mais SuA voyait la manière dont elle se retenait, et lui jetait de temps en temps des coups d'œil amusés, parée de son sourire espiègle.
« On est bientôt arrivées », la rassura-t-elle.
Finalement, elle arrêta la voiture lorsqu'une route semblait laisser sa place à un chemin. Divers arbres les entouraient, mais ils n'étaient pas menaçants. Ils étaient surtout grands, et finalement assez épars ; il s'agissait d'une forêt peu dense. Siyeon analysa la totalité du nouveau décor qui s'imposait à elle. Elle était peu habituée à la nature, alors que cela semblait être un environnement usuel pour SuA.
Lorsque la brune était presque déjà dehors, elle jeta un œil en arrière, la vit, et pouffa :
« Vous voyez jamais d'arbres, en ville ? Allez, viens. »
La blonde la rejoint d'un pas très hésitant, en continuant à poser son regard partout. Sur le chemin de terre, sur les petits cailloux, sur les quelques feuilles tombées, sur le ciel clair. Lorsqu'elles durent marcher un peu, Siyeon était plus lente que la jeune femme énergique qui l'avait menée là, mais cette dernière fut plus patiente que ce qu'elle imaginait.
« Allez, détends-toi. T'auras le temps de les regarder, les arbres. Y en aura plein d'autres. La destination sera plus passionnante. »
À cet instant, elle se recentra sur son impatience quant à la surprise qu'elle lui avait préparée. Elle était très curieuse, surtout après qu'elle les ait déposées dans un tel endroit. Que pouvait-elle bien lui réserver ?
Elles ne marchèrent pas très longtemps, bien que ce soit suffisant pour Siyeon, citadine bien casanière, pour commencer à se plaindre. SuA ne faisait que de rire, pour se moquer de son endurance ou pour lui rappeler que cela valait le coup. La blonde eut même le temps de douter de sa certitude d'être sur un chemin qui menait quelque part. Toutefois, une sorte de bourdonnement grave et de plus en plus fort était audible.
« On est bientôt arrivées, j'te jure. Genre, très très bientôt. Genre... Maintenant. »
Elle ouvrit la voie sur un chemin étroit et s'arrêta après avoir dépassé des arbres. Bien que Siyeon soit plusieurs mètres en arrière, elle voyait déjà le paysage qui l'attendait. La plus âgée s'assit vite sur un rocher et s'étira, ornée de son grand sourire.
« Alors, tu viens ? »
Elle l'appela, et Siyeon reprit alors sa marche jusqu'à la destination. Le soleil qui avait été souvent camouflé par la forêt revint l'éblouir. Après que ses yeux s'adaptèrent, elle put enfin regarder où elle l'avait amenée. Et le paysage était magnifique.
Une cascade s'écrasait contre des rochers et une rivière s'en écoulait. Des deux côtés de celle-ci poussait de l'herbe très verte. Des petits cailloux étaient éparpillés le long du cours d'eau, écrasant le libre développement des brins sauvages. L'endroit était bien plus préservé que ce qu'elle avait l'habitude de voir et elle en fut très surprise. Agréablement surprise. Le soleil qui trônait sur le lieu le rendait d'autant plus beau. Les feuilles des quelques arbres ne se mouvaient que très peu, proportionnellement à la faible force du vent estival.
« Alors, Siyeon ? Ça valait le coup ?
- Ouais, ouais, peut-être... »
La blonde cachait son émerveillement pour tenter de justifier toutes ses plaintes qui avaient précédé leur arrivée qu'elle s'était amusée à répéter pendant le trajet. Pourtant, oui, cela en valait la peine.
Le point le plus haut de la cascade n'était pas très élevé, la rendant peu impressionnante, dans le sens où regarder toute sa hauteur n'était pas menaçant et ne donnait pas le vertige. L'eau était claire, et celle de la fine rivière l'était suffisamment pour voir l'infinité de petits rochers qui se cachait en dessous. Siyeon, bien que peu familière avec ce genre d'endroits, se sentait apaisée d'être accueillie par un parfum de fleurs et d'eau.
La blonde s'installa à ses côtés, directement dans l'herbe. En fixant son regard sur la petite chute d'eau, bercée par le bruit, elle demanda doucement :
« Comment tu connais cet endroit ?
- En réalité, on est pas si loin de chez mes grands-parents. Mes grands-parents paternels. Mon père a toujours vécu là et m'amenait là souvent. Alors, j'y retourne tout le temps. C'est mon coin à moi, tu vois. C'est très peu fréquenté pourtant si beau. Je suis étonnée à chaque fois. Mais son charme particulier c'est son évolution à travers les saisons, c'est magnifique.
- C'est vrai que c'est beau...
- Ah, tu vois ! » la taquina-t-elle en lui donnant un coup de coude dans l'épaule.
Bien sûr que cet endroit était magnifique. Et, en sachant que ce lieu était si cher pour elle, et qu'elle lui avait fait l'honneur de l'y amener, elle fit glisser son regard encore et encore sur l'intégralité du décor avec l'espoir de connaître par cœur chaque détail.
Même si elle aimait le silence qui s'était installé, elle était très curieuse d'en savoir plus sur SuA. La brune aux multiples facettes la fascinait, et lui donnait envie de tout découvrir à propos d'elle.
« Tu t'entends bien avec ton père ? se renseigna-t-elle donc.
- Carrément ! On est vraiment super proches. Pour tout te dire, c'était souvent lui qui m'encourageait à faire des conneries quand j'étais petite.
- Quoi ? s'étonna-t-elle en pouffant.
- Mes parents m'ont eu très jeunes, ils sortaient à peine du lycée. Et mon père c'est pas un lâche, alors il est resté. Il a toujours aimé ma mère. Mais il était jeune, et peut-être trop immature. C'est un sportif, mon père. Ça vient de lui, ma passion. À peine je marchais qu'il m'emmenait souvent dehors. Mes parents habitent à la campagne donc y a une petite forêt pas loin et il adorait me parler de la nature. Ça doit être pour ça que je suis autant attachée à ma liberté et à la nature. Comme il est pompier, il me rappelait très souvent à quel point elle était précieuse. Il m'a toujours encouragé à faire tout ce que j'avais envie de faire, même si ça voulait dire courir partout, ou monter sur des barrières. C'est grâce à lui que je sais autant comment profiter de chaque instant de la vie, et de tout tenter pour ne jamais regretter.
- Et ta mère ?
- Je restais souvent avec mon père, avant. Et tu vois, ma mère est prof, elle kiffe les règles et les cadres, et elle aimait pas que je sorte trop comme ça, elle s'inquiétait car elle me trouvait trop jeune. Elle l'engueulait souvent quand on rentrait. Et, un jour, comme elle le craignait, je me suis blessée. C'était pas grand chose en soit, j'ai très bien survécu. Mais si jamais t'avais déjà remarqué, c'est la cicatrice que j'ai sur le genou. Bref, mon père se sentait grave coupable, et ma mère l'a pardonnée car elle savait qu'il pouvait faire mieux. Depuis ce jour, j'étais bien plus sage et tout allait mieux chez moi, même si mon comportement d'enfant aventurière ne m'a jamais quittée. »
Siyeon souriait en l'écoutant, sans cesser sa contemplation du paysage.
« T'as de la chance... » dit-elle sans vraiment s'en rendre compte, dans un souffle discret.
SuA l'entendit toutefois et tourna sa tête vers elle. Cette dernière remarqua son regard dans sa vue périphérique. Elle était intéressée par la phrase qui venait de lui échapper. Elle se mit à regarder la brune un instant, avant de baisser les yeux au sol.
« C'est juste que... J'aurais aimé que ce soit aussi facile pour moi.
- On aimerait toujours ce qu'on a pas. On a tous nos propres galères, qui sculptent qui on est. Je te souhaite pas des mauvaises choses, évidemment, mais je pense que ces choses-là t'ont construite petit à petit. »
Siyeon était étonnée de son sérieux. Son ton avait durement changé, alors que la conversation était initialement plutôt légère. Elle chercha ses yeux. SuA était, en effet, très sérieuse. Elle ne répondit rien.
« Raconte-moi, reprit-elle. Dis-moi ce qui n'était pas facile. »
Elle souriait à nouveau. Comment pouvait-elle ne jamais perdre ce grand sourire ? La blonde déposa son regard sur les arbres en face d'elle pour faciliter son discours.
« Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours connu mes parents qui s'engueulaient. Il me semble pas les avoir déjà vu joyeusement ensemble. Ils s'entendaient de moins en moins, et du coup mon père rentrait de moins en moins à la maison. C'était dur.
- Pourquoi ils s'engueulaient ?
- Mon père était pas assez présent et ma mère lui en voulait. En fait, il travaille plutôt loin, dans un aquarium. Il s'occupe de tout ce qu'il y a derrière. Ça le passionne, la vie marine. Et même plus que sa propre famille, apparemment... Il pensait que c'était le rôle de ma mère de s'occuper de ma sœur et moi. Un jour, il l'a menacée de partir complètement si elle continuait à lui crier dessus. Elle ne le pensait pas capable de ça, mais il a fait ses bagages et n'est jamais revenu.
- Parti ? Comme ça ?
- Ouais... affirma-t-elle. On a jamais eu plus de nouvelles, mais comme on savait à quel point c'était tendu, on a jamais demandé à ma mère quoi que ce soit, mais peut-être qu'elle en sait plus que nous.
- Et ta sœur ? C'est ta grande sœur ?
- Ouais. Mon aînée. C'est grâce à elle que j'ai réussi à m'en sortir, je pense. Quand mes parents criaient beaucoup, on se cachait sous sa couette et elle me lisait des histoires. Souvent Le Petit Prince, d'ailleurs. Ça a été mon livre préféré pendant longtemps. Je lui demandais à chaque fois, je me souviens, admit-elle en soufflant du nez. Puis, quand j'ai appris à lire, je lisais parfois toute seule. C'est devenu mon réflexe dès que quelque chose n'allait pas.
- Je suis contente que tu n'étais pas isolée à cette période.
- Moi aussi, ça fait du bien d'avoir quelqu'un. »
Ce silence confortable retomba et de longues minutes passèrent.
Siyeon jeta finalement un regard vers elle pour la voir complètement concentrée sur ce paysage qu'elle connaissait pourtant si bien. Mais elle n'avait pas tort : l'ampleur de la beauté du paysage n'avait d'égale que la puissance des rayons solaires qui les réchauffait. Siyeon était fascinée par son admiration qui ne semblait que croître. Malgré elle, les coins de mes lèvres s'étirèrent, et elle tenta de combler le silence, toujours curieuse :
« Tu veux des enfants plus tard ?
- Ça va un peu vite entre nous, non ? »
Sans la regarder, SuA rit un instant avant de reprendre un ton sérieux.
« Sûrement pas. »
Elle haussa les épaules.
« Pour le moment, c'est vraiment pas ce que je veux. Même si j'adore les enfants... Tu vois bien comme je suis attachée à ma liberté... Je ne m'imagine pas vivre autrement. Cela dit, peut-être que ça changera, plus tard. »
Sûrement attendait-elle naturellement une réponse, quand une demi-minute passa et qu'elle lui demanda en retour :
« Et toi ?
- J'ai essayé d'y réfléchir plusieurs fois, et j'ai toujours fini par penser que je pourrais peut-être donner un meilleur environnement que ce que j'ai reçu. »
Un léger rire lui échappa quand elle prononça ces mots.
« C'est peut-être trop naïf », constata-t-elle.
Cette fois, les yeux de SuA se posèrent sur elle. Siyeon fut presque embarrassée qu'elle comprenne qu'elle la fixait depuis tout ce temps, mais elle s'efforça de dissimuler le rouge qui lui montait aux joues.
« Non, nia-t-elle avec un doux sourire. C'est admirable. »
Siyeon sourit.
« Tu trouves ?
- Je te connais à peine, mais je te fais confiance pour ça. T'as l'air bien plus intelligente que la plupart des gens que je connais. Je suis sûre que tu réussirais très bien. »
Elle fuit son regard, mais la brune finit par reprendre la parole :
« T'as un an de moins que moi, c'est ça ? Tu viens de passer ton bac ? »
Elle la vit hocher la tête, et poursuiva alors sa réflexion :
« Et tu fais quoi à la rentrée ?
- Ah, la fameuse question. Un peu par défaut, j'ai été prise dans une fac de lettres. Je vise une licence mais je sais pas trop où j'irai. Ça m'a toujours un peu paumée. Toi ?
- Ma deuxième année de STAPS !
- Année de quoi ?
- Ah ouais, elle est sérieuse ton aversion pour le sport, constata SuA avec raison. Si tu veux une description super promotionnelle, c'est littéralement les sciences et techniques des activités physiques et sportives. Tu fais du sport, mais pas que. Y a pas mal de gens qui viennent là parce qu'ils sont forts en sport mais qui s'en foutent des cours. Ceux-là se plantent très vite.
- Ah mais c'est ça ton secret depuis le début, alors ! Et après ça ? T'as un projet ?
- Prof, peut-être. Ou si c'est pas de l'enseignement, peut-être de l'animation. Ça me ferait grave kiffer. »
Imaginer son énergie utilisée dans ce genre de contexte la fit sourire. Siyeon se la représentait facilement ainsi, ça lui allait bien.
Quand de longues minutes passèrent, la blonde finit par m'allonger sur l'herbe. Il y avait certainement divers insectes cachés entre les brins, mais elle n'y prêta pas attention.
« C'est vraiment sympa, ici. »
Elle entendit SuA se lever de son rocher pour la rejoindre sur le sol.
« Je suis d'accord », répondit-elle, très fière.
Leur proximité rappelait à Siyeon celle du soir où elles avaient regardé les étoiles. C'était de la même manière que leurs regards étaient accrochés au ciel, ce matin-ci. Toutefois, le clair de lune ne les cachait plus. Les rayons solaires les éclairaient pleinement. Ce n'était pas un lien abstrait ou sombre qui les unissait. C'était réel, même à la lumière du jour.
Siyeon ne savait pas combien de temps s'écoulait alors qu'elles restaient ainsi. Cependant, la faim qui lui nouait l'estomac lui donnait envie de repartir. À contrecœur, bien qu'apaisée d'être à ses côtés, elle se releva.
« J'ai super faim, il est bientôt midi, lui indiqua-t-elle. On devrait rentrer. »
SuA acquiesça et l'imita, se retrouvant sur ses pieds à son tour. La blonde attendait qu'elle passe devant pour qu'elle puisse prendre la bonne direction. Pourtant, la brune n'avança pas. À la place, elle la regardait.
« Au fait... Merci beaucoup pour hier soir. Ça compte beaucoup pour moi. Et... T'as une très belle voix, tu sais. »
Puis, sans rien ajouter, elle reprit le chemin dans le sens du retour, laissant Siyeon complètement agitée intérieurement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top