⋅ Partie 25 ⋅

Parc des Violettes - 16h31

Les examens trimestriels avaient commencé depuis quelques jours, avec leur lot d'angoisses, d'insomnies et de bachotages nocturnes. Naho faisait partie des victimes : elle enchaînait les nuits blanches ou presque pour réviser encore et encore, faire des fiches colorées qui ne ressemblaient à rien et apprendre tout ce qu'elle aurait déjà oublié la semaine suivante. En somme, tout ce qui lui permettrait d'éviter les cours de rattrapage pendant les vacances. Avoir révisé avant ne l'empêchait pas de paniquer et passer ses nuits à bûcher sur tout ce qui lui passait sous la main. Le stress avait presque réussi à lui sortir Nosaka de la tête, même s'il revenait parfois la hanter dans ses exercices de mathématiques.

La brunette réprima un bâillement lorsqu'elle entra dans le Parc des Violettes ce mercredi soir. Elle s'arrêta un instant près de l'entrée pour laisser passer un père de famille avec une large poussette et la ribambelle d'accessoires qui vont avec, quand elle l'aperçut du coin de l'œil. Une tignasse rouge qu'elle reconnaîtrait entre mille, perdue au milieu des hortensias et qu'elle aurait certainement manqué si elle n'avait pas dû s'arrêter. Elle n'hésita que quelques secondes. Après s'être assurée qu'elle n'était pas observée ni suivie – principalement par des enfants surexcités du même style que Tohru, la jeune fille traversa le carré d'herbe et contourna les buissons d'hortensia. Il était là, assis par terre contre un tronc d'arbre, l'air pensif. Quand elle se planta devant lui, Nosaka leva les yeux de la pelouse qu'il contemplait et elle frémit comme ses yeux gris d'orage remontaient lentement sur elle pour la détailler du regard.

— T'es pas très doué pour te cacher, commenta-t-elle avec une grimace, qui lui arracha un sourire.
— Du moment qu'il n'y a que toi qui me trouves, ça me va.
— N'importe quoi, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.

Elle croisa les bras, troublée par l'intensité de son regard sur elle, mais il ne sembla pas s'en rendre compte. Ou alors il s'en fichait complètement. Pourquoi était-elle venue le voir, déjà ? Il se redressa légèrement.

— Comment ça va, depuis dimanche ?
— Bof, examens trimestriels... grimaça-t-elle.
— Cette semaine ? demanda-t-il et elle acquiesça. Ça se voit, t'as l'air fatiguée.

À traduire : elle était pâle comme un linge et avait des cernes qui lui donnaient des allures de panda. Elle haussa les épaules. Ça, elle le savait, que son apparence n'était pas des plus glorieuses. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle tenait à peine debout, mais les réveils piquaient de plus en plus chaque matin. Hayato s'était même mis en tête de réaliser un spin-off amateur de The Walking Dead avec sa sœur en actrice principale.

— Viens t'asseoir, murmura-t-il en l'invitant d'un geste de la main.

Trop exténuée pour protester – et aussi peut-être un peu par envie, Naho ne se fit pas prier longtemps et, se laissant presque tomber au sol, elle s'installa près de lui. Leurs corps se touchaient à peine mais la chaleur de son bras contre le sien suffit à lui échauffer le cœur.

— Et toi, pas d'examens en vue ? demanda-t-elle après quelques secondes de silence.
— Non, mais un mondial à gagner.
— Bien sûr, marmonna-t-elle, légèrement envieuse de cette dérogation.

Sa phrase fut ponctuée d'un énième bâillement à se décrocher la mâchoire et, après une milliseconde d'hésitation, elle reposa naturellement sa tête contre l'épaule de Nosaka comme s'il était soudain le meilleur oreiller du monde – ce qu'elle était à deux doigts de penser. Il ne la repoussa pas, bien au contraire : sa main trouva discrètement celle de Naho et leurs doigts s'entrelacèrent. Électrisée, elle ferma les yeux tandis que son odeur l'envahissait, toujours cet étrange mélange d'herbe coupée et de pluie saisonnière.

— C'est jusque quand tes exams ? s'enquit-il.
— Demain soir... soupira-t-elle. Pourquoi ? Tu comptais encore me faire jouer au foot ?

Son épaule vibra contre sa joue quand il pouffa de rire et sa joie la traversa toute entière. Elle en frissonna. Bien malgré elle, ses doigts se crispèrent entre les siens. C'était définitivement trop agréable.

— L'idée est très tentante, mais je ne peux pas demain.
— Dommage, pour une fois que je voulais bien... lâcha-t-elle, faussement déçue.
— Je peux encore annuler, si tu veux, répondit-il en entrant dans son jeu.
— Oh non, je m'en voudrais trop de faire annuler une de tes interviews pour le journal national.

Un nouveau rire le secoua et il pencha la tête vers Naho, les lèvres à quelques millimètres de sa tempe. En pure opposition avec la brise fraîche de l'été, son souffle était brûlant sur sa peau. Elle se sentit fondre.

— Je vais voir des amis de mon ancien lycée à Tokyo, expliqua-t-il. On a deux jours de repos pour rendre visite à nos proches avant de partir en Russie.
— Je vois. Demain tu vois tes potes et vendredi tu vas voir ta famille, c'est ça ?

Ce fut presque imperceptible, mais les muscles de son bras se contractèrent l'espace d'une fraction de seconde contre la joue de Naho. Ce sursaut fut comme une décharge électrique et, interpellée, elle leva la tête vers lui, appuyant son menton sur l'épaule du garçon qui ne répondait pas. Son regard se faisait lointain, perdu dans la contemplation des buissons un peu plus loin.

— J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

Lorsqu'il tourna la tête, leurs regards s'accrochèrent et il sourit. Un sourire triste, qu'elle ne lui avait jamais vu. Son cœur en trembla de douleur.

— En fait, je n'ai pas vraiment de famille, avoua-t-il de but en blanc. Ma mère m'a confié à un orphelinat quand j'avais cinq ans et j'y ai passé toute mon enfance.
— Oh.

Et ce fut le seul mot qu'elle parvint à prononcer, tant ils lui manquaient tous subitement. De tout ce qu'elle avait pu croire sur Nosaka, elle n'aurait jamais pu imaginer ça. Abandonné. Orphelin ou peu s'en faut, condamné à faire le deuil de quelqu'un qui ne l'aimait pas en retour. Malgré tout le détachement dont il avait fait preuve en parlant, comme s'il racontait l'histoire de quelqu'un d'autre et non la sienne, l'amertume transparaissait dans son regard farouche. Il en voulait encore à ses parents, il ne leur pardonnerait sûrement jamais. Et Naho ne pouvait pas vraiment le juger : comment réagirait-elle si sa mère ou ses frères la rejetaient du jour au lendemain ? Tout à coup, elle revoyait les trois dernières semaines en perspective.

— Je suis désolée...

Nosaka intercepta ses lèvres pincées et son regard navré, puis son visage se fendit d'un sourire amusé. Et peut-être un peu attendri, aussi. Son regard s'attarda sur ses joues qui picotaient d'émotion, avant de revenir sur ses yeux.

— T'as pas à t'excuser, répondit-il. C'est pas de ta faute.
— Et... et ton père ? Il a pas cherché à s'occuper de toi ?

Le garçon haussa une épaule désinvolte – la seconde étant accaparée par Naho – avant de détourner le regard.

— Je suppose qu'il était trop focalisé par son travail pour en avoir quelque chose à faire.

La jeune fille ne répondit pas, ne sachant pas quoi dire pour le réconforter. Nosaka regardait toujours droit devant lui, le visage dénué de toute émotion, happé par de lointains souvenirs. Elle n'osait pas bouger et se contentait d'observer son profil à quelques centimètres d'elle à peine, le menton toujours sur son épaule. Cette proximité lui plaisait décidément beaucoup trop. Il dut sentir qu'elle le regardait puisqu'il tourna de nouveau la tête vers elle, son habituel petit sourire sur les lèvres.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda-t-il subitement.

Prise sur le fait, la brune piqua un fard. Le ton faussement innocent de sa question détonnait avec la lueur espiègle qui dansait dans ses yeux. Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun son n'en sortit. Alors elle balança la première chose qui lui passait par la tête.

— Noël, lâcha-t-elle subitement – et une idée complètement folle lui effleura l'esprit à ce moment précis. Tu n'auras qu'à venir chez nous à Noël. Ma mère sera hyper contente de te recevoir et Tohru aussi.
— Noël, répéta Nosaka, légèrement incrédule, tandis que son sourire moqueur s'élargissait. Noël, dans six mois ?
— C'est une fête très familiale pour nous, insista Naho, qui croyait de plus en plus en cette idée soudaine. Tu seras comme un membre de la famille.

Plus elle tentait de convaincre le milieu de terrain, plus elle s'en persuadait elle-même. Voilà la solution ! Voilà quelque chose qui lui ferait du bien, s'il n'avait pas de famille. Ce soir ou dans six mois, qu'à cela ne tienne, sa famille pouvait bien lui ouvrir les bras.

Le sourire du footballeur se fana légèrement quand il comprit qu'elle était on ne peut plus sérieuse. Il la considéra pendant une minute éternelle, comme s'il cherchait l'ironie dans ses paroles, comme s'il voulait y croire un peu lui-même. Une minute s'écoula sans qu'il ne détourne le regard d'elle, à se laisser tenter par la proposition. Et, lentement, il se pencha vers elle. Naho n'eut même pas le temps de reculer qu'il l'embrassa juste au coin des lèvres, furtivement, avant de reculer presque aussitôt. La lycéenne en perdit toutes ses facultés cognitives, elle cligna même des yeux plusieurs fois, puis leva un regard étourdi vers Nosaka. Il avisa avec un sourire les rougeurs qui prenaient contrôle de son visage et murmura :

— Je serai là à Noël, alors.

Sur ces mots, il sauta sur ses pieds avec agilité, avant de tendre une main vers Naho pour l'aider à se relever. Encore bouche bée de ce geste si soudain, la brunette mit quelques secondes à réagir, la lèvre inférieure tremblotante, puis elle attrapa timidement la main de Nosaka. La même main qu'elle avait tenue à peine cinq minutes auparavant.

— Je vais pas tarder à y aller, annonça-t-il une fois qu'elle fut hissée sur ses pieds, j'ai une soirée avec l'équipe ce soir. Sur un bateau apparemment.
— Sur un bateau ? répéta la brunette en fronçant les sourcils, sceptique.
— Oui, avec d'autres équipes du FFI, c'est une soirée d'inauguration pour Inazuma Japan. Et si j'arrive en retard, les autres vont me tomber dessus.

Elle imaginait difficilement le milieu de terrain se faire rabrouer, même sans connaître les autres membres de l'équipe. Les seuls qu'elle avait rencontrés étaient Kidou Yuuto et Ichihoshi Hikaru ; le premier s'en ficherait sans doute complètement et le second serait capable de s'excuser d'être en avance.

— Moi, je vais aller chercher Tohru, dit-elle en attrapant son sac de cours. Il va se demander où je suis.
— Il a peut-être même pas capté que t'étais en retard.
— Tu crois vraiment ça ?
— Ne sous-estime pas le pouvoir du football, la mit-il en garde avec un sourire mystérieux qui la fit rouler des yeux.
— Ouais, je pourrais mourir, ce serait pareil quoi.

À côté d'elle, Nosaka pouffa de rire. Ils avaient rejoint le centre du Parc des Violettes. Le chemin menait d'un côté à la sortie du square, et de l'autre, au fameux terrain de football en terre battue. Naho fit un pas en direction du terrain, avant de se retourner vers le footballeur à un mètre d'elle pour lui dire au revoir, quand il reprit la parole. Il la regardait, l'air songeur.

— Je crois que ton frère serait bien embêté quand même.
— Ah bon ? fit-elle, ne voyant pas où il voulait en venir.
— Il m'a dit plein de trucs à ton sujet. Je pense que ça l'attristerait vraiment si tu venais à mourir.

Malgré sa moue dubitative, elle acquiesça doucement. Le rouge fit alors un pas en arrière sur le chemin graveleux, sans quitter Naho des yeux. Ce demi-sourire flottait toujours sur ses lèvres.

— J'y vais, sourit-il, sans cesser de marcher à reculons. Salut !
— Bonne soirée, souffla-t-elle et il tourna définitivement les talons.

Elle regarda sa silhouette s'éloigner lentement. Les doigts serrés sur l'anse de son sac, elle se perdit dans le brouillard de ses pensées. Les secondes s'écoulèrent, tandis qu'elle cherchait ce qui la troublait. Et cela fit tilt. Il m'a dit plein de trucs à ton sujet. Elle quitta le sol des yeux ; Nosaka franchissait le portail d'entrée du parc, à quelques vingt mètres d'elle.

— Attends ! s'exclama-t-elle et au bout du chemin, le garçon se retourna, intrigué. Tohru t'a dit quoi, exactement ?

Un sourire mystérieux éclaira son visage, puis ses yeux gris se tournèrent vers la gauche et après un dernier regard vers Naho, il disparut derrière les clôtures du parc. Mue par la curiosité, mais aussi un peu d'agacement, la jeune fille s'apprêta à lui courir après, quand elle entendit des pas précipités derrière elle. Elle eut à peine le temps de faire volte-face pour voir Tohru se planter devant elle, décoiffé et essoufflé.

— J'ai super soif ! On rentre à la maison ?

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