⋅ Partie 24 ⋅
Restaurant Rairaiken, banlieue de Tokyo - 20h11
Trois coups de sifflets. Qui avaient résonné plus de deux heures auparavant sur le Stade Football Frontier mais qui continuaient de faire vibrer l'esprit des dix-sept joueurs de l'Inazuma national, ainsi que de leurs managers et entraîneurs. Tous s'étaient rassemblés entre les murs d'un minuscule restaurant de nouilles de Tokyo, où le capitaine Endou Mamoru les avait emmenés afin de célébrer la victoire. L'heure était à la fête ; après un rude match contre la Chine, ils s'étaient enfin qualifiés pour le mondial de football junior en Russie.
« Bravo pour la victoire !! »
Ces quatre mots surgirent par dizaines sur l'écran de son portable quand Nosaka Yuuma l'alluma. À l'étroit sur le banc, assis entre un Nishikage en pleine conversation avec Saginuma, et Goujin qui s'entraînait à parler russe avec Asuto, le rouge profitait d'un rare moment de solitude pour consulter ses nombreux messages. Les mots de félicitations se succédaient, de la part d'expéditeurs variés : ses anciens coéquipiers d'Outei Tsukinomiya, Miyano Akane qui avait dû également envoyer une pluie de messages à Haizaki (l'air ravi qu'il arborait devant son téléphone ne trompait personne), des fans anonymes sur les réseaux sociaux ou bien encore d'autres joueurs d'équipes du Football Frontier – il ignorait comment Fubuki Atsuya était parvenu à obtenir son numéro, mais son message lui faisait plaisir.
Il fit défiler les messages, répondit à certains d'entre deux, en ignora d'autres auxquels il répondrait plus tard, jusqu'à tomber sur un nom qui l'arrêta brusquement dans sa lecture. Il resta presque impassible, à l'exception du petit sourire amusé qui naquit sur ses lèvres quand il ouvrit la conversation. Envoyé à peine quelques minutes auparavant, le message de Naho apparut sous ses yeux.
« Félicitations pour ton match. Tohru est intenable depuis, il a décidé de partir en Russie... »
Il l'imaginait sans mal écrire ça en soupirant bruyamment, débordante d'ironie, tandis que son petit frère chantait à tue-tête et bondissait de joie autour d'elle. Nosaka réprima un rire à cette idée et tapa sa réponse sans tarder.
« Merci. Vous pouvez venir, je vous paie les billets. »
Qu'à cela ne tienne, l'argent n'était plus un obstacle depuis qu'il avait gagné son procès contre Ares no Tenbin. Le footballeur leva la tête juste à temps pour voir Kira Hiroto se faire remballer par Haizaki quand il tenta de lire ses messages par-dessus son épaule, avant de se faire charrier par Tatsuya. Une vague de rires secoua les deux tablées et alla lézarder les murs du restaurant. La seconde d'après, son portable vibrait à nouveau.
« Très peu pour moi, j'ai mes examens trimestriels bientôt. »
« Je suis meurtri. »
Nosaka savait que ça la ferait sourire, ce qu'elle ne faisait presque jamais en sa présence. C'était arrivé une fois, l'autre soir dans sa chambre ; il avait vu l'ombre d'un sourire glisser sur ses lèvres, alors qu'elle était entre ses bras. Ça avait été plus fort que lui, de l'enlacer. C'était toujours plus fort que lui, en fait, d'aller vers Naho. Pourtant, il ne la connaissait pas depuis si longtemps... deux semaines, à tout casser ? Vibration. Deux nouveaux messages apparurent à l'écran :
« Tu m'en vois navrée. »
« Et où est-ce que tu comptais trouver l'argent pour des billets d'avions, genius ? »
Le rouge esquissa un nouveau sourire. Toujours à voir le côté pratique des choses. Quand elle ne s'inquiétait pas pour ses petits frères, c'était pour son lycée ou pour sa famille. D'aucuns diront que c'était de la maturité, lui penchait plus pour l'angoisse. Un véritable fardeau abandonné sur ses épaules frêles – oui, elles étaient frêles, il les avait touchées – ; elle assumait cette charge mentale sans mot dire, responsable de sa fratrie jusqu'à la tombée du jour. Et lui désapprouvait en silence. Sa question lui revint en mémoire et il réprima un rire en tapant sa réponse.
« En vendant mon corps, pourquoi cette question ? »
D'un coup d'œil circulaire, Nosaka vérifia que personne ne lisait sa conversation à son insu. Il voyait déjà le jeune Sakanoue au bord de la syncope à cause d'un excès de curiosité. Sur son smartphone, les points de suspension cédèrent leur place à un énième message.
« Y a vraiment des gens prêts à payer pour ton corps ? »
« Tu serais surprise. »
« Je ne veux pas savoir, en fait. »
« C'est toi qui as posé la question. »
« Et je le regrette, d'ailleurs. »
Le coin de ses lèvres frémit, puis une idée lui effleura l'esprit. Il leva les yeux vers ses coéquipiers. À côté de lui, Goujin jura contre la prononciation d'un mot en russe et Asuto gloussa, vite imité par Ichihoshi. Ce dernier faisait désormais partie intégrante de l'équipe ; Naho serait ravie de le savoir. Le rouge se détourna d'eux et regarda à droite. Nishikage tentait, la mine perplexe, de comprendre en quoi consistait la toute nouvelle technique d'Endou, qui s'agitait dans tous les sens et finirait par assommer quelqu'un. En face, à deux doigts de se faire étrangler par Haizaki, Hiroto n'en démordait pas et continuait de lire sa conversation avec Akane. Personne ne faisait attention à lui. Une fraction de seconde, Nosaka hésita. Puis ses doigts tapèrent les mots d'eux-mêmes.
« Je peux t'appeler ? »
Impulsion. Et le message fut envoyé, sans l'ombre d'un regret. Une minute entière, longue comme l'éternité, s'écoula. Cela lui laissa le temps de douter de lui-même pour un court instant. Posé et réfléchi, voilà ce qu'il était. Un métronome humain dont toutes les actions étaient calculées au battement de cœur près. Soit en totale opposition avec chacun de ses gestes envers Naho, tous influencés par l'émotion. Devrait-il le regretter ? Cette simple pensée s'écailla pourtant quand son portable vibra.
« Vas-y. »
Il ne put retenir un sourire en coin. Sa prise se raffermit sur son portable et il se leva lentement du banc sur lequel il était assis.
— Je sors quelques minutes, murmura-t-il à l'oreille de Nishikage, qui acquiesça imperceptiblement.
Yuuma serpenta entre les tables de l'établissement avec une discrétion presque fantomatique et se faufila dehors. Les halles grouillaient de monde en ce début de soirée, caractéristique de la capitale. La foule l'appelait, dense et animée. Après un dernier coup d'œil en direction de son équipe, le rouge se déroba à l'ambiance festive du restaurant pour remonter la rue commerciale. Il finit par déboucher sur un petit espace vert, cloîtré au milieu des buildings. Joli, certes, mais le footballeur avait une légère préférence pour le Parc des Violettes : plus grand, plus vert et terriblement plus familier.
Pas fébrile pour un sou, Nosaka déverrouilla calmement son portable et lança l'appel. Le brouhaha incessant de Tokyo disparut autour de lui comme il portait le téléphone à son oreille. La lycéenne répondit au bout de la troisième sonnerie par un « Oui ? » à peine audible dont il se délecta. Si proche et si loin à la fois.
— Hello Naho, chantonna-t-il presque.
Il entendit en arrière plan les cris du petit Tohru, qui entonnait une chanson paillarde qui aurait pu donner de l'urticaire à un curé. Sa voix fluette lui parvenait étouffée, comme si Naho s'était barricadée derrière les murs de sa chambre, mais demeurait audible pour Nosaka. Le petit garçon devait chanter à pleins poumons.
— Ton frère a l'air en forme.
La brune poussa un soupir et il fut certain qu'elle levait les yeux au ciel face à l'ironie de sa phrase. Ça l'amusa.
— Il est comme ça depuis la fin du match, reprit-elle. Il s'est aussi persuadé qu'on a des origines russes et que, pour cette raison, on doit absolument aller en Russie. Aucun lien avec le FFI en Russie, n'est-ce pas ?
— Aucun, concéda le rouge avec un sourire en coin. Ton deuxième prénom, c'est bien Natasha ?
Cette fois, elle laissa échapper un petit rire. Un vrai rire, qui l'ébranla jusqu'au fond de ses entrailles. Yuuma aurait payé cher pour voir son visage à ce moment précis. Cependant, il avait plus de chances de voir un dragon sillonner le ciel de Tokyo que de la voir accepter un facetime avec lui. Il oublia vite cette idée.
— Vous partez quand, du coup ? s'enquit-elle.
— Samedi matin, répondit-il. On quitte Fujikawaguchiko aux aurores et on décolle à onze heures depuis l'aéroport de Narita.
— Je vois.
Un ange passa. Nosaka leva le nez vers le ciel doré de la capitale ; le soleil couchant avait disparu derrière les immenses bâtiments de la ville. Comment était le crépuscule, sur le lac Kawaguchi ? Quelle vue avait-elle depuis sa chambre ?
— Dis-moi...
Il marqua un temps d'arrêt, teinté d'hésitation. Son souffle léger fit grésiller le micro du téléphone, avant qu'il ne pose cette question qui le taraudait.
— Je vais te manquer quand je serai en Russie ?
Avec un plaisir évident, Nosaka imaginait déjà ses joues se colorer de rose, exactement comme lorsqu'elle l'avait embrassé la veille. Comme lorsqu'elle lui avait demandé de gagner. Bien sûr, il avait prévu de l'emporter sur la Chine, quoi qu'elle dise, mais cet argument de taille l'avait prodigieusement galvanisé. Pourtant, ce n'était presque rien comparé à ce qu'il ressentit à cet aveu, prononcé à mi-voix :
— Je... – elle s'interrompit pour prendre une grande inspiration – sûrement, oui.
Elle avait lâché ça dans un soupir et, s'il n'avait pas été aussi concentré sur sa voix, il ne l'aurait presque pas entendue. Le capitaine d'Outei Tsukinomiya ne put retenir un sourire victorieux et se redressa sur le banc en bois où il était assis.
— Tant mieux alors, déclara-t-il.
À l'autre bout du fil, elle hoqueta de surprise. S'il s'était tenu en face d'elle, elle l'aurait sans doute assassiné du regard, voire pire. Et il s'en serait régalé.
— Comment ça « tant mieux » ?! s'étrangla-t-elle.
— Oui, ça m'arrange.
— Mais... ça se fait pas de dire ça, enfin ! s'offusqua-t-elle. On joue pas avec les sentiments des gens !
— Donc tu as des sentiments pour moi ?
Silence radio de l'autre côté, qui lui arracha un sourire amusé. Sa réplique avait fait mouche. Un bruit sourd retentit à l'autre bout de la ligne ; elle avait dû se laisser choir sur son lit en se maudissant de son erreur. Elle devait même maudire tous les dieux de la terre, à en croire son soupir à fendre l'âme. Et lui aussi, certainement, mais ça, il y était habitué.
— Naho ? l'appela-t-il, comme elle ne répondait pas.
— Nosaka... j'ai vraiment pas envie d'en par...
— Moi, j'en ai, l'interrompit-il.
— C'est-à-dire ? couina-t-elle, une note de méfiance dans la voix.
— Des sentiments pour toi. J'en ai.
Et c'était vrai. Il avait lui-même bien de la peine à mettre des mots dessus, lui l'Empereur des Tactiques et d'un tas d'autres trucs. Mais il savait qu'elle l'attirait irrémédiablement. Avec son humeur maussade et ses inquiétudes, sa façon de le regarder comme s'il allait la faire exploser, ses rougeurs quand il l'approchait d'un peu trop près... Et en une fraction de seconde, Nosaka n'était plus à Tokyo : il était à des dizaines de kilomètres de là, aux abords du lac Kawaguchi. Avec elle.
— Je sais pas quoi dire, murmura-t-elle après un moment de silence.
— Que tu es folle amoureuse de moi, finalement ? hasarda-t-il d'un air qui se voulait innocent.
— N'en demande pas trop, non plus.
Le footballeur partit d'un petit rire étouffé. Malgré le piquant de sa réplique, sa voix s'était légèrement adoucie et il devinait son sourire à travers ses paroles. Ce sourire qu'il rêvait de voir de ses propres yeux. Refuserait-elle vraiment un facetime, aussi court fût-il ? Une voix le tira de ses pensées.
— Hé, Nosaka !
Le rouge se tourna vers Endou, qui lui faisait signe depuis l'entrée des halles de la rue commerçante. Le reste de l'équipe se tenait à ses côtés, veste sur les épaules et sac de sport à la main. Ils étaient prêts à partir et, visiblement, ils l'attendaient.
— Je crois qu'on a besoin de toi, constata Naho, qui également entendu l'appel du gardien de but.
— Oui, je vais devoir te laisser, répondit Nosaka en se levant, sans quitter des yeux ses coéquipiers qui le dévisageaient.
— De toute façon, j'ai encore des révisions à faire.
— Travaille bien alors.
— Je n'attendais pas que tu me le dises pour le faire, je te rassure.
— Je n'en doute pas une seule seconde, sourit-il.
— C'est ça, marmonna-t-elle à l'autre bout de la ligne. Allez, salut.
— À plus tard.
Le milieu de terrain raccrocha pile au moment où il arrivait au niveau de ses coéquipiers, qui le gratifiaient d'un regard interrogateur. Pire, le sourire narquois de Hiroto n'augurait rien de bon. Qu'importe. Nosaka glissa son téléphone dans la poche de sa veste avec un petit sourire satisfait et se tourna vers son capitaine.
— On retourne au bus, lui indiqua Endou, sans se départir de son immense sourire qui le caractérisait tant.
— Je vous suis, déclara-t-il, les mains enfouies dans les poches.
— Tu téléphonais à qui ? s'enquit Hiroto en se penchant vers lui, tandis qu'ils s'engageaient dans la rue où était garé le bus.
— À ta mère, répondit Haizaki à sa place.
Nosaka esquissa un sourire enjoué et profita de cette intervention pour éluder la question de l'Attaquant Divin. Ce dernier maugréa une insulte et c'est sur une énième joute verbale entre ces deux-là, que l'Inazuma Japan monta à bord du bus qui les ramènerait à la maison.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top