⋅ Partie 23 ⋅
Parc des Violettes - 16h32
La tête dans les nuages. C'est l'état dans lequel Naho était quand elle arriva aux abords du Parc des Violettes, d'un pas lent et incertain. C'est à peine si elle regardait où elle allait, tant ses pensées étaient accaparées par tout, sauf ce qu'il se passait autour d'elle. Le trouble était tel qu'elle ne parvenait plus à se concentrer en cours. Et c'était ainsi depuis deux jours, depuis que Nosaka avait débarqué chez elle mercredi soir, depuis qu'il l'avait enlacée, depuis qu'il lui avait à demi avoué qu'elle lui avait manqué. Elle réprima un frisson à cette idée. Le pire dans toute cette histoire, c'est que ça lui avait plu.
— Hem... Naho ?
La brune leva la tête vers la personne qui l'avait arrachée à ses réflexions, étonnée qu'on l'interpelle là, à l'entrée du parc. Les seules personnes qui l'appelaient par son prénom par ici étaient les enfants du square, sauf qu'ils passaient le plus clair de leur temps sur le terrain de football quand ils étaient dans les parages. Cependant, ce n'était clairement pas une voix d'enfant qui l'avait interpellée. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque ses yeux tombèrent sur la silhouette frêle d'un garçon qu'elle ne connaissait que trop bien.
— Ichihoshi ! Mais... qu'est-ce que tu fais là ? couina-t-elle sous la surprise.
Le garçon avait bien changé, depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu à l'hôpital. Une semaine seulement s'était écoulée mais son visage avait repris des couleurs, ses joues étaient un peu plus rebondies et son regard pétillait déjà d'une énergie nouvelle. Il se tenait droit, plus épanoui, moins recroquevillé sur lui-même. Et mieux, il la regardait droit dans les yeux, sans ciller. Son seul « trouble » apparent était son embarras croissant.
— C'est Nosaka qui m'a dit où te trouver, expliqua-t-il en se grattant l'arrière de la nuque.
Que c'était étonnant de sa part. Cependant, le simple fait de mentionner le footballeur eut le mérite de sortir Naho de sa stupeur. Elle s'empourpra presque lorsque les souvenirs fusèrent dans son esprit, mais se ressaisit bien vite, tandis qu'elle déposait son sac sur le banc à l'entrée du parc.
— Oh, fit-elle simplement, avant de marmonner pour elle-même. J'espère juste qu'il va pas refiler mon adresse à toute l'équipe.
— Aucun risque, ne t'en fais pas pour ça, s'empressa d'assurer Ichihoshi, rayonnant de joie.
Son sourire sincère plut à Naho. Il avait l'air beaucoup plus serein, maintenant. Plus stable, aussi. Il était parvenu à réinstaurer l'équilibre dans son monde et son esprit. Sûrement avait-il trouvé une nouvelle étoile autour de laquelle graviter.
— Je voulais te remercier pour la dernière fois, reprit-il beaucoup plus sérieusement.
Sur ces mots, il s'inclina devant elle conformément aux règles de bienséance. La lycéenne le regarda sans mot dire un instant, avant de froncer les sourcils d'incrédulité.
— Me remercier pour quoi, en fait ? Parce que j'ai rien fait, concrètement, à part te parler.
— C'était suffisant, sourit-il. T'es la seule à être venue me voir, à l'hôpital. Quand j'étais vraiment moi, je veux dire.
— Ah, ben... de rien. Je suis ravie de savoir que tu vas mieux.
Le jeune garçon se redressa vivement et lui décocha un large sourire enthousiaste. Curieusement, il lui rappelait Tohru, à réagir ainsi, malgré leur grande différence d'âge ; elle eut presque envie de l'adopter comme troisième petit frère. Mais était-ce vraiment la solution ? Au bout de quelques secondes de silence, le footballeur finit par glisser une main dans la poche de sa veste de survêtement pour chercher quelque chose.
— Et je voulais te rendre ça, indiqua-t-il en lui présentant l'objet qu'il venait de sortir de sa veste. J'ai été très touché que tu me le donnes, et je l'aime beaucoup, mais... il t'appartient.
L'anneau en métal étincela sous l'éclat du soleil, puis elle reconnut le porte-clé tigre sali par le temps, qu'elle avait trimbalé partout quand il était encore accroché à son sac. Elle le lui avait laissé, ce soir-là, à l'hôpital, et l'avait totalement oublié, trop aveuglée par les troubles psychiatriques du garçon pour se souvenir de ce détail. Même Tohru n'avait pas remarqué sa disparition.
Et malgré tout ce qu'il s'était passé chez lui, dans son esprit, Ichihoshi s'en était pourtant rappelé. Naho se sentit fondre devant la douceur de son geste et son minois désolé. Elle tendit alors la main vers l'animal en peluche pour effleurer du bout des doigts son pelage synthétique. Puis, lentement, elle referma les mains du garçon autour du porte-clé. Hikaru la regarda avec des yeux ronds.
— Je sais qu'il est moche, ce porte-clé, mais garde-le, dit-elle en avisant sa surprise.
— Non, il est pas moche, au contraire !
— Tu l'aimes bien ? fit Naho et le bleu hocha timidement la tête. Tu dis qu'il t'aide ?
— Oui mais...
— Alors garde-le, je t'en ai fait cadeau.
— Mais c'est... c'était un cadeau de ton petit frère, protesta-t-il avec une véhémence exceptionnelle pour un simple porte-clé. Je... j'aurais bien aimé...
Il s'interrompit, tandis son regard se voilait. Le cœur de Naho se serra. Il avait beau être guéri, l'absence de son frère le rongeait encore et elle le hanterait sans doute toujours. Pouvait-on vraiment faire le deuil de quelqu'un avec qui on avait grandi ? S'en remettrait-il un jour ? Devant elle, Ichihoshi battit des paupières et aussi vite qu'il avait paniqué, il se reprit, le regard clair mais teinté de chagrin.
— Désolé, je voulais pas t'apitoyer, reprit-il en tournant la tête. C'est juste que... ton frère...
— Mon frère s'en remettra, lui assura Naho avec un sourire encourageant. J'ai encore plein d'autres de ses cadeaux, y compris ses dessins qui ressemblent à rien accrochés sur mon mur.
L'adolescent la regarda avec de grands yeux puis acquiesça lentement. Elle parvint même à lui arracher un sourire lorsqu'elle commenta lesdits dessins. Naho s'enhardit de cette réussite et se pencha vers lui pour ajouter, l'air complice :
— Sache que Tohru sera ravi de savoir que son porte-clé est désormais entre les mains du grand Ichihoshi Hikaru d'Inazuma Japan.
Le bleu lui lança un coup d'œil dubitatif, malgré le sourire amusé qui fleurissait sur ses lèvres. Au fond de ses yeux, ses pupilles tremblèrent, comme cela faisait écho à une situation lointaine, très lointaine, et terriblement familière.
— Tu me charries ? demanda-t-il quand même, incertain.
— Même pas. Il me casse les oreilles avec vous depuis le début de la compétition, alors prends ce porte-clé.
— Je...
— Prends-le, insista-t-elle. Comme un cadeau d'un petit frère à son grand frère de cœur.
Et ce n'était pas totalement faux. Tohru adulait tellement les membres de l'Inazuma national, qu'il aurait de bonne grâce échangé sa sœur contre l'un d'entre eux. Ichihoshi baissa la tête et ferma les yeux, visiblement ému par ce présent pourtant sans valeur. Ses doigts se resserrèrent imperceptiblement autour de la petite peluche, comme s'il ne voulait pas qu'elle lui échappe. Puis sa voix se brisa dans un sanglot sur ce simple mot :
— Merci.
La jeune fille esquissa un maigre sourire et lui frotta l'épaule dans un geste qui se voulait réconfortant. Il ne la repoussa pas, s'abandonnant à cette marque d'affection soudaine et à laquelle il n'était visiblement pas habitué. Sa respiration se calma progressivement, au plus grand soulagement de Naho, qui était à deux doigts de monter un dossier d'adoption. Quand il rouvrit les paupières, son regard était empreint de gratitude, mais aussi d'une certaine détermination. Il jeta un coup d'œil en direction de la sortie du parc avant que ses yeux bleu nuit ne reviennent sur la brunette.
— Je vais y aller, déclara-t-il. J'ai promis aux managers de les aider à faire à manger.
Si elle haussa un sourcil surpris face à cette annonce plus qu'inattendue, Naho acquiesça avec un sourire. Tout bien considéré, si ça pouvait le soulager, elle le soutenait à deux cent pour cent. Le garçon s'attarda encore un instant, à danser d'un pied sur l'autre tout en jetant de nombreux regards nerveux en direction de la sortie.
— Juste, on pourra se revoir un de ces quatre ? hasarda-t-il. Avec ton frère, si tu veux, je... je serais super content de le rencontrer... et...
La fin de sa phrase se perdit dans le néant alors qu'il cherchait ses mots. Sa voix était pleine d'espoir, comme s'il redoutait son refus, comme s'il lui demandait la lune ou presque. C'est cette confiance en lui qu'il devait encore reconstruire, après sa sortie de l'hôpital. La route semblait longue. Pourtant, Ichihoshi se fendit d'un sourire éclatant quand Naho opina du chef et, après une énième courbette de remerciement, il disparut derrière les clôtures du Parc des Violettes. La jeune fille garda le regard fixé sur la sortie du square pendant un instant, avant de se ressaisir.
— Sans surprise, ce fut intéressant, fit alors une voix.
Le cœur de Naho fit un bond et elle se retourna vivement, tout en marmonnant un juron à l'intention de cette personne dont elle avait sans mal reconnu la voix – si familière désormais. Nosaka et son petit sourire narquois se cachaient à l'ombre d'un arbre, quelques mètres plus loin, entre deux buissons d'hortensias.
Le footballeur sortit de sa cachette avec agilité et rejoignit la jeune fille en quelques enjambées. Comme toujours, elle fut troublée dès qu'il franchit sans hésiter les limites de son espace vital pour s'approcher d'elle. Ses pensées rationnelles volèrent aussitôt en éclat, d'autant plus qu'elle se rappelait encore l'étreinte qu'ils avaient partagée dans sa chambre.
— Qu'est-ce que tu fais là ? soupira-t-elle.
— Je surveille Ichihoshi.
— Encore ? Mais il fait plus rien de mal, là, si ?
Le ton hargneux dans sa voix amusa Nosaka, dont le sourire s'élargit. Éblouie, elle résista à l'envie de détourner le regard.
— Non, mais parfois, il a encore des moments d'absence, alors on garde un œil sur lui.
Naho ignorait si c'était son sourire ou cette annonce sur l'état de Hikaru, mais sa colère – tout du moins, le peu qu'elle éprouvait – s'évapora presque immédiatement pour céder sa place à l'inquiétude.
— Et vous suivez ses moindres faits et gestes ? s'enquit-elle d'une voix blanche.
— On essaie, oui. Histoire qu'il soit pas tout seul en pleine rue si ça lui arrive à nouveau.
— Oh, vous veillez sur lui en quelque sorte, comme sur un gosse.
— Exactement. Tu m'as bien dit que c'était un gosse qui appelait à l'aide, non ?
Naho hocha la tête doucement la tête, abasourdie. Il l'avait donc écoutée ? Boum. Son cœur s'emballa. Nosaka fit un pas vers elle, se rapprochant inexorablement. Elle voulut reculer par réflexe, mais chancela. La brunette allait bêtement tomber en arrière sur le banc, quand Nosaka la stabilisa en lui attrapant le poignet. Leurs regards s'accrochèrent et toute pensée de reculer disparut aussi vite que son agressivité à son égard. Elle en oublia presque de respirer, son attention happée par le regard du footballeur à quelques centimètres d'elle.
Le visage d'Ichihoshi lui revint en mémoire subitement. Elle lutta pour garder les idées claires ne serait-ce que pour une minute ou deux. Le sort d'Ichihoshi lui importait sincèrement. Mais tout était occulté par le reste, par ses doigts autour de son poignet qu'il ne daignait pas relâcher, par la distance quasiment nulle entre eux deux, par son odeur qui l'enivrait seconde après seconde ; au fond, elle désirait se perdre dans ce brouillard de sensations fortes. Elle s'éclaircit la voix.
— Et pourquoi tu es encore là, du coup, si tu dois surveiller Ichihoshi ?
Elle prit conscience de la dureté de sa phrase une fois qu'elle l'eut dite bien évidemment, mais Nosaka ne sembla pas s'en formaliser. Au contraire, ses yeux glissèrent sur ses pommettes en feu et il se fendit d'un sourire goguenard. Elle lui lança un regard agacé.
— Nishikage a pris le relais, le temps que je te parle.
— Nishikage ? répéta-t-elle
Elle fouilla dans les recoins de sa mémoire à la recherche de ce nom – celui d'un membre de l'Inazuma Japan, à n'en point douter. Tohru lui avait déjà parlé de ce joueur, mais comme tous les autres, il était passé aux oubliettes. Même Nosaka n'y avait pas échappé ; le seul nom qu'elle avait retenu était celui de Kidou, et elle mettait ça sur le dos de son style vestimentaire tout à fait excentrique.
— Un de mes meilleurs amis. Mon meilleur ami, je devrais même dire. Je te le présenterai un jour.
— Ah. J'espère qu'il n'est pas aussi casse-pieds que toi, en tout cas.
Un nouveau sourire étira ses lèvres, sur lesquelles Naho se surprit à zieuter l'espace d'une courte seconde avant de lever les yeux vers Nosaka, qui n'avait rien manqué de ce geste. Une lueur enjouée dansa dans ses yeux d'orage et, rouge de honte, elle détourna le regard. Aussitôt, comme si elle sortait d'une bulle isolatrice, elle perçut de nouveau les cris des enfants un peu plus loin dans le parc. Tohru lui revint à l'esprit ; elle devait le ramener à la maison.
— Je dois y aller, murmura-t-elle en jetant un coup d'œil incertain vers Nosaka, qui ne s'était pas départi de son sourire.
Il n'opposa aucune résistance quand Naho glissa son poignet hors de l'étreinte de ses doigts, aussi doucement que possible. Le contact se rompit sans que l'un ou l'autre détourne le regard, ne laissant que des picotements électriques le long de leur peau. Troublée, elle attrapa son sac de cours abandonné sur le banc et entreprit de se diriger vers le terrain au bout du parc. L'hésitation la saisit soudain, puis elle se figea au bout de trois pas à peine et fit volte-face.
Nosaka n'avait pas bougé ; il l'interrogea même du regard quand elle se retourna. Sans regret. Naho revint alors sur ses pas et, se hissant sur la pointe des pieds, l'embrassa furtivement sur la joue. Les lèvres encore tremblantes, elle s'empourpra lorsqu'il baissa sur elle son regard d'orage insondable.
— Gagne ce fichu match, dimanche. Sinon Tohru t'en voudra à mort, marmonna-t-elle.
Il acquiesça imperceptiblement, et un sourire frémit au coin de ses lèvres. Au bord de l'explosion, Naho tourna les talons sans plus attendre. Tout en se dirigeant vers le terrain où son petit monstre de frère se défoulait, elle poussa un long soupir pour exhaler toutes ses émotions. À défaut d'être présente quand il affronterait la Chine, une infime partie d'elle serait avec lui.
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