Chapitre 19
Happée par mes souvenirs de ce drame, je me sentis soudain projeter huit ans en arrière. Ma rage et ma colère enflèrent sous les multiples sensations qui m'assaillaient. Je m'étais pourtant interdit de revenir en arrière pour cette confrontation. Je devais me ressaisir, retrouver mes résolutions et le détruire, comme il l'avait fait avec Alexia.
Le flot incessant de ma mémoire m'entraina dans cette farandole de tristesse et de haine, mélancolie et de fureur. Ces sentiments, trop longtemps enfouis, cachés pendant des années, remontèrent à la surface pour mieux s'emparer de moi. Je n'étais plus, l'espace d'une seconde, la femme forte que je reflétais, j'étais seulement cette pré-adulte perdue et brisée. Je ne pus empêcher une larme de couler.
Je me ressaisis vite, m'interdisant de pleurer devant Matthieu. Il ne méritait rien et avait encore moins le droit de voir mes faiblesses. J'écartai du doigt cette perle du passé qui coulait sur ma joue, sûrement la dernière larme qui puisse remonter jusqu'au présent. Car, après en avoir fini avec cet homme, ce chapitre serait définitivement clos.
Pourtant, je ne pus empêcher de sentir un pincement au cœur. Violemment, les sentiments que je n'avais pu m'empêcher de ressentir explosèrent en un feu d'artifices d'émotions. J'aimais cet homme et pourtant j'avais décidé de lui faire du mal. J'aimais cet homme, cependant, notre amour était impossible. J'aimais Matthieu mais j'avais déclenché la mise à mort de notre relation, m'interdisant le bonheur pour nourrir ma soif de vengeance.
Brutalement, je fus tirée de mes pensées par une voix lasse et triste.
— Explique moi Emma, s'il te plait, explique moi, me dit Matthieu.
Le spectacle qu'il m'offrait était insupportable. Il était là, adossé à la porte, le regard à la fois triste et vide. Les yeux, remplis de larme, me regardait avec une incompréhension et une douleur visible. Il était brisé, effondré, complétement anéanti. La seule et unique raison était moi. J'étais la responsable de son malheur. Je venais de tuer un homme sans commettre d'homicide mais c'était bel et bien un meurtre. Pourquoi avais-je donc fait cela ?
Je me perdis dans les yeux bleus de Matthieu qui étaient maintenant gelés. Son beau regard avait disparu. La glace, qui avait pendant quelque temps fondue, était de nouveau là. Est-ce qu'un jour une braise ou une petite étincelle pourra-t'elle naître dans cet environnement hostile ? Est-ce qu'une flamme aura la force de faire fondre son cœur et transformer ses yeux en océan limpide ?
— C'est simple Matthieu, c'est très simple. Je ne t'ai jamais aimé. Je n'ai jamais rien ressenti pour toi. Je voulais seulement te détruire. Je voulais seulement me venger. Pour moi, tu n'es rien Matthieu. Juste un détail dans ma vie. Juste une personne que je vais vite oublier. Juste un court instant d'égarement.
Je lus dans ses yeux et sur son visage la douleur que je lui infligeai avec mes mots. Le malheur s'abattait sur lui sans qu'il puisse y faire grand-chose. Sans avoir le contrôle. Je pensais à Alexia. Je me rappelai sa peine et les épreuves que nous avions surmontés ensemble. Tout ce malheur avait été infligé par un seul et unique homme. Un seul responsable. Matthieu devait apprendre la leçon. Il devait recevoir la monnaie de sa pièce. Il devait souffrir.
— Tout ce que j'ai fait, tout ce plan n'avait qu'un seul et unique but. C'est de t'anéantir Matthieu. C'est de te voir souffrir. Tu as détruit tellement de personnes sans t'en rendre compte. Tu as semé le malheur partout autour de toi et tu ne récoltais que du succès, de la gloire et une part de bonheur. Il fallait que quelqu'un t'apprenne la leçon. La méthode douce n'était pas suffisante alors j'ai opté pour le plan dévastateur.
— S'il te plait Emma, dis moi pourquoi tu m'as fait ça, me dit-il avec une voix qui trahissait son chagrin et sa douleur.
— Tu as brisé dû brisé des centaines de femmes lors de ces dix dernières années. Tu leurs as fait croire au grand amour, promis monts et merveilles. Au final, tu les as toutes quitté, balancé et jeté à la poubelle comme des poissons pourris. Mais tu t'es attaqué à la mauvaise personne. Tu as anéanti la mauvaise vie Matthieu. Tu n'aurais jamais dû t'en prendre à Alexia.
Les mots sortaient facilement. Tout ce que j'avais gardé sur le cœur pendant des années pouvaient enfin se libérer. Tout cette vengeance et haine avaient enfin l'occasion de s'exprimer, me libérant d'un poids et, je l'espérais, alourdissant les épaules, déjà voutées, du monstre recroquevillé devant moi.
— Alexia a été un de tes nombreuses victimes. Pendant plus de deux mois elle avait vécu le parfait amour avec toi. Elle était heureuse, radieuse et ravie d'être en vie. Puis du jour au lendemain, tu lui as donné aucune nouvelle. Tu ne répondais plus à ses messages ou à ses appels. Tu l'as ignoré. Tu l'as effacé de ta vie comme on passe un coup de tipex sur une faute. Tu l'as brisé.
Me rappeler ses souvenirs me firent plus mal que prévu. Je n'arrivais pas à me contrôler, à maitrises toutes les émotions contraires qui me traversèrent. Je ne pus empêcher mes larmes de couler. Elles reflétaient la tristesse de ces événements mais surtout la rage que j'avais à l'encontre de Matthieu. J'avais contrôlé depuis trop longtemps mes sentiments. J'avais tenté de les maîtriser. Ce n'était plus possible, il fallait que je me libère, que je succombe à cette vengeance qui me rongeait depuis des années.
— Tu as détruit Alexia. Elle a failli mourir. Elle a tenté de se suicider mais je suis arrivée à temps. J'ai dû retenir le sang de mon amie avec mes propres mains. J'ai dû tout faire pour la maintenir dans ce monde en attendant l'arrivée des pompiers. En réussissant à la garder en vie, j'ai tué une partie de moi.
Pendant plusieurs minutes, je racontais en détail les horreurs dont il était responsable. Je lui énumérais la liste de ses crimes avant de lui énoncer sa peine. Il était coupable des pires vices : tromperie, faux espoir, tristesse et malheur. Il n'était plus à mes yeux humain. Un monstre serait lui donner trop de valeur. Il était l'ombre d'une ombre. Une insignifiance qui, si elle disparaissait, ne manquerait à personne.
Pendant ces longues minutes, je ne pus le regarder en face. Détruire sciemment quelqu'un n'était pas chose aisée. Briser la vie d'un homme et le regarder dans les yeux en le faisant m'était impossible. La douceur et la tendresse qui me caractérisaient auparavant avaient disparu. Je n'étais que férocité et déchainement de violence. J'avais changé.
Je n'arrivais pas à savoir si Matthieu comprenait ses crimes et, surtout, s'il acceptait sa sentence. De toute façon, il n'avait pas le choix. Dans cette histoire, j'étais à la fois témoin de la victime, juge et bourreau. J'avais pris la décision, seule ,suite à l'élaboration d'un long plan qui m'avait conduit dans mes retranchements et avait révélé une part de moi dont je ne soupçonnais pas l'existence. Une Emma capable de mentir, d'infliger de la douleur, de briser voire de tuer quelqu'un. Le Matthieu que j'avais connu était mort, là, sous mes yeux et c'était moi qui avait appuyé sur la détente.
Lors de ma rencontre avec cet homme, je n'avais aucune idée de qui il était. J'ignorais complétement son identité et sa personnalité. Alexia ne nous avait jamais donné de nom. Elle ne nous avait jamais montré de photos. Elle nous avait seulement énoncé ses crimes et le nombre de ses victimes. Le lendemain de mon anniversaire, lorsque Alexia nous parlait de sa soirée, tout en se rendant compte de ses actes sous l'emprise de l'alcool, je venais de comprendre qui j'avais rencontré. Elle avait couché avec le frère de son bourreau, et moi, j'avais failli me laisser tenter par le diable.
Quelques jours plus tard, Estelle m'avait parlé de son nouveau patron et m'avait montré sa photo. Je savais enfin son nom et sa réussite professionnelle. Je ne pouvais accepter que Matthieu soit si heureux alors qu'il avait tout pris à ses victimes, de leurs vies à leurs sentiments. C'était l'élément qui a déclenché tout ce plan. C'était la révélation qui avait réveillé mon désir de vengeance. Il y avait une injustice dans ce monde et je voulais la corriger. Je voulais le détruire pour celles qui n'auraient jamais la force de le faire.
J'ai alors mis en place mon plan d'action. Réfléchis à mon but et jusqu'où je voulais aller. J'en avais informé Clément dès notre rupture, la semaine suivant notre initiation ratée au BDSM. D'un commun accord, nous avions décidé d'arrêter, conscients tous les deux que notre couple n'avait plus d'avenir. Nous avions décidé de rester amis. Étant donné la difficulté de trouver un logement sur Paris, nous avions continué de vivre ensemble, comme des simples colocataires.
Clément avait d'abord voulu me protéger et m'empêcher de mettre en place mon exécution. Face à mes refus et ma volonté ferme de continuer, il avait cédé et m'avait même aidé à concevoir certains détails. Grâce à son soutien, j'étais allée jusqu'au bout de mon plan. Je ne le remercierais jamais assez pour cela.
Nos retrouvailles avec Matthieu étaient un plan parfaitement élaboré : de la mise en scène jusqu'à la frustration. Clément m'avait aidé en me conseillant de lui faire perdre la tête pour qu'il plonge plus facilement dans mon piège. Cela avait parfaitement fonctionné. La première partie était exécutée : l'emprisonner dans son obsession. Je ne comprendrais peut-être jamais pourquoi il tenait autant à moi alors qu'on ne se connaissais pas. Cependant, c'était grâce à sa fixation sur mon corps que j'avais pu l'anéantir.
Les autres étapes étaient plutôt simples. Il devait tomber amoureux de moi. Se lier à moi. Voire m'aimer. Ainsi, la chute serait plus longue, la douleur plus forte et la leçon mieux assimilée. Cette partie du plan n'avait pas été compliquée. Ce fut plus dur de ne pas me lier à lui. Il était parfois si touchant que je ne pouvais retenir une pointe d'affection. Sa vie compliquée, s'il ne l'avait pas inventé, m'avait bouleversé. Inlassablement, chacun de nos rendez-vous avait impacté mes sentiments et mes résolutions. Aujourd'hui, je l'avais pas seulement détruit, j'avais brisé une partie de mon cœur.
Pendant plus de trente minutes, je lui expliquais chaque détail de mon plan et je le regardais s'effondrer au fur et à mesure. Son visage reflétait son abattement, ses yeux renvoyaient la tristesse et l'immense mélancolie qu'il ressentait. Maintenant, il fallait juste porter le coup de grâce.
— Tu ne mérites pas d'être aimé par quelqu'un ! Tu n'es qu'un homme arrogant, minable et mauvais. Tu ne causes rien que le désespoir et la tristesse autour de toi. Tu ne vaux rien. Tu n'es qu'une plaie pour ce monde. Faire semblant de t'aimer pendant les derniers mois a été la pire des tortures mais je devais le faire pour que tu te rendes enfin compte de la loque que tu es. Tu ne mériteras jamais d'amour, jamais de considération et jamais d'affection. Tu devrais vivre seul et loin de tout. Adieu Matthieu.
Je partais sans me retourner. Je ne voulais pas lui laisser le temps de me parler ni de m'arrêter. Je claquai la porte et dévalais les escaliers à toute vitesse. Je fuyais le spectre de Matthieu que j'avais abandonné dans sa prison dorée.
En sortant, je respirais à plein poumon l'air frais de ce mois de décembre. Ma nouvelle vie pouvait enfin commencer. Je venais de tourner la page de huit ans de souffrance, de peine et de tristesse. Je soupirais de soulagement et des larmes de délivrance coulèrent sur mes joues. Je ne pus retenir un sourire de se dessiner sur mes lèvres. J'allais enfin pouvoir goûter au bonheur.
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Voilà pour la suite du roman. J'espère que ça vous a plu et je prends aussi la liste des réclamations ;)
Il reste encore 2 chapitres pour terminer cette tome 1. Et oui, vous avez bien lu, c'est une tome 1. Je me suis décidée et je vais me lancer dans la suite de cette histoire :D
En attendant, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
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