23. Dormir dans l'eau
L'eau calme de la baignoire heurte la peau d'Ambre comme une vague violente. Ses cheveux flottent autour d'elle, et ses yeux sont paisiblement fermés. D'ailleurs, parlons-en de ses cheveux. Trop noir, trop frisés. Et puis, cette peau mate et ce visage qui viennent d'un horizon lointain. Ambre, cet être atypique, aux idées fermes et tranchantes et au sourire lumineux, dort, tranquillement dans l'eau. L'eau, qui fripera bientôt sa peau, parait douce et caressante, comparée au torrent d'insultes qu'avait embrassé son âme.
Il y avait ce garçon, qui se nommait Oscar. Lui aussi, avaient les idées fermes et tranchantes, mais pas dans le même sens qu'Ambre. Car si les idées de la jeune fille étaient tranchantes, c'était parce qu'elles reflétaient le fond de sa pensée, mais si celles du garçon l'étaient, c'était parce qu'elles avaient le don d'égratigner les cœurs les plus purs. Oscar, le garçon qui se considérait parfait. Toujours enfermé dans des chemises strictes, grand, blond aux yeux bleus, bon élève, allant à la messe tous les dimanches. Il avait été élevé dans la peur de l'inconnu. Toute sa vie, on lui avait assuré à quel point il était quelque de bien, et de supérieur aux autres. On lui avait dit que les gens qui faisaient du bruit dehors le soir étaient ces saletés d'arabes, et que si le monde allait mal aujourd'hui, c'était bien la faute des immigrés. D'ailleurs, son grand-père, qui voulait toujours se renseigner auprès d'une petite amie potentielle, lui avait bien dit de tout prendre, sauf les noirs. Oui, c'était le propos qu'il avait tenu, et Oscar n'avait pas cillé. Il avait été baigné durant toute sa vie dans cette haine d'autrui, alors comment pourrait-il savoir que c'était mal ? On lui avait mis ces idées en tête dès le plus jeune âge. On l'avait conditionné à la haine.
Il croyait dur comme fer à ses idées, jusqu'au jour où Ambre arriva dans son lycée. Elle avait beau avoir la peau foncée, elle était belle. Il avait l'impression que même si elle avait les yeux et les cheveux si sombres, elle était plus lumineuse que quiconque. Il ne voulait pas l'avouer, car elle n'était pas une fille digne de lui, mais son cœur avait raté un battement lorsqu'il l'avait vu.
Petit à petit, ils s'étaient rapprochés. C'était fou, oui, mais c'était comme si tout l'univers les poussait à être de plus en plus proches. Quand il était avec elle, il goûtait au délicieux goût de l'interdit. Il défiait sa famille, et il aimait ça. Il commençait, au fur et à mesure, à se rendre compte que tous les discours qui l'avaient bercé n'étaient que le piètre mensonge d'une famille apeurée. Et il tomba, d'un coup d'un seul, amoureux d'Ambre. Il aimait sa peau, et même ses cheveux. Il la trouvait parfaite. Il songea à tout ce qu'il avait manqué, durant sa vie, en se tournant uniquement vers ce qu'il connaissait déjà. Il voyait tout d'un autre angle depuis qu'elle était là. Comme si sa vie était un coloriage, et qu'elle était la main qui le peignait.
Un jour, il prit son courage à deux mains et décida de la présenter à sa famille. Ils ne laissèrent même pas Ambre entrer dans la maison. Dès lors, ils retournèrent complétement le cerveau d'Oscar. Il revint au lycée, et la laissa totalement tombée. Il lui expliqua que c'était parce qu'elle était noire et athée, et que c'était mal, très mal. Elle n'avait absolument pas compris ce soudain changement d'avis. Et elle fut seule, très seule. Désormais, Oscar lui lançait des regards méprisants. Son amour s'était mué en une colère inexplicable.
Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. S'en était trop. Pourquoi avait-elle une maison moins belle qu'Oscar ? Pourquoi la traitait-on différemment ? De quel droit pouvait-on laisser tomber quelqu'un sous prétexte qu'il ne partageait pas les mêmes idéologies que vous ? Pourquoi, lorsqu'on voulait la décrire, la première chose qu'on disait était qu'elle était noire ? Noire noire noire. Comme si ça la définissait. Mais c'était le cœur d'Oscar qu'il l'était, noir, et c'était triste. Car si elle avait la peau sombre, lui, c'était son âme qui l'était. Ambre était détruite.
Alors la voilà, maintenant, dormant dans cette baignoire, à l'abris des mots et des regards. A tout jamais.
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