4 - Le travail.
Cole.
Mais cette fille ! Aussi excitante qu'exaspérante. Juste deux rencontres et elle réussit à me faire sentir comme le dernier des couillons à chaque fois. Elle est très forte, je dois le reconnaître. Et surtout beaucoup plus fourbe que moi, bien dissimulée derrière son minois d'ange. L'archétype de la personne à qui l'on donnerait sa chemise sans discuter si elle la réclamait. Elle inspire confiance, douceur et sagesse. Alors que c'est une véritable tigresse ! Un dragon ! Cette fille est le diable !
Je dois être plus persuasif pour qu'Elliot comprenne qu'il ne doit pas se rendre chez elle, qu'il l'oublie. Cela me demandera un peu de finesse afin qu'il ne me voie pas venir de trop loin. Ce n'est pas gagné, parce que moi et la délicatesse, nous ne sommes pas franchement en bons termes. Mais je parviendrai à le décoller de cette fille.
Trois semaines, bordel ! Depuis trois semaines, je lui bourre la tête le soir pour qu'il cesse de la voir. Et lui, il y retourne tous les jours après l'école, trop heureux d'avaler son goûter et profiter du confort de sa maison, avec la télévision, les DVD, et même internet. Ce démon le chouchoute tellement, qu'il n'y a rien à faire, je perds du terrain. En fait, autant être réaliste, je perds cette guerre.
Mais que faire ? Elliot l'adore, elle est gentille avec lui. Je ne comprends pas cette double personnalité chez cette femme. Elliot prend sa défense quand il m'arrive, souvent — tous les jours pour être honnête —, d'en dire du mal et lui rappeler de se méfier.
Je ne sais pas comment lui expliquer qu'une fois lassée, elle le dégagera de sa vie. Il souffrira lorsqu'il découvrira qu'il ne représente qu'un amusement éphémère. Le jour où elle trouvera un autre intérêt, ou rencontrera un homme — que Dieu ait pitié de ce pauvre type —, il n'aura plus sa place, c'est inéluctable.
Ne jamais compter sur les autres, ne surtout pas espérer de la compréhension ou du soutien, jamais. Sinon, quand ils te prouvent que tu n'as aucune valeur à leurs yeux, tu te retrouves seul, et te sens encore plus minable qu'avant.
Voilà exactement ce que vivra Elliot avec elle et c'est moi qui devrai réparer les dégâts. Alors, qu'il en profite bien avant la dégringolade, j'abandonne.
Ce soir-là, je rentre plus tôt chez nous, car je ressors tout à l'heure pour bosser avec Dan. Nous avons repéré une voiture, une Porsche que nous allons démonter, les pièces sont déjà vendues. Du coup, je passe un peu de temps avec Elliot et vérifie qu'il va bien. Je le retrouve sagement à plat ventre sur le canapé en train de dessiner sur un carnet que je ne lui ai pas acheté. Pas besoin de chercher d'où ça vient.
— Tu repars travailler après manger ? questionne-t-il.
— Oui, Dan vient me chercher d'ici une heure.
— Tu reviens quand ?
— Je ne sais pas exactement, mais on en a pour une bonne partie de la nuit.
Elliot se renfrogne, je soupire. Il n'aime pas rester seul, mais je n'ai pas le choix. Nous ne pouvons voler cette voiture qu'en nocturne puisqu'en journée, elle est garée dans un parking de bureaux ultra surveillé. Le second critère est l'urgence, car tout comme Dan, nous sommes presque à sec.
— Tu t'enfermes à clef et tout ira bien, ne t'inquiète pas.
— Je n'aime pas rester seul la nuit, maugrée-t-il.
— Je sais Elliot, mais je dois gagner de l'argent, c'est urgent. En plus, ce n'est pas la nuit complète, je fais au plus vite. C'est promis.
— Si j'avais un chien, j'aurais moins peur.
— Elliot, ne recommence pas avec ça. On arrive à peine à manger tous les jours, alors comment veux-tu que je nourrisse un animal ?
Pendant qu'il part bouder dans sa chambre, je tente de dénicher de quoi lui préparer un repas, qui se résume à du pain de mie avec du jambon. Pendant que je fais son sandwich, Dan entre dans le mobil-home.
— Salut les mecs ! nous salue-t-il avant de s'apercevoir que je suis seul. Tu es prêt ? C'est mieux de profiter du jour pour prendre le temps d'inspecter les alentours.
— Elliot ! Ton sandwich t'attend et il faut que je file. Tu fermes derrière moi !
En ronchonnant, il sort de sa chambre, passe devant nous sans même nous regarder, pour s'approcher de la petite table de jardin rouillée qui nous sert pour les repas. Les chaises sont deux bidons en fer récupérés dans une casse. Ce n'est pas un palace chez nous et quand j'observe Elliot qui tire un bidon pour s'asseoir, je comprends qu'il apprécie de se rendre chez la folle.
Un jour, j'arriverai à lui offrir une vraie maison, il le faut. Dans l'immédiat, je vais commencer par me faire cette Porsche qui nous rapportera de quoi voir venir un moment.
— J'y vais, Elliot. Demain, nous ferons des courses et tu pourras acheter tes gâteaux préférés, c'est promis.
— Allez le loustic, ne fais pas la gueule. On bosse cette nuit et demain, on se fait un burger tous les trois. Ça te dit ? tente Dan pour le dérider.
— Ouais ! Et avec plein de frites.
— Alors, c'est vendu. On se fait ça, promet Dan en lui ébouriffant les cheveux.
— Dis-lui aussi de m'acheter un chien, bougonne le têtu.
— On va commencer par le burger, le tempère-t-il pour ne pas entrer dans son jeu.
Quand nous sortons du mobil-home, je me plante devant jusqu'à entendre Elliot verrouiller derrière nous. Ensuite, je rejoins Dan dans son pick-up qui tient à peine sur ses roues — ce n'est pas parce que nous revendons des bagnoles de luxe en pièces détachées que nous avons les moyens de nous en offrir —, et nous partons en direction du quartier des riches.
Pendant le trajet, il ne peut s'empêcher d'exprimer son avis, comme toujours.
— Il n'a pas tort, tu sais. Un chien, ce serait bien. Il est souvent seul, ce gosse.
— Comme je le lui ai rappelé, je n'ai pas le fric pour faire bouffer un chien. En plus, ça dégueulasse tout. C'est assez pourri comme ça chez nous.
— Moi, je dis que justement, ça ne pourra pas être pire, s'esclaffe-t-il.
Je ne réponds pas, surtout qu'il en rajoute, ce n'est pas si sale. C'est moche et un peu délabré, ok, mais je nettoie régulièrement. Quand nous aurons démonté la voiture et tout vendu, je prendrai quand même un peu de temps pour arranger. Tellement dans le jus ces derniers mois, j'ai laissé s'amonceler le bordel. Surtout dehors.
Après un repérage rapide sans sortir du véhicule, nous pénétrons dans un bar pour attendre la tombée de la nuit. Installés à une table, la serveuse s'approche avec son plateau pour prendre la commande. Comme c'est souvent le cas avec Dan, elle se met presque à ronronner en lui parlant. Il fait cet effet sur les filles, elles craquent toutes devant ce grand brun à belle gueule et bâti comme un athlète. Il est beau et il le sait, Dan est un charmeur. Et un Don Juan qui trouve qu'il y en a trop à goûter pour se contenter d'une seule qui deviendrait rapidement barbante.
Pour le moment, la culotte de la serveuse n'est pas loin de prendre feu. La voir baver devant Dan avec sa voix mielleuse de fille qui cherche un compagnon de jambes en l'air, c'est écœurant. Dan n'ayant pas l'intention de lui offrir ce qu'elle veut, il met fin à la séance de drague en lui commandant une bière, non sans lui préciser de façon plus sèche que nécessaire que nous sommes pressés. Elle a au moins le mérite de comprendre qu'il la congédie et c'est uniquement à ce moment qu'elle s'intéresse à moi.
J'attends tranquillement, sachant déjà exactement ce qui va se produire, ce qu'il se passe toujours.
Elle va se tourner vers moi, son sourire sur les lèvres, encore dirigé vers Dan. C'est en cours, elle amorce le mouvement.
Ensuite, elle me verra réellement. Je veux dire, mon visage. À cet instant, elle se figera et son sourire disparaîtra. Et hop, gagné, mais elle ajoute un léger tressaillement.
Ensuite, il y a deux possibilités. Soit elle prend un air écœuré, soit horrifié, comme si j'allais lui sauter à la gorge. Pour elle, ce sera le dégoût, la voici qui grimace en pinçant les lèvres.
Après, il y a encore deux choix. Pour le premier, elle baissera la tête et me parlera en posant les yeux partout, sauf sur moi. Le second, le plus fréquent, c'est qu'elle fait demi-tour après avoir bafouillé une excuse à la con, sans me regarder, bien sûr.
Pour elle, ce sera la première option. J'imagine que c'est uniquement parce qu'elle n'a pas le choix, boulot oblige. La voici qui se focalise sur le plateau vide qu'elle tient à la main en lâchant un « Et vous ? »
J'ai à peine le temps de commander ma bière, qu'elle se précipite vers le bar.
— Je crois que je vais le rajouter dans mes critères de sélection, déclare Dan.
— Critère de quoi ?
— Celles qui réagissent mal devant toi, que je les zappe et les envoie se faire baiser ailleurs.
— Si tu fais ça, attends-toi à ne plus baiser du tout, je m'esclaffe.
— Tu veux vraiment dire qu'aucune fille n'a un comportement normal en te rencontrant ? Aucune ne te regarde dans les yeux ?
— Je te le confirme. Quoique... en fait, si. Il y en a une qui m'a fixé sans sourciller et qui en plus, m'a presque gueulé dessus. Mais celle-là, je t'assure que tu n'en voudras pas, elle est ingérable.
— Raconte-moi ça, on a encore deux heures à tuer.
La serveuse revient avec nos bières, qu'elle dépose sur la table, les deux devant Dan pour ne pas se tourner vers moi. En soupirant, j'attrape mon verre et lorsqu'elle est repartie, j'attaque mon récit en lui détaillant nos affrontements. Dan hurle de rire tout le long. Apprendre qu'une fille parvient à me fermer le clapet le rend hilare.
— Il faut que je la voie celle-ci et on s'y mettra à deux pour la faire taire. Cela dit, pour Elliot, ce n'est pas si mal qu'une vieille s'occupe un peu de lui. Ce n'est pas bien méchant finalement.
C'est tout de même étrange que lui vienne la même image que moi en parlant d'elle, une vieille. Je ne vais pas le détromper pour qu'il puisse vivre un choc identique au mien lorsqu'il la rencontrera. Et avec un peu de chance, je serai là pour me régaler de sa tête d'ahuri.
— Je suis d'accord, ce n'est pas un drame et Elliot apprécie du confort de temps en temps, et de se remplir le ventre. Mais si tu laisses faire, elle commence à donner son avis, à se mêler de ta vie et c'est le début des emmerdes. Tu imagines si elle décide d'appeler les services sociaux ? On me retirerait Elliot avant même que j'aie le temps d'ouvrir la bouche.
— C'est vrai. Tu as raison de rester méfiant.
C'est évident que suis attentif au fait de ne pas la laisser s'incruster dans notre vie. Il ne manquerait plus que ça.
— Encore une demi-heure et on y va, annonce Dan. On a du bol ce soir, il y a un vent de dingue. Du coup, ça nous facilitera la tâche avec le bruit provoqué par les rafales.
— Ouais, ça souffle même trop fort, ça doit secouer dans le mobil-home. J'espère qu'Elliot n'aura pas peur.
— Tu devrais lui prendre un téléphone à carte, ça vous éviterait de vous inquiéter mutuellement. Et au moins, il te laisserait tranquille avec le chien.
— Pas plus d'une semaine avant qu'il ne revienne à la charge, je m'esclaffe.
Il confirme également avant de retrouver son sérieux. Un changement de sujet de conversation s'opère.
— Sinon, tu as réfléchi à la proposition de Malik ?
— Un peu et je t'avoue que j'hésite. C'est sûr qu'un coup pareil nous rapporterait gros, nous serions à l'aise pour un bon moment. Mais les risques sont importants.
— C'est certain. Si on se foire, on gagne un ticket pour un séjour au frais derrière les barreaux et ça me tente moyen-moyen.
— Si je n'avais pas Elliot dans ma vie, je sauterais sur l'occasion. Mais là, je suis réticent, je soupire.
— Tu joues plus que moi, c'est évident. Sache que s'il t'arrivait un truc, je te promets que je m'occuperais de lui. Je ne le laisserais pas tomber.
— C'est gentil, mais comme nous serons ensemble sur ce coup, nous tomberons tous les deux.
— Mouais, c'est exact. Bon, on va attendre avant de lui répondre. Il a dit que ce n'était pas urgent puisque le stock de voitures ne transite que dans quelques mois.
— Rien n'a changé pour le moment ? C'est toujours vingt voitures de luxe sur deux camions ?
— Oui. Notre job se résume à conduire un camion chacun, à livrer les voitures dans son dépôt et ensuite à les démonter. Malik nous file dix mille dollars chacun pour ce coup.
— Il ne nous paye pas cher, quand même.
— Ouais, mais c'est lui qui organise tout, qui rémunère l'équipe qui se charge de la partie dangereuse, et de la logistique. Nous ne faisons pas grand-chose au final.
C'est vrai que notre job n'est pas le plus difficile dans l'affaire. Même quand nous volons les voitures nous-mêmes, c'est Malik qui se charge de refourguer les pièces, nous ne sommes jamais dans les tractations. Alors de fait, tranquilles dans notre coin à éviter les problèmes, nous gagnons moins, un fonctionnement logique dans ce boulot. Mais c'est un choix de notre part de rester à l'écart et nous contenter d'être de petits voleurs-mécanos.
Alors pour un gros coup, je dois y réfléchir encore un peu, parce que malgré tout, ce serait l'occasion de nous sortir de notre misère actuelle.
— Par contre, ça nous demandera du temps pour démonter vingt bagnoles. Pour accélérer, nous devrons bosser jours et nuits. Tu feras comment avec Elliot ?
— Je ne sais pas encore. J'en parlerai avec lui si je décide de le faire. S'il est ok, je remplirai le frigo et les placards de nourriture pour une semaine, ça devrait le faire.
— Et tu lui prends un téléphone à carte, ajoute-t-il.
— Ouais. Là, ce sera indispensable.
— Et puis il ira tous les jours chez la vieille, tu pourras peut-être lui dire de piquer de la bouffe ou un peu de fric, s'il le faut.
— Je ne veux pas qu'Elliot finisse comme moi, hors de question.
À l'heure prévue, nous quittons le bar pour partir en direction de notre salaire du mois, la belle Porsche qui sera en morceaux dès demain.
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