Chapitre 7 - Loup solitaire
Entre deux bâillements, Adonis trempa une biscotte dans sa tasse de café. Il était bien trop tôt pour faire quoi que ce soit et son esprit embrumé n'arrivait pas à se mettre en marche. Le jour se levait à peine : les oiseaux ne chantaient pas encore, ce qui signifiait qu'il était très, très tôt. Trop tôt. Voilà quelques jours que ses occupations se ressemblaient et l'ennuyaient affreusement.
Il enchainait entre du ramassage de crottins dans les paddocks -activité qui avait le don de lui foutre la gerbe à chaque fois, le nettoyage des abreuvoirs, la distribution de foin et nourriture pour les vaches et les chevaux, puis la réparation des clôtures qui devaient sans doute être plus vieilles que lui et méritaient bien ce coup de neuf.
Cependant, il était satisfait de l'activité prévue ce matin : Lancelot l'emmenait faire les livraisons de viande. Exceptionnellement, Paz avait tenu à les accompagner pour éviter que l'un étripe l'autre et que la virée tourne en bain de sang. L'entente entre les deux jeunes hommes ne s'était pas bonifiée depuis l'arrivée d'Adonis.
Bien que l'idée de livrer de la viande sanguinolente ne l'enthousiasmait que très peu, il avait une petite idée derrière la tête : profiter de cette première expérience en dehors du ranch pour acheter un paquet de cigarettes. C'est tout ce dont il avait besoin. Et, éventuellement, s'adresser à des gens normaux. Cela lui ferait le plus grand bien.
Un bruit sourd à l'extérieur attira son attention. Pile en face de lui, au travers de la fenêtre, il voyait le fourgon grand ouvert. Lancelot empilait bruyamment un tas de caisses débordant de marchandises sur des palettes en bois. Ce gars là avait vraiment le goût de l'effort. N'ayant pas terminé son petit déjeuner, Adonis ne ressentit aucunement l'envie de lui venir en aide.
- En route, s'exclama Paz en apparaissant dans l'encadrement de la porte.
- Moi qui espérais que vous m'oublieriez... Râla l'adolescent.
Il se frotta les yeux et détailla la tenue que portait Paz. Elle avait troqué ses vieux jeans contre un short en simili-cuir et un haut plutôt court qui s'arrêtait juste sous sa poitrine. Sa crinière rousse était relevée dans une queue de cheval haute qui dégageait parfaitement sa nuque. Peut-être était-ce pour elle la sortie, ou peut-être, espérait-elle plaire à quelqu'un. Dans tous les cas, ça n'était pas une tenue pour travailler.
La jeune femme s'apprêtait à sortir de la pièce quand Adonis lui lança, en toute sincérité :
- Paz ! Tu es ravissante aujourd'hui.
Dos à lui, la jeune femme se figea. Ses joues s'empourprèrent et elle le remercia d'un sourire dévoilant ses jolies dents blanches. Elle semblait gênée d'avoir été complimentée par son « invité » repenti.
- Tu es le seul à m'avoir dit un mot gentil aujourd'hui. J'apprécie. Même Dana n'a rien dit.
Un point de marqué pour mener à bien la mission Séduction-Avant-La-Fin-De-L-Eté !
En vitesse, Adonis débarrassa son petit déjeuner et vint rejoindre les deux autres à l'avant du camion. La jolie rousse avait pris soin de s'asseoir au milieu, filtrant ainsi les regards noirs et les piques que s'envoyaient en continue les deux garçons.
Le trajet se fit sans encombre : ils arrivèrent en quelques minutes au centre-ville. L'adolescent était à deux doigts de s'endormir quand ils se garèrent devant un premier restaurant. Ne se sentant pas dans son élément, Adonis resta silencieux, plutôt dans un rôle d'observateur. Il assistait quelques fois Lancelot pour décharger les colis de viande tandis que Paz traitait la paperasse avec un homme en tenue de cuisinier.
Quand le premier client fut livré, ils reprirent la route et les livraisons s'enchainaient. On sentait à leur aisance que ces deux-là avaient fait ça toute leur vie. Ils connaissaient parfaitement chaque endroit, chaque habitude, chaque préférence... Leurs clients n'avaient aucun secret pour eux. Encore une fois, le blondinet avait le sentiment d'être en trop. Contrairement à ce qu'avait pu lui dire Paz quelques jours plus tôt, il n'avait pas du tout l'impression qu'ils avaient besoin de lui.
Qu'est-ce qu'il foutait là ?
Le jour avait fini par se lever et, remontant dans le véhicule, Lancelot leva un sourcil et chercha le regard de Paz :
- Dernier arrêt sous peu... Il avait un air provocateur et joueur à la fois qu'Adonis ne lui connaissait pas.
Il fut même surpris de découvrir, avec cette ébauche de sourire, que le cowboy avait en fait des fossettes marquées au coin de la bouche. Il devait être l'homme parfait aux yeux de nombreuses filles. Surtout dans cette petite ville méditerranéenne. Enfin, physiquement uniquement... Qui aurait voulu d'un gars bipolaire, en permanence aigri, obsédé par le travail, qui communiquait plus avec ses vaches qu'avec les humains autour de lui ?
- Qu'est ce qu'il y a au dernier arrêt ? Interrogea d'ailleurs Adonis voyant que Paz ne réagissait pas.
- Personne d'important. Répondit-elle, visiblement embarrassée.
- Les femmes... pensa Adonis à voix haute.
Pour seule réponse, la jolie rousse prit un air faussement outré et lui tira la langue.
Ils échangèrent un rire et Adonis ne pu que remarquer l'attitude blasée de Lancelot lorsqu'il leva les yeux au ciel.
- Tu vas pas chopper une maladie si tu souris, hein... Se risqua l'adolescent à son sujet.
Silence.
- C'est un privilège de voir ses dents. Un vrai sourire Colgate qui vaut des millions ! S'amusa Paz en donnant un coup de coude amical au lycéen.
Raclement de gorge.
- Je suis là, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. Grogna Lancelot.
Il manœuvra une dernière fois pour se garer, ouvrit sa portière, et vis-à-vis de Paz, déclara :
- Voyons qui rira le plus, à présent...
Lorsque le trio se présenta devant la porte arrière d'une petite épicerie de quartier, Adonis ne pu s'empêcher de suivre du regard chaque fait et geste de Lancelot. Sa façon de se mouvoir dégageait à la fois tant de calme et d'assurance. Ce mec avait vraiment une prestance... Indiscutable.
Paz ajusta ses cheveux avant de se cacher timidement derrière la carrure de Lancelot tandis que celui-ci appuyait sur la sonnette à plusieurs reprises. Après un instant, la porte grinça. Quelqu'un daignait leur ouvrir : un type simple, dans la vingtaine, portant un t-shirt avec une étiquette où l'on pouvait lire « Max ». Ce qui, d'après les suppositions perspicaces d'Adonis, devait être son prénom.
L'atmosphère était soudainement... Etrange. Paz avait rougi et Max la dévisageait avec un regard plein d'arrière-pensées. De l'extérieur, on aurait dit un chien face à un bout de viande.
Adonis fronça même les sourcils tant cela le gênait. Lancelot fit signe à l'adolescent de l'accompagner pour aller récupérer le colis qu'il restait dans le fourgon. Celui-ci obéit. En revenant, ils entendirent des bribes de conversation. L'employé de la supérette parlait fort avec une voix qui ne laissait place qu'au jugement :
« C'est ton nouveau copain ? »
« Pourtant les blonds c'est plutôt ton style, non ? »
« Pourquoi t'es habillée aussi vulgairement alors ? »
Les garçons arrivèrent au niveau de la porte. Lancelot fit signe à Adonis de déposer la marchandise à l'intérieur.
- Alors, t'es le copain de Paz ? Dit-il en dévisageant Adonis d'un regard fermé.
- Max ! S'insurgea-t-elle.
- Quoi ? Non ! Se défendit le lycéen, ne comprenant rien à la situation.
- Eh ça va... Je connais ses goûts par cœur. Si j'étais toi, je la laisserai pas sortir habillée en catin. Surtout une fille faci...
Ni une, ni deux, Lancelot fit une grande enjambée, et, d'une main de maitre, vint écraser son poing en plein dans le visage de ce crétin de Max. Il l'empoigna brusquement par le col avant de le clouer au mur.
- Mais t'es malade ! S'écria le vendeur.
- Tu la ferme. Tu présente gentiment tes excuses à la demoiselle, tu signe les papiers et tu te casse. Je suis suffisamment en colère pour te défigurer. Alors active-toi. Menaça Lancelot d'un grand calme avant de lâcher sa prise.
On entendit à peine Max bredouiller des excuses à l'adolescente.
- J'ai pas entendu. As-tu entendu, toi, Adonis ? Demanda le grand brun, les bras croisés.
Évidemment, ledit Adonis se rangea de son côté et confirma :
- Non. Rien entendu du tout.
Max sentit quelque chose couler sur sa pommette et fit une grimace en touchant la zone, du sang sur les doigts.
- Viens à la fête sur la place de l'Eglise ce soir, Paz. S'il te plait. Je suis désolé. Je t'y ferais des excuses correctes. Laisse-moi me rattraper.
Lancelot leva les yeux au ciel une énième fois. Spectateur de la scène, Adonis attendait la réponse de la belle.
- Je vais y réfléchir. Déclara-t-elle.
Les deux garçons derrière elle firent de gros yeux. Il fallait vraiment être naïve ou totalement désespérée pour pardonner à un gars comme ça.
Avec tout ça, impossible de faire un détour pour des clopes, ils n'accepteraient jamais. Adonis dû prendre sur lui pour supporter cette idée.
Leurs ceintures attachées, il demanda :
- C'était... Ton ex ?
La jeune femme se contenta de hocher la tête.
- Et, tu vas y aller ?
- Je pense oui. Affirma-t-elle. Il y a eu beaucoup de non-dits entre nous et nous avons besoin d'en parler.
Elle semblait légèrement choquée de l'altercation et croisait les bras, comme pour cacher cette tenue qui la mettait parfaitement en valeur.
Remarquant son inconfort, le cowboy souffla pour exprimer son mécontentement.
- Paz, si tu y vas, je viens aussi. Annonça-t-il sans lui laisser le choix.
Sur le trajet du retour, personne n'osa prononcer quoi que ce soit. De sa place, Adonis fixait Lancelot, les yeux pleins de questionnements.
Est-il amoureux de Paz ?
Le grand brun sentit la poids du regard oppressant du lycéen et soutint son regard quelques secondes.
Il avait le don de déstabiliser Adonis juste par sa présence, alors ce genre de regard qui traverse votre âme...
N'en parlons pas. Le blondinet détourna rapidement le regard et failli s'étouffer en avalant sa salive de travers.
Le temps de retour jusqu'au ranch semblait interminable. Tellement qu'Adonis eu l'opportunité de se rejouer tout le fil des événements depuis l'audience. Y compris son arrivée ici et ses premiers échanges, très froids, avec le grand cowboy.
Médor disait que Lancelot n'était jamais là lorsqu'on avait besoin de lui.
C'était faux.
Derrière ses grands airs de loup solitaire et antisociale, il était le plus loyal et dévoué envers les êtres auxquels il tenait. Adonis en aurait mis sa main à couper. Cet air de grand méchant loup cachait une toute autre personnalité.
Plus que de la crainte, Adonis ressentait à présent à son égard un sentiment de curiosité qui ne demandait qu'à être comblé.
« Mais quel est donc ton secret ? » pensa Adonis, le regard ancré sur Lancelot, au loin. Il mourrait d'envie de découvrir son histoire et allait tout faire pour en venir à bout.
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