Chapitre 4 - Les Quarter Horses ont une arrière-main musclée
Dehors, le soleil finissait de se lever, les oiseaux chantaient déjà et les branches des arbres dansaient en rythme avec le vent. Absolument tout annonçait une belle journée.
Il était 7h30 et Paz, en montant les escaliers, fût étonnée d'apercevoir la lumière du jour qui s'infiltrait sous la porte de la chambre d'Adonis. Satisfaite, elle fit demi-tour afin de ne pas le déranger, se disant qu'elle l'attendrait dans la cuisine. Dana leur avait préparé le petit déjeuner : des œufs aux plats avec du bacon et des croissants qui sortaient tout juste du four. Ainsi, ce serait l'occasion d'apprendre à le connaitre davantage et de lui expliquer le programme des jours à venir.
Ça n'allait pas être un été de tout repos : après que le dortoir destiné à l'accueil des colonies se soit effondré l'année dernière, il y avait beaucoup à faire pour compenser le manque à gagner et pouvoir financer les travaux de réparation afin d'être à nouveau aux normes.
Paz savoura l'odeur du café qui caressait ses narines et s'en servit une tasse pour patienter. De la fenêtre, elle pouvait voir Lancelot qui refermait la portière d'un pick-up contenant des seaux vides : il avait probablement déjà dû nourrir les vaches du pré le plus éloigné.
Ce jeune homme était né pour vivre au grand air, il ne s'arrêtait jamais. Malgré qu'ils n'aient pas de liens de parenté, ils avaient grandi ensemble et se chamaillaient tel des frères et sœurs. Lancelot était le plus âgé, il avait déjà 21 ans et avait arrêté l'école avant d'obtenir son baccalauréat pour venir en aide à Médor après le décès de sa femme.
Paz quant à elle avait choisi de poursuivre ses études et avait pris l'habitude de travailler avec son oncle chaque été : c'était l'occasion de se faire un peu d'argent de poche et de profiter des chevaux, loin de la ville. Cavalière accomplie, cette jeune femme pleine de vie adorait animer les colonies de vacances. A l'époque où il leur était encore possible d'en accueillir.
Elle fronça les sourcils quand l'horloge attira son regard : il était bientôt huit heures et ils allaient finir par prendre du retard sur l'emploi du temps si Adonis ne daignait pas se montrer.
Et... Le blondinet n'arriva finalement jamais.
Bien sûr, Paz avait vérifié sa chambre et bien que les rideaux soient ouverts, le lit était défait, la salle de bain était vide. Il n'y avait aucune trace du jeune homme.
Prise de panique, la jolie rousse dévala les marches à toute allure et manqua de bousculer son oncle en arrivant en bas.
- Médor ! Il est avec toi ? Il a disparu !
Le cinquantenaire plissa les yeux le temps que l'information fasse le chemin jusqu'à son cerveau. Soudain, il prit un air alarmé avec ses grands yeux marrons complètement affolés.
- Quoi ? Comment ça ? Paz, il faut absolument le retrouver, il est sous notre responsabilité ! S'inquiéta-t-il tout en essayant de prendre un air calme. Il n'a pas le droit de sortir du périmètre sans nous !
Il se précipita à l'extérieur et Paz lui emboita le pas. Sans un mot, elle vit Médor s'élancer à grandes jambées à la recherche de Lancelot pour qu'il le conduise sur les traces d'Adonis. Il pesta contre son foutu plâtre ! Lancelot était introuvable. Comme à chaque fois qu'on avait besoin de lui.
- Je pars à pied, Paz ! Je vais remonter la route en direction du village. Essaie les collines et la cascade ! Lui cria-t-il.
La jeune femme n'ayant pas le permis de conduire, elle se précipita dans l'écurie à la recherche de Pepperminth et ne prenant même pas le temps de lui mettre une selle, se contenta d'un licol puis lui bondit sur le dos tout en souplesse.
- Désolée ma belle, on est vraiment pressés aujourd'hui ! Lui chuchota-t-elle.
Sans perdre plus de temps, elle partit au galop en longeant la ferme, passant devant la cabane puis le pré des vaches pour rejoindre les sentiers de la colline. Le vent s'engouffrait dans ses cheveux et elle faillit perdre l'équilibre lorsque Pepper' glissa sur un rocher.
Tenant les rênes d'une main et son téléphone de l'autre, elle essayait de joindre Lancelot, en vain. Jamais il ne répondait au téléphone et visiblement, ça n'était pas aujourd'hui qu'il commencerait.
Elle arpenta le sentier qui longeait la lisière de la forêt en alternant entre le trot et le galop, atteignant bientôt la cascade. Au fond, elle était persuadée que le jeune ne serait pas monté jusqu'ici, l'ascension était bien trop physique pour un jeune parisien habitué qu'au bitume et aux pots d'échappement. Jamais il n'avait dû connaitre un tel endroit.
Tout ici était parfaitement sauvage, très peu marqué de la main de l'homme, et surtout, splendide. Il n'y avait pratiquement que des chênes et des Pins : Sylvestre, d'Alep, et Noir. Qu'elle apprenait d'ailleurs aux enfants à différencier. Elle avait le sentiment que son cœur et son âme appartenaient à cet endroit. Sa place était ici, et elle le serait pour toujours.
Paz demanda à Pepper' de marcher plus tranquillement et histoire d'avoir l'esprit tranquille, pensa que c'était une bonne idée d'aller -tout de même, vérifier qu'il n'y ait personne à la cascade. Elle noua la longe de la jolie jument grise à la branche d'un arbre et fit quelques dizaines de mètres avant de tomber sur la grande étendue d'eau, parfaitement limpide, légèrement agitée par le courant venant de la chute.
Puis son regard fût attiré par une tête bouclée de cheveux blonds qui lui tournait le dos. Elle ne put retenir un puissant soupir de soulagement et leva les yeux au ciel.
L'adolescent était assis au bord du plus haut rocher, les pieds à quelques centimètres au-dessus de l'eau.
«Retrouvé.» envoya-t-elle par SMS à son oncle.
Sans plus attendre, elle avança d'un pas décidé en direction du jeune homme, qui sursauta lorsqu'elle s'adressa à lui :
- On peut savoir ce que tu fais-là ?
Son ton se voulait autoritaire, mais son visage la trahissait. Puisque, à peine Adonis avait-il posé les yeux sur elle quelques secondes tout au plus, que déjà, elle sentait la chaleur gagner ses joues.
- J'te retourne la question. Dit-il simplement sans faire l'effort de la regarder.
La bouche de Paz laissa paraitre toute sa stupéfaction. En plus, on ne s'entendait pas parler ici avec le boucan infernal de l'eau qui se jetait du sommet ! Décidément elle avait du mal à faire preuve d'autorité face à un gars de presque son âge.
- Je te cherchais, figure-toi ! Tu t'es volatilisé. On était morts d'inquiétude !
Indifférent, Adonis ne quittait pas des yeux la chute d'eau.
Voyant que la force ne fonctionnerait certainement pas, Paz se décida à prendre place à ses côtés. Instinctivement, elle ne regarda pas en bas, elle qui avait toujours eu peur du vide. La jolie rousse était un peu gênée mais, en même temps, elle ne pouvait pas lui laisser la possibilité de s'échapper.
Adonis était parfaitement mué, presque à se demander s'il respirait encore. Si Paz n'avait pas été là, ça aurait été la même chose. Il triturait nerveusement un pauvre bout de bois qu'il avait complétement mis à nu, le dépiautant depuis quelques minutes déjà.
Paz se surprit à observer les mains du blondinet et laissa son regard remonter jusqu'à l'angle de sa mâchoire. Celle-ci était contracté, saillante. Puis elle se ressaisit :
- Hey, écoute. Je sais que tu n'as pas choisi de venir ici, que tu n'en a certainement pas envie. Peut-être même rien à faire. Mais nous, on compte sur toi.
Elle rajouta, d'une voix plus douce :
- On a vraiment besoin de toi.
C'est à cet instant, après un long silence, qu'elle dû admettre qu'elle n'avait pas ce qu'il fallait pour gérer quelqu'un comme lui. Elle était trop jeune et Lancelot aurait certainement bien mieux gérer la situation... D'une main de fer dans un gant de fer.
Comme elle n'obtint pas de réponse, elle reprit :
- Adonis, regarde autour de toi, c'est quand même mieux d'être ici plutôt que d'être enfermé dans un camp de redressement, tu ne crois pas ?
Il poussa un long soupir. Elle ne comptait donc pas abandonner, hein ?
- Tout ça pour un putain de scooter, tu te rends compte ? Dit-il en désignant l'endroit de ses deux mains. Foutre tout un été en l'air, te priver de tes potes et des meufs. Pour un scooter.
Paz eut envie de rétorquer « Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même » mais elle se ravisa, c'était impoli et cela aurait sans aucun doute énervé le garçon plus qu'il ne l'était déjà.
Elle avait le sentiment d'être face à un animal sauvage qu'elle devait leurrer afin de mettre la main dessus. Si elle n'était pas capable de l'apprivoiser, elle pouvait bien ruser.
- Si on rentre maintenant, je te promets qu'on ne préviendra personne de ce petit... Quiproquo. Pas même tes parents. C'est l'occasion de te repartir sur de bonnes bases, okay ? Lui dit-elle avec un sourire délicat.
Pourtant, Adonis continuait de fixer l'horizon, ne daignant toujours pas lui adresser le moindre regard.
- J'en ai rien à foutre de ce que pense ma mère . Ou le juge.
Paz tenta autre chose, sachant à quel point les fils avaient besoin de la reconnaissance de leurs pères. Sans imaginer sur quel terrain elle s'aventurait :
- Et ton père alors ?
Game over.
Ne laissant rien paraitre, Adonis serra les poings de plus en plus fort jusqu'à ce que ses ongles pénètrent dans sa paume. Il inspira profondément, comme pour faire baisser l'intensité de l'émotion qui le traversait.
- Il s'en tape de moi.
Il laissa un blanc avant d'ajouter :
- On est en colère l'un contre l'autre. Je pense que je suis plus en colère que lui.
Paz ferma longuement les yeux, se rendant compte de l'erreur qu'elle venait de commettre. Intérieurement, elle se traite même d'imbécile. Pourquoi Médor n'avait-il pas donné plus d'informations à son sujet ?
- Désolée.
Aucun mot ne fût prononcé pendant un moment, ils se contentèrent d'être à côte en usant leur regard sur la forêt tout autour. Il faisait bon ici, ils étaient au frais, loin du vent. Adonis apprécia que la jolie rousse ne creuse pas plus loin. Elle venait de marquer des points malgré sa maladresse.
- On y va ? Tenta-t-elle à ce moment là.
- Hum... On y va.
Il se mit debout et tendis sa main en direction de la jeune femme pour l'aider à se relever. Toujours sans regarder en bas, celle-ci s'en saisit et relâcha toute la pression lorsque ses pieds atteignirent de nouveau la terre ferme.
C'est alors que, ses yeux posés sur la jument, Adonis s'étonna :
- Attends... Me dit pas que t'es venue à cheval ?
Paz ne put contenir un sourire face au visage désenchanté de l'adolescent.
- En selle, jeune homme !
Il souffla bruyamment pour exprimer son mécontentement. Il en était hors de question. Il était déjà « gentil » d'accepter de rentrer sans trop rechigner, il n'allait pas se plier à ses ordres.
- Je vais marcher. Merci.
Et sans rien ajouter, il prit la route du retour, retrouvant rapidement le sentier de la lisière.
- Comme tu voudras ! S'exclama Paz, un peu déçue par son manque d'autorité mais soulagée de ne pas avoir à partager Pepper' avec cet imbécile indélicat.
Ni une, ni deux, elle sauta à nouveau sur le dos de sa jument et rattrapa Adonis par de petites foulées. Ils restèrent à nouveau côte à côte sans parler, jusqu'à ce qu'elle lui annonce :
- A notre retour, c'est Lancelot qui prendra le relais.
- Il est chelou ce type. Répondit l'adolescent.
- Non. Il se croit être un grand méchant mais finalement, c'est juste un air qu'il se donne. Le rassura-t-elle.
Mais ça, Adonis n'en était pas si sûr.
Il donna quelques brefs coups d'œil en direction de la jolie cavalière et il ne put s'empêcher d'admettre qu'elle avait beaucoup de prestance à cheval et que sa posture mettait ses formes les plus féminines particulièrement en avant. Il sourit à cette idée.
Bientôt arrivés à destination, le blondinet sentit son estomac se nouer. Derrière son apparence de caïd, il était en fait très discipliné et ne se sentait pas en accord avec l'idée d'avoir déçu ces gens, même s'ils étaient encore de purs inconnus.
Et puis, ce Lancelot à l'attitude étrange avait quelque chose de perturbant : la veille, son regard perçant avait mis Adonis très mal à l'aise. Il ne se sentait pas bien en sa compagnie. Comme s'il créait une atmosphère plus lourde qu'elle ne l'était déjà. C'était certainement le genre de type qui collectionne les animaux empaillés et les armes de chasse. Glauque à souhait !
Lorsqu'ils passèrent sous la grande arche « Wild Spirit's Ranch » Paz mis pied-à-terre laissant enfin sa jument souffler. Elle la tenait par la longe et marchait en direction de l'écurie, invitant naturellement Adonis à la suivre.
Plus loin sur leur chemin, ils passèrent devant un espèce de cercle en sable agrémenté de barrières en bois, au milieu duquel se tenait ledit Lancelot. Et le cheval doré qui avait effrayé tout le monde la veille.
Le soleil tapait déjà pas mal et le chant des cigales se mélangeait à la voix ferme et décidée du grand brun qui, équipé d'une chambrière, faisait galoper le cheval autour de lui. Intrigué, Adonis fit quelques pas timides pour se rapprocher de la barrière et s'attarda sur la tenue de Lancelot : celui-ci portait un jean plutôt basique ainsi qu'un t-shirt noir, tâché mais... Très moulant. De plus, celui-ci laissait ressortir la musculature typique de ce genre d'homme qui travaille ardemment, nuit et jour. Qui mettait réellement ce genre de vêtements aussi serrés ?
Surprit, le cœur d'Adonis loupa un battement lorsque Lancelot, qui avait dû se sentir observer, planta ses yeux tout droit dans les siens. Le brun resta immobile un moment, ne prêtant même plus d'attention au cheval. Tout son corps était tourné en direction d'Adonis, ses yeux semblaient le sonder de toute part. Très déstabilisé par ce contact visuel, l'adolescent recula d'un pas. Il fut à nouveau sauvé par le gong, ou plutôt, par Paz, qui s'était arrêté pour l'attendre :
- Ah oui, je ne t'ai même pas expliqué ! Le cheval que tu vois ici est un Quarter Horse. C'est une race américaine qu'on élève pour pouvoir déplacer le bétail. Ils ont une arrière-main particulièrement musclée qui leur permet une grande aptitude à mener le troupeau ! Expliqua-t-elle avec passion. Aller viens, je vais te montrer l'écurie !
Lancelot avait déjà reprit son travail avec le cheval à la crinière claire tandis qu'Adonis lui lança un dernier regard par-dessus son épaule.
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