1 - Le Passeur
La brume et les ténèbres à perte de vue. C'est ce qui apparut sous ses yeux lorsqu'elle ouvrit péniblement les paupières. Une sombre marée de brouillard épais, impossible à percer d'un simple regard, qui lui chatouillait le visage et la faisait trembler de froid. Mais en fait, c'est à peine si elle le ressentait. Son corps était tout engourdi, comme si elle n'avait pas bougé ne serait-ce que le pouce depuis des mois. Mais le pire, c'était sa tête, un affreux mal qui lui transperçait le crâne et l'empêchait de réfléchir ou de plisser les yeux dans ce lieu obscur. Même bouger lui demandait un effort prodigieux, et ce n'est pas seulement à cause des légères douleurs musculaires qui réveillaient ses sens au moindre mouvement. Alors, elle serra les dents et se leva péniblement du rebord de pierre où elle était assise, sans se rappeler l'avoir fait. Un à un, elle déplia ses bras, ses jambes, révélant des crampes monstrueuses, puis déroula lentement son dos, dans un concert de craquements d'os. Quand arriva le tour de sa nuque, elle fit une affreuse grimace tant la douleur était lancinante et le mouvement difficile.
Une fois levée, elle fixa la brume opaque comme si elle ne la voyait pas vraiment, ou comme si elle pouvait y lire les informations qui lui manquaient. Où était-elle ? Elle ne le savait pas, et de toute manière elle ne pouvait pas voir au delà de l'extrémité de ses épaules. Était-ce le jour ? Était-ce la nuit ? Aucun indice ne permettait de l'affirmer, mais une telle noirceur annonçait sûrement un milieu nocturne. Que s'était-il passé ? Que faisait-elle là ? Et, par dessus tout, qui était-elle ? Dans son esprit, c'était le vide, un chaos semblable à celui qui se présentait sous ses yeux. Le néant. Son premier réflexe fut de crier à l'aide, mais sa gorge était si encombrée qu'elle se crut aphone. Elle toussota, puis força sur sa voix pour envoyer un signal de détresse. Mais cela se transforma en un gémissement éraillé, et de toute manière ce mur nuageux avait l'air infranchissable, même par le son. Là, elle commença vraiment à paniquer. Sa respiration s'accéléra et elle chercha de l'air frais, mais il n'y en avait pas. Sentant qu'elle risquait gros à mal respirer comme ça, sa raison reprit le dessus et elle entreprit de ralentir son pouls, tout doucement, par de grandes inspirations. Quelqu'un allait forcément finir par arriver.
Et elle avait raison. Peu de temps après qu'elle eut formulé cette pensée, elle crut apercevoir une faible lumière transperçant la couche brumeuse. Cette lueur grandit, et grandit encore, jusqu'à ce qu'elle fusse éblouie par un écran de lumière blanche. Surprise, elle cligna des paupières. Lorsqu'elle les rouvrit, une tout autre atmosphère s'était matérialisée devant elle. Ce fut si rapide, tout était si irréaliste, si brillant, qu'elle n'était sûre de rien. C'était une salle de classe lumineuse et bruyante, peuplée de rires d'enfants. Sur une table de bois verni, elle aperçut brièvement une feuille de papier ornée d'un dessin de bonhomme bâton aux contours bleus et maladroits. En dessous de ce chef-d'œuvre de petite fille était inscrit un nom, d'une écriture tordue et brouillonne, visiblement de la main du dessinateur : Éléonore.
« Éléonore, tu as terminé ? »
Instinctivement, comme si on lui avait parlé à elle, elle leva la tête vers une jeune femme à l'air bienveillant, un grand sourire aux lèvres. Mais aussitôt, l'image disparut, tel un rêve duquel on se réveille.
Brutalement, elle retrouva les ténèbres où elle se trouvait il y a une fraction de seconde. Éléonore ? Était-ce son nom ? Le paysage qui l'entourait avait un peu changé. Il y avait bien une lumière, qui éclairait les lieux d'une lueur gris sombre. Ce ne fut pas grand chose, mais c'était suffisant pour qu'elle se rende compte qu'elle était dans un cimetière. Épouvantée, elle fit un bond en arrière lorsqu'elle aperçut l'ombre d'une croix juste dans son dos. Et si ce qu'elle avait pris pour un simple muret de pierre était en fait... une pierre tombale ou un cercueil ? Cette hypothèse lui fit froid dans le dos, et elle faillit rendre le dernier repas qu'elle avait pris. Mais de quand datait-il, exactement ? Son estomac était douloureux, mais il ne semblait pas rempli du tout. L'ambiance lugubre ne la rassurait pas, contrairement au point lumineux qui brillait de plus en plus fort, comme un appel. Elle ne pouvait pas détacher ses yeux de lui, et elle avait si peur qu'il ne lui restait qu'une envie : celle de trouver son origine, là où elle serait en sécurité. Tel un navire brinquebalé par une mer déchaînée en quête d'un phare, au loin, elle se mit péniblement en marche, avançant une à une ses jambes endormies. Elle avait la sensation que ce geste n'était plus naturel, qu'elle avait perdu cet apprentissage pourtant fondamental et qu'elle allait tomber à chaque tremblement régulier de son corps. Et c'est ce qu'elle faillit faire, d'ailleurs, se cramponnant au bord d'une fosse dans laquelle elle tombait et dont elle n'osa pas regarder le fond. Pleine d'espoir, elle regarda l'éclat s'agrandir dans son champ de vision, et toujours enfler, enfler, enfler...
Jusqu'à ce qu'elle traverse enfin ce rideau de brouillard pour se retrouver au bord d'un lac. La lumière qu'elle avait suivie provenait d'une lanterne de verre contenant une flamme dorée, qui ne semblait être alimentée d'aucun combustible. Mais le plus mystérieux n'était pas cette lanterne, mais plutôt son porteur. Il s'agissait d'une silhouette noire et encapuchonnée dans une sorte de vieille cape déchirée à plusieurs endroits. Pourtant, on ne parvenait pas à voir ce qui se trouvait sous cet habit abimé, si même cette personne était au moins humaine. En tout cas, elle le paraissait, avec son dos voûté par le poids des années, sa taille fine et sa main gantée qui tenait la lampe. Dans l'autre, on voyait un objet petit et long. Le briquet qui avait servi à allumer la flamme ? Cet objet aurait paru insolite dans cet univers où tout inspirait la vieillesse et l'usure. Elle remarqua également autre chose qu'il était impossible de manquer, et qui l'effraya autant qu'elle la fascina. De nombreux autres enfants s'approchaient aussi en silence, tout comme elle, le regard hypnotisé par la lanterne. Quel pouvoir pouvait bien avoir cet objet ? Elle se le demandait. Ils étaient une trentaine, tous d'à peu près son âge. Leurs corps en mouvement créèrent une sorte d'attroupement autour de l'étrange inconnu, et elle ne put s'empêcher de se greffer au groupe. Avant qu'elle ne pose la moindre question, l'homme - si ç'en était un - ouvrit la cage de verre et glissa son doigt ganté en plein dans le feu, sous les exclamations étouffées de ses jeunes convives. Il le ressortit et se mit à tracer des lettres enflammées dans le ciel de nuit :
Je suis Charon, le passeur. Suivez-moi.
Hésitante et émerveillée, elle resta plantée là à observer ces mots s'évaporer dans un nuage de fumée. Puis, elle pivota pour croiser les regards de ses compagnons d'aventure, paraissant tous aussi perdus qu'elle. Elle pesa le pour et le contre : qu'est-ce qui montrait que cet individu pour le moins irréel avait de bonnes intentions et voulait les aider ? Son regard balaya la rive du lac, troublé par de légers remous, et n'accrocha aucune autre personne dans un large rayon. Ils étaient amnésiques - du moins, elle imaginait qu'ils l'étaient tout autant qu'elle -, ressentaient visiblement un mal de partout sur le corps et n'avaient nulle part où aller. Sincèrement, ils n'avaient pas beaucoup de choses à per... Elle s'immobilisa. À force de scanner son environnement des yeux - en tout cas ce qu'elle pouvait en voir malgré la brume et une colline imposante - elle avait fini par la découvrir, encore plus imposante dans le ciel sans étoiles. La Lune, presque pleine, brillait de manière on ne peut plus normale, si ce n'est sa couleur d'un rouge qui vous force à fermer les paupières. Une teinte écarlate et agressive, aussi surnaturelle qu'un dragon cracheur de feu, qui la mit tout de suite mal à l'aise. Elle se dandina sur place et baissa automatiquement la tête. Autour d'elle, tout le monde se tourna dans la direction de la Lune à leur tour et poussèrent des exclamations inquiètes.
Cela faisait cinq minutes que personne ne bougea ni ne parla. Charon devait s'impatienter, même si elle ne pouvait pas voir son visage sous sa large capuche dans l'ombre. Alors, elle prit sa décision : ils n'avaient plus rien à perdre, et tout à gagner. Ils ne pouvaient pas rester là, sous cette lumière menaçante. D'un pas raide, elle s'avança vers la silhouette, qui inclina presque imperceptiblement la tête en une drôle de démonstration de politesse. Il leur tourna ensuite le dos, se moquant visiblement de savoir qui le suivrait ou non, et elle lui emboîta le pas. Immédiatement, plusieurs adolescents se mirent aussi en route et la suivirent, rendant son déplacement plus assuré. Peu à peu, ses jambes se détendirent et elle eut un peu plus la liberté de ses mouvements, qui restaient tout de même difficiles. Le groupe longea la berge de graviers non entretenue jusqu'à ce qu'ils arrivent à un endroit où elle était plus large. Ici, fermement ancrée dans la plage se trouvait une embarcation. Aussitôt, elle grimaça. Allaient-ils devoir traverser à plus de trente sur ce... sur cette chose ? Parce que, comme bateau, on pouvait trouver mieux. Son créateur dirait sûrement qu'il s'agit d'une barque, mais les murmures désapprobateurs qui s'élevaient du drôle d'attroupement la qualifiaient plutôt de coquille de noix géante. Était-elle vraiment stable ? N'allait-elle pas couler, avec tout ce poids à son bord ? Charon, lui, paraissait serein, bien droit à côté de son navire, comme s'il en était fier. Et il attendit, que ses passagers daignent y prendre place.
Cette fois, elle ne pouvait pas faire sa brave et montrer l'exemple. L'eau ne la rassurait pas du tout, car elle remuait toujours et, même au bord, elle ne ressentait pas une once de vent. Prise d'une intense réflexion, elle poussa un petit cri lorsqu'elle fut bousculée par un gaillard tout en muscles qui la dégagea, tenant une fille tout aussi sportive par la main. L'air supérieur, ils s'avancèrent vers la barque. À la lueur de la lanterne de Charon, leur ressemblance fut frappante : la même grande taille, les mêmes cheveux noirs de jais, le même nez fin... Ils montèrent avec précaution sur les planches de bois, dans un craquement sourd. Puis le garçon se tourna vers le reste du groupe et lança d'un air narquois :
« Bon, allez, faites pas vos dégonflés, montez ! »
Soulagée, elle relâcha l'air de ses poumons en un grand rire. Tentant d'oublier ses doutes, elle se donna une certaine contenance et garda un sourire sur ses lèvres. D'un pas qu'elle voulut ferme, elle rejoignit les deux jumeaux pour enjamber le rebord de la barque. Ce faisant, elle eut une drôle d'impression de perdre l'équilibre et serait tombée en avant, la tête la première contre le plancher, si le jeune homme ne l'avait pas rattrapée par l'épaule.
« Ah, voilà ! s'exclama-t-il, un sourire moqueur dessiné sur son visage. Ce n'est pas trop tôt ! »
Elle le remercia et se stabilisa sur ses deux jambes, un peu honteuse.
Comme tout à l'heure, les autres se décidèrent petit à petit, et bientôt ils furent tous debout, serrés étroitement les uns contre les autres sur cette épave. Tous, sauf une. Entre les têtes de ses nouveaux camarades, elle l'aperçut, toujours sur la rive, les yeux humides et la respiration saccadée. C'était l'une des plus jeunes, à la peau noire et aux lunettes d'argent, et qui devait être au bord de la crise d'angoisse à l'idée d'embarquer. Elle ne pouvait pas la laisser comme ça, et elle voyait que le Passeur se contentait d'attendre encore. Avisant le troupeau d'enfants lui bloquant le passage, elle sût tout de suite qu'elle ne pouvait pas redescendre directement sur la berge. Sans hésiter, elle se retourna vers le large, enjamba le rebord du bateau et se laissa glisser dans le lac, avec une aisance qui la surprit elle-même. Ses vêtements se gorgèrent de liquide, tout comme ses sandales de sport, mais elle se mit rapidement à patauger dans l'eau peu profonde de bordure. Bizarrement, elle aima ce contact avec l'humidité, comme si elle s'était de nombreuses fois baignée dans un lac par le passé. Elle finit par se redresser et remonter sur les cailloux de la rive, qui lui coupèrent un peu les pieds. La fille ne lui prêtait pas attention, trop secouée, mais Charon semblait l'avoir suivie du regard.
S'avançant vers sa camarade, elle lui prit les mains qui couvraient son visage et les serra très fort.
« Regarde-moi. »
La plus jeune sursauta et lui jeta un regard timide, sa poitrine se soulevant de manière irrégulière. Une larme perla au coin de son œil brun, avant de couler doucement sur sa joue. Celle qui lui venait en aide prit un timbre doux et rassurant, étonnée de son aisance face à cette situation.
« Allez, respire lentement. Inspire, puis souffle. Inspire, puis souffle... »
La jeune fille écouta son conseil et, au son de sa voix, se mit à respirer difficilement, puis de plus en plus normalement. Voyant qu'elle s'apaisait, elle lui caressa affectueusement l'épaule et souffla :
« Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. Ferme les yeux, et imagine toi ailleurs. »
À peine plus sereine, celle aux lunettes rondes acquiesça et serra la main de sa sauveuse. Celle-ci sourit et l'entraîna à son rythme vers le bateau. Les deux embarquèrent lentement, et elles se cramponnèrent l'une à l'autre. Enfin, Charon monta en dernier, prêt à les faire tous traverser.
Le Passeur se mit en tête de la barque, au niveau où celle-ci se faisait plus étroite et pointue, si bien qu'elle eut peur qu'avec sa démarche claudicante il ne passe par dessus bord. Mais l'homme semblait avoir un équilibre impressionnant et ne trembla pas d'un millimètre, posant sa lampe à ses pieds. Elle sentit la main de sa camarade se resserrer étroitement sur la sienne et tenta de la rassurer d'un regard compatissant. Mais, au fond, elle doutait que leur grand groupe, tous collés comme ils l'étaient, ne tienne debout une fois l'embarcation en mouvement. Les autres semblaient tout aussi inquiets, et partout l'on s'agrippait aux autres, craignant le moindre signe du départ. D'ailleurs, elle se rendit compte que tout cela était absurde. Elle ne voyait ni moteur, ni voile, ni rame. Comment allaient-ils se déplacer ? Finalement, Charon porta jusque sous sa capuche ce qu'il tenait dans sa main et qu'elle avait pris pour un briquet. Elle comprit rapidement que ce n'était pas ça. Des notes s'élevèrent de l'ombre où avait disparu l'objet, les notes d'une musique lente d'harmonica, passant du grave à l'aiguë dans une mélodie irrégulière et effrayante. À cet instant, le plancher s'ébranla.
Prise de court, elle se rattrapa aux garçons de devant. Par réflexe, elle se retourna vers l'arrière pour savoir ce qui les poussait loin de la rive. Elle ne vit rien, avec toutes ces têtes qui lui obstruaient la vue, mais comprit à leur expression qu'il n'y avait rien. De plus, alors que le bateau se frayait un chemin sur l'étendue sombre très peu éclairée par la Lune rouge, ils étaient brinquebalés en tout sens et se cognaient souvent les uns aux autres. Pourtant, aucun d'eux ne tombait par dessus bord. À chaque fois qu'un enfant situé à une extrémité était projeté dangereusement vers les flots, il semblait retenu à l'intérieur par une force invisible. Elle se frotta les yeux : c'était littéralement impossible ! Et pourtant... à bien y réfléchir, à chaque fois que Charon se posait un temps dans son morceau pour prendre une gorgée d'air, leur évolution paraissait légèrement ralentie, avant de reprendre de plus belle dès que les notes jaillissaient à nouveau dans la nuit. Les conduisait-ils au simple son d'un harmonica ? Était-ce de la magie ? C'était complètement absurde, elle avait du mal à y croire. Et à la traversée non plus, elle n'y crut pas.
En effet, alors que le lac avait l'air si vaste depuis la rive où ils avaient embarqué, ils arrivèrent en quelques minutes sur celle d'en face, sans avoir eu l'impression d'aller vite. Elle avait même trouvé ça trop lent, une longue attente où seul la musique s'exprimait. Trop dur pour sa curiosité, poussée au maximum. Où était-elle ? Qui était-elle ? Allaient-ils apprendre la magie, comme dans les films ? Et qu'y avait-il au sommet de cette haute colline recouverte d'un brouillard qui cachait une ombre assez imposante ? Son cerveau était assailli de mille questions qui affluaient en masse. Le stress avait laissé place à de l'excitation, le temps d'une traversée. Celle de pouvoir, à défaut de se souvenir de sa vie passée, prendre un nouveau départ et se construire une vie de contes de fées. Mais tout rêve s'évaporait lorsque la peur devenait trop forte, lorsque l'on remettait les pieds sur terre. Et c'est ce qu'elle fit, lorsque la musique s'arrêta et que le véhicule s'immobilisa sur une rive dépourvue d'herbe. En enjambant le rebord de bois, elle réalisa toute la gravité de sa situation, de leur situation à tous. Ils étaient perdus, condamnés à suivre un inconnu et à lui faire éperdument confiance, pour leur survie, mais risquant leur vie. Sauf qu'il était trop tard pour reculer.
En face d'eux se trouvait un haut mur d'enceinte d'aspect impénétrable, car il n'y avait aucune porte ni ouverture quelconque. Devraient-ils le traverser ? Tous les regards se tournèrent vers Charon, et l'on s'écarta respectueusement à son passage. Il s'avança avec toujours autant de vigueur - c'est-à-dire pas du tout - et se contenta d'appuyer la paume de sa main sur l'une des pierres, sans réfléchir. Aussitôt, comme si elles avaient été brûlées à vif et sursautaient, les pierres s'écartèrent pour donner sur une rue sombre et pavée. Elle n'était pas spécialement large, mais en observant les autres ruelles et impasses exiguës elle se dit qu'il devait s'agir de l'allée principale. De part et d'autre s'enchaînaient, de manière pas toujours logique, des maisons plus ou moins grandes aux pierres apparentes et aux toits de brique grise et en pointe. Ici, juste derrière les fortifications les attendaient cinq majestueux carrosses d'argent massif, aux motifs lunaires et stellaires et aux grandes roues de bronze. Ces magnifiques véhicules, pouvant facilement accueillir une douzaine de personnes et attelés chacun à deux chevaux blancs, brillaient superbement à la lueur rougeâtre de cette nuit. Près des animaux se trouvaient, un par carrosse, des hommes et des femmes en surcots médiévaux bleus comme le ciel d'une nuit ordinaire.
Les adolescents ouvrirent la bouche, fascinés. Ces voitures, dignes des plus grands rois, leur étaient-elles destinées ? Comme pour répondre à leurs interrogations, l'un des adultes ouvrit la bouche et parla, d'un accent distingué et prononcé.
« Ismène vous doint bon jour, chers damoiselles et damoiseaux. Voilliez prendre place dans vostre carrosse, par cinq. »
Pendant que les jeunes s'exécute et qu'elle retrouve celle à la peau noire avec qui elle a traversé, une collègue de l'orateur pouffa de rire.
« Nous ne parlons pas comme cela, en temps normal, expliqua-t-elle, hilare. C'est Ambroise, notre Grand, qui nous somme de nous exprimer ainsi au cours des événements officiels et des sorties. »
Les deux filles montèrent dans le carrosse de cette jeune femme, en compagnie d'une fille blonde et corpulente et de deux garçons. Une fois tout le monde installé, leur cochère prit place sur son siège, à l'avant, mais n'attrapa aucune rêne pour diriger les chevaux. À la place, on la vit en train de réciter à voix basse une suite de mots incompréhensibles, qui semblait tant se répéter qu'on aurait dit une chanson lancée en boucle. Mais cette fois, ce ne fut pas la musique qui fit démarrer leur moyen de transport, mais seulement les mots.
« Salut ! s'exclame-t-elle, avenante et soucieuse de faire connaissance avec quelques personnes. Vous... vous rappelez de quelque chose ? Votre prénom ? »
L'échange était délicat, mais nécessaire. Alors qu'ils attaquèrent l'ascension de la colline, la blonde répondit aussitôt d'une voix chantante et décontractée :
« Rien, que dalle, nada. Mais appelle-moi Gertrude, ma belle ! »
Sa camarade éclata de rire et s'apprêtait à réagir, quand un rouquin chétif prit maladroitement le parole.
« Heu... moi, je crois que je m'appelle Noam, mais c'est tout. »
Elle le fixa avec intérêt, pleine de questions.
« C'est pareil pour moi, je crois m'appeler Éléonore. Mais... »
Déjà, la voix de la femme qui les conduisait l'interrompit, l'air enjoué.
« Bienvenue au château de Valdelune ! »
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