59. It's Soan's birthday
Manon
Il s’est écoulé quinze jours sans que j’aie des nouvelles d’Ayden. Son père m’a communiqué deux fois sans mentionner son nom. J’ignore s’il s’est réveillé, s’il est rentré chez lui, encore moins s’il va revenir au lycée. J’ignore ce qui s’est passé ce soir-là. Je suis consciente que je n’ai pas de quoi me plaindre avec tout l’amour que me verse ma famille et mes chiens qui ont gagné des centimètres. Je les nourris tous les jours.
J’ai encaissé ma première paye il y a trois jours. J’en ai mis sur ma carte, versé un peu à l’orphelinat du coin puis j’ai acheté le premier collier des chiens avec leurs initiales. Cela m’a fait du bien.
― Manon, viens manger ! me crie Emma en bas.
Je ferme mon livre de biologie et la rejoins. Ce soir mon père sera absent à cause du boulot. Le silence autour de la table signe son absence.
― J’ai quelque chose à te montrer après, articule Emma.
Tout en tenant une conversation conviviale, nous terminons notre repas, lavons les assiettes avant de monter à l’étage avec chacune, un verre de jus. Mes pieds la suit dans sa chambre, enfin celle qu’elle partage avec mon père. Elle part et revient deux minutes plus tard avec une grosse boite couleur marron foncé. Je hausse un sourcil tout en m’approchant.
― J’vois des choses qui ressemblent à des points de sutures dans ton regard depuis deux semaines. Pas besoin d’être un génie pour en deviner l’origine. J’vois aussi que ta tristesse contamine ton père.
Elle marque une longue pause les yeux rivés sur la boite qui semble avoir traversé des décennies. Je l’imite quand elle se pose sur son lit.
― Cette boite a guidé ma mère, sa mère avant elle, et moi. Je te le donne maintenant. Elle saura te guider dans les grandes décisions.
Ses bras se tendent en ma direction. J’hésite avant de les débarrasser. Je l’examine de près. Je note des rayures des initiales EL, pour Emma Lynch. Mon cœur explose de gratitude. Émue, je la serre contre moi.
― Tu n’es pas seule, dit-elle d’une voix calme.
Chaque jour la place qu’elle occupe dans mon cœur devient de plus en plus grande. Je la relâche quand une larme menace de couler. Je penche la tête en arrière pour intérioriser mes larmichettes.
― Merci Emma. Tu ignores ce que cela signifie pour moi... Sinon comment ça marche?
Elle réduit la distance entre nous et pose la boite sur son lit. Ses doigts tirent sur deux boutons. Son regard s’illuminent lorsque la boite s’ouvre sur des années de souvenirs. Je n’y vois qu’une balance avec ‘no’ et ‘yes’ à chaque bout puis une dizaine de masses à chaque cotés. L’essence du bois mixée à celle du vécu me chatouille les narines.
― Ce n’est qu’une balance où l’équilibre est le cœur. À chaque décision difficile que je devais prendre dans ma vie. Je me posais pas mal de questions. À chaque réponse positive, j’ajoutais une masse dans Yes. Au final, si le yes pesait plus lourd, je savais ce que je devais faire. La règle du jeu est l’honnêteté. Sois franche avec toi-même.
J’expire bruyamment ce qui lui arrache un faible rire.
― Je vais essayer, promis-je avec grande conviction.
― Je sais que l’adolescence est un piège à plusieurs faces. Tu es belle, intelligente et talentueuse. Je te fais confiance pour faire le meilleur choix.
Une once de tranquillité m’enlace une fraction de seconde alors qu'elle avale une gorgée de son jus.
― Je suis tombée pour la mauvaise personne et je sais pertinemment ce qu’il me reste à faire. Je connais d’avance la réponse de la balance.
Une main bienveillante m’attendrit.
― Tu veux en parler?
Comment en parler sans lâcher une ou deux larmes. Je me confie à Emma et je sens le poids sur mon cœur diminuer de moitié. Évidemment que je suis en pleurs à la fin. Deux semaines que je me retiens. Deux semaines que je mets en caisse ma douleur, mon existence et le manque. Deux semaines que je vivais dans une spirale de questions.
)()(
― Manon dépêche-toi! me hurle Gabin sur le seuil de ma porte.
― J’arrive à peine à boucler la fermeture de ma robe.
Aujourd’hui la meilleure personne de ma vie fête ses dix-huit ans. Je devais déjà être chez lui pour lui faire le plus gros des câlins. Mais la maladroite que je suis a pris un siècle pour se préparer. À chaque fois que je me coiffais, je n’étais pas satisfaite. Je recommençais et pour le maquillage, j’ai opté pour un truc simple. Sinon Gabin allait me faire la peau.
― Et je présume que ça te tuerait de demander un peu d’aide, me blâme mon ami en se posant derrière moi pour accomplir la tâche.
Je l’observe dans le miroir. Il me parait heureux.
― Tu es de bonne humeur?
―Bien sûr que je suis heureux. Petit a, c’est l’anniversaire du meilleur cousin au monde. Petit b, il va me présenter sa moitié ce soir. Petit c, ce qui doit rester entre nous, il va faire son coming out enfin. J’ai hâte de voir la tronche de ma tante, déclare-t-il se retenant de sauter de joie.
Son bonheur me contamine. Et je suis ravie que Soan ait enfin décidé de passer ce cap. Je lui ai acheté une lampe torche en guise de cadeau mais je crois qu’un bracelet porte-bonheur irait mieux. Si seulement j’avais su!
On grimpe dans la voiture de Gabin puisqu’il est venu me chercher chez moi. On fait la guerre des meilleures musiques jusqu’au pas de la porte de la famille Hugo dans le North Beach. La même chaleur qui m’a éprise la première fois que je suis venue ici il y a deux semaines, est la même qui m’entoure en faisant le premier pas.
La maison est modeste, originale avec un amour palpable. L’escalier se trouve en face de la porte d’entrée avec le salon juste à côté. Le tapis bleu va du porche à l’étage supérieur. La déco est faite de marron et de rouge. Ce qui m’a le plus choqué est la position du WC à côté de la porte. Le père de Soan est sculpteur la raison pour laquelle les statuts sont omniprésents dans la maison. Sa mère est pédiatre. Ils ont beaucoup d’amour à donner. Je comprends pourquoi Soan est autant affectif. En parlant du loup, Soan me saute au cou.
― Joyeux anniversaire mon cœur d’amour. Je te souhaite le meilleur des meilleurs du monde. Des gros lacs d’amour, de bonheur, de folies, de soirées arrosées et de sexe.
― La ferme Manon et serre moi fort dans tes bras.
On glousse tous les trois et je m’exécute. On partage une longue étreinte. Je lui donne son petit cadeau. Son sourire jusqu’aux oreilles me donnent une idée de la joie qui règne dans son cœur. Il l’emporte direct à l’étage, je devine qu’il le met dans sa chambre.
― Toujours pas de nouvelles de lui ? Me questionne Gabin.
Je lui ai parlé de mes problèmes de cœur, deux jours après m’être confié à Emma. Le brun me pose cette question tous les jours depuis une semaine. Et toutes les réponses sont les mêmes. À chaque fois, ses yeux se remplissent de compassion.
― Loin des yeux, loin du cœur. Il ne sait pas ce qu’il perd.
Ses lèvres se posent sur mon front. Monsieur et Madame Hugo apparaissent pendant que Soan descende les escaliers. Ils me couvrent d’amour ignorant totalement Gabin.
― La fête se déroule derrière. Viens.
― Soan est trop introverti faut lui dire. Comment peut-on inviter que huit personnes à son dix-huitième anniversaire? Se lamente son père, un sourire en coin.
Je pouffe. Le jardin est animé d’une bonne musique et de quelques personnes. Je compte dix sans ses parents, Gabin et moi. « 18 HAPPY BIRTHDAY » est accroché aux bois qui servent de clôture à leur jardin. Une table est garnie de subsistances. J’aperçois Nina avec une couronne « Happy birthday » sur la tête. Je pars en sa direction.
― Happy birthday ! Lancé-je en me référant à sa couronne.
Elle m’entoure de ses bras.
― Je suis trop contente de te voir. Tout va bien? Et tes magnifiques chiens?
― Excellent. Ils font mon bonheur tous les jours.
Ses lèvres s’étirent un resplendissant sourire.
― Tu as vidé ton p’tit cochon pour offrir le meilleur cadeau à Soan.
Nous rigolons toutes les deux. Mes amis, ne parlent jamais de la fortune de mon père. Je sais à quel point je suis chanceuse d’être aussi bien entourée. Ils pourraient bien être mes amis que pour mon argent entre autres. Je passe un bras autour du cou de Nina et approche nos têtes. Gabin nous propose de nous prendre en photo, ce que l’on accepte avec joie.
La nuit avance à grand pas.
Je discute.
Je rencontre des membres de la famille de Soan.
Je discute.
Je rencontre son ami de longue date.
Je discute.
― Je voulais tous vous remercier d’être venu vivre avec moi ce jour qui compte tant aux yeux de mes parents. On pouffe-. Non, sérieusement, ça me touche énormément que vous ayez laissé de côté votre vie quelques instants pour partager avec moi la mienne. Je ne sais pas quel vœu je vais faire mais s’il y a une phrase que je veux dire c’est que chaque personne ici présent a une place précieuse dans mon cœur. Chacun de vous a contribué d’une manière ou d’une autre à la formation de l’être que je suis devenu. Merci de vous êtes arrêté sur mon chemin.
Il ferme les yeux un instant et souffle les bougies. On saute de joie avant de le câliner à tour de rôle puis tous ensemble.
Une ou deux heures plus tard, tous les invités sont partis. Gabin nous entraine Nina et moi dans la cuisine. Il nous sert une boisson à faible taux d’alcool, mon premier de la soirée.
― Si vous faites silence vous entendrez tout, il déclare d’un ton malicieux.
Je siège et verse d’une traite le liquide brûlant dans mon estomac.
― Tu y vas fort, plaisante Gabin connaissant ma relation avec l’alcool.
Nina glousse.
― Espérons que sa fête d’anniversaire se terminera comme il a commencé, souhaite Nina.
Puis deux, trois…cinq verres s’enchainent.
― Ralentis belle demoiselle. Je te rappelle qu’on va rencontrer le Fameux. Faut être sobre.
Il éloigne mon verre.
― En parlant de sobriété, t’as réussi à peindre ?
― Non, je réponds comme si la réponse pendait sur le bout de ma langue.
Je secoue la tête. Si je me plaignais d’avoir peint qu’un seul tableau petit format en deux semaines, il ne s’est rien produit cette semaine. Je culpabilise ignorant où a fui mon inspiration. Elle pose une main sur la mienne.
― Tu vas retrouver la flamme de la peintre qui sommeille en toi, me réconforte Gabin.
Mes oreilles commençaient à bourdonner lorsque j’entends Madame Hugo :
― C’est enfin sorti. Tu te sens mieux maintenant?
On lâche une grande expiration qui laisse penser qu’on a tous retenu notre respiration. On se retient de crier de joie mais on peut danser. Alors on danse à trois jusqu’à la venue de Soan explosant de joie. On lui saute au coup.
― Ce soir, on sort les amis.
La seconde d’après, on s’empile dans la voiture de Gabin. Gabin au volant, Nina à côté de lui. Moi et Soan à l’arrière on tente une conversation scolaire.
― Tu as pensé à la requête du proviseur?
― Un peu oui. Je pense à un gala de charité. J’ai vu des enfants dans le besoin, je tiens à apporter mon appui.
― Le jour où Manon ne voudra plus apporter son aide au monde, le soleil s’éteindra, complimente Gabin.
Nous échangeons nos idées jusqu’à ce que Gabin se stationne.
Nous pénétrons un petit restaurant où la lumière verte s’harmonise avec les céramiques vert et blanc. De la musique latino en fond et une rangée de box s’aligne en face du bar. Un seul client. Un brun musclé plus âgé que nous. Une barbe de dix jours lui recouvre toute la joue et je vois un tatouage à son poignet. Il est musclé; je le vois bien au côté de Soan.
Soan nous présente avant qu’on prenne siège. On s’installe à trois avec Gabin au milieu et Soan le rejoint.
― Tu leur as dit? Il demande tout souriant.
― Vous allez bientôt venir diner chez nous, répond Gabin un sourire jusqu’aux oreilles.
Ismaël lâche un petit rire.
― Il n’a rien du cousin dur à vivre dont tu m’as parlé.
― Oh ! Mon cœur vient de s’envoler en éclat, plaisante-t-il.
On glousse et commande des smoothies à l’intervention de la barmaid.
― Vous vous connaissez depuis quand? Et comment? Tu sais pourquoi il a les cheveux verts? Ce resto est un genre de jardin pour vous? Questionné-je excitée.
Ismaël sourit en se grattant la barbe.
― Tu ne leur a rien dit alors. –Il parait satisfait de la réponse de Soan-. Ok. On se connait depuis deux ans, j’en avais vingt. Il avait beaucoup de mal avec son corps, son orientation sexuelle etc… Je l’ai invité à mon club de Kick-boxing. On a commencé à se fréquenter en dehors des séances quelques mois plus tard. Officiellement, on sort ensemble depuis huit mois. C’est vrai qu’on se croise souvent ici mais je ne dirai pas que c’est un jardin secret. Sinon pour la couleur verte, c’est un truc de dingue. Le vert représente beaucoup pour nous. Il voulait qu’à chaque fois que je pose mes yeux sur lui, on s’en souvient.
Le serveur revient avec cinq smoothies. On déguste nos boissons tout en bavardant. Ismaël est le genre de mec qui vous fait rire toutes les deux secondes. Ouvert d’esprit, intelligent et sociable sont les qualités que je dénote chez lui ce soir. Soan et lui ne pouvaient pas mieux tomber. Au bout d’une heure, on se sépare. Les deux tourtereaux marchent à pied. Gabin passe nous déposer chez nous. Il est vingt-deux heures au moment où je passe le seuil de la porte de la maison. Je monte direct m’effondrer sur mon lit.
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