24. Chouette matinée
Toc toc toc
Je déteste qu’on me réveille de cette manière. D’abord que je n’ai aucune envie d’ouvrir les paupières, encore moins de sortir du lit, maintenant je vais devoir marcher jusqu’à la porte en somnolant. Je vois à peine où je pose les pieds. Je discerne la serrure et la tourner. Je me laisse aller sur l’embrasure de la porte. Je n’accepterai de voir ma tête en ce moment pour rien au monde.
― Ferme ta bouche. Tu baves.
Je me ressaisis aussitôt pour empêcher ma salive de couler. Je me gratte la tête tandis que mon père baisse son regard vers le parallélépipède qu’il tient entre les mains. Il me le tend avec un petit sac qui a échappé à mon attention. J’y jette un œil. Des vêtements de sport. Je monte un sourcil.
― Nous allons marcher… enfin courir 3 ou 4 Km.
Alarmée, je plisse mon front. Je ne supporte pas de faire du sport aussi tôt le matin. Je suis plutôt du soir. De plus, j’ai encore sommeil. Ce serait du suicide. Hors de question.
― Non. Je retourne me coucher.
― Tu viens avec nous. Va te rincer le visage puis te changer.
― P’pa, il n’est même pas 5 heures.
Je lui fais une tête de chien mouillé tout mignon.
― Manon, gronde-t-il un sourire en coin.
Je grogne et finis par céder.
― Voici ton portable.
Il me donne la boite. Je l’enlace pour le remercier.
― Merci ma puce.
Il me serre fort dans ses bras. Je savoure le moment les quelques secondes avant qu’on s’écarte l’un de l’autre. Il pose un regard attendri sur ma personne puis s’en va dans sa chambre. Je suis ravie de l’admirer avant de m’enfermer dans ma chambre. Je me sens bénie. Pour une fois, cela change de mes combats matinaux. Je prends une grande respiration pour avancer vers mon lit.
Apple.
J’ouvre la boite. Sous mes yeux, un IPhone X, un IPad, un Mac, un IPod avec des écouteurs. Mes paupières s’agrandissent alors qu’une vague de chaleur s’enlace. Je les effleure su bout de l’index. J’en avais besoin mais les moyens économiques de ma mère ne me le permettaient pas. Je les pose sur mon lit et allume l’IPhone. Il y reste peu de batterie. J’enregistre le numéro de ma mère. Je suis tentée de l’appeler mais il est encore tôt. Je le mets à charger et me dirige vers la salle de bain avec ma tenue de sport.
Une dizaine de minutes plus tard, je rejoins mon père et Emma devant la villa. Nous portons la même tenue. Mes jambes sont molles et la fatigue me pèse encore cependant le minois de papa me fait comprendre qu’il ne veut rien entendre. Une bourrasque de vent me procure des frissons sur toute ma peau.
― Dis-moi qu’on va courir dans le sens du vent.
― On va courir dans le sens du vent, me rassure Emma.
Soulagée, je souffle. On ne traine pas pour se mettre en route, moi au milieu des deux. La fraicheur du matin me caresse la joue et me refroidit les narines jusqu’aux poumons me donnant une sensation de renaissance.
― Avec de la musique le trajet sera moins loin.
Il met de la douce musique à basse volume. Je ne connais pas le titre du morceau mais il transporte. On entame une pente lorsque mon père tente la conversation.
― Je pensais à une petite soirée cinéma entre nous? Cette fille ne connait rien en cinéma, c’est un truc de malade. Je penche entre Julia Roberts des années 90 ou Tom Cruise des années 2000.
En effet, je ne connais aucun des acteurs mentionnés. Raison pour laquelle je reste en retrait de cette conversation. Je laisse la liberté de choix à Emma.
― Julia Roberts.
― Je ne prends pas la peine de te demander ton avis ma petite Manon. Je parie que même Brad Pitt serait une révélation pour toi.
― Parce que je devrais les connaitre.
― Oui.
Non, mais quelle humiliation!
― Tu ne m’as jamais fait mention de leur film.
― C’est mon devoir de commencer par les miens. Tu devais le savoir par toi-même.
Ses films sont géniaux même ceux qui n’ont pas eu un grand succès au box. Je lui ai dit.
― Je crois que chacun son domaine. Je ne connais pas Julia Robert ou Tom Pitt je-ne-sais-quoi. Mais je connais Henri Matisse, Claude Monet, Pablo Picasso, Salvador Dali, Van Gogh, Rembrandt, Georges Braque, ou encore Leonard de Vinci.
― À part Georges Braque, je connais tous ces artistes.
― Parce qu’on fait la course à connaissance maintenant.
J’entends Emma étouffer un rire. On ne pouvait jamais s’ennuyer ou se laisser envahir de peine auprès de mon père. Je l’ai compris le soir de mon arrivée car depuis longtemps, je n’avais pas aussi bien dormi. Ma spirale de pensées culpabilisantes n’avait pas réussi à me piéger. J’ai pu dormir à point fermer jusqu’au petit matin. Je voudrais le remercier pour ce bien mais il en faudrait que je lui parle de mes plus sombres pensées et surtout la raison principale qui a poussé ma mère à m’expédier à l’autre bout des États-Unis. Je ne peux pas. Pas par peur de me faire juger, je prévoie déjà la réaction de mon père mais par manque d’énergie. Il faut de la force et de la détermination, pour affronter son passé. Mais je pense tout haut que mon grand-père a eu raison de l’appeler comme l’ange. Gabriel.
Au sommet de la petite pente. Un sublime paysage d’arbres aux feuilles orangées verte secoués par la brise du matin se révèle à mes yeux. La splendeur du tableau me coupe le souffle. San Francisco est paradisiaque. Je vais appeler cette vision « L’antre de l’inspiration ». Si j’avais mon pinceau et une toile sous les mains, je peindrais un tableau naturaliste digne d’un Van Gogh. Je savoure ce rêve encore une seconde alors que les deux adultes dévalent la pente. Pourquoi on ne m’a jamais dit qu’en un endroit de ce monde tout parait possible?
― Manon ! Tu viens, me crie mon père.
À contrecœur, je dévale la pente malgré mon cœur. Je ne suis pas près d’oublier cette sensation, cet impact. Je n’avais jamais été frappé ainsi par une vue.
― Je disais à Emma que tu adores les pâtes Italiennes et que tu as toujours voulu visiter Amsterdam étant petite. C’est toujours le cas, non ?
Je suis touchée qu’il s’en soit souvenu. Lorsque j’ai commencé la peinture à mes six ans, Rembrandt m’a servi de figure paternelle dans l’art. Je ne faisais qu’admirer ces beaux tableaux. Dans ma tête, le petit monsieur était encore vivant. Alors qu’en réalité, il était mort depuis 1669. Personne ne me l’avait dit avant. Quand je l’ai appris ça m’a fait un choc. L’effet est l’équivalent de celle que les fans de Nirvana ont ressenti en apprenant la mort de Kurt Cobain. Ou peut-être avec une mesure en moins puisque la mort de Kurt est vraiment pas claire. Mais pour la petite fille que j’étais…on peut compenser.
― C’est ça.
― Donc on partira à Amsterdam pour ton anniversaire.
Mon anniversaire. J’avais oublié cette maudite date ou je fus appelée à souffrir. C’est de plus en plus insupportable chaque année. Et surtout le plus long. Les scientifiques diront le contraire, mais le 31 décembre est le plus long jour de l’année.
― L’école nous donnera une semaine de congé cet octobre. On pourrait y aller de préférence ?
― C’est toi qui vois ma puce.
Je souris. C’est bien de pouvoir décider une fois. Entre une trentaine à une cinquantaine de minutes plus tard, un p’tit bruit du portable de mon père lui indique qu’on a parcouru mille cinq cents mètres. La rue est déserte et le soleil pointe le bout de son nez. On prend une pause. Essoufflée, je me pose contre une brique au bord de la route alors qu’Emma se plie en deux. Mon père, quant à lui, prend appui sur un poteau en regardant le ciel s’éclaircit. Je ne peux pas nier que cette balade efficace m’a permis de mieux voir San Francisco.
― Où est ce qu’on est?
― À Quint St, m’informe Emma entre deux respirations.
Mon cœur bat à mille à l’heure, j’entends mon pouls. Pour me calmer, je ferme les yeux et inspire en profondeur. Deux minutes plus tard, les claquements des mains de mon père me tirent de ma ballade mentale.
― Il est 5h38, le soleil est déjà là. Tu vas en cours Manon. Lève – toi.
Sur ces mots, il me prend par la main pour revenir à la maison.
―Trois kilomètres épuisent. Faut penser à un raccourci.
Emma s’esclaffe. Ma phrase est si ridicule que cela.
― Pour te donner une idée de l’évolution, au départ il faisait cent mètres. On passera à cinq km probablement dans deux ou trois mois.
―Non. Non, c’est mort. Oubliez-moi.
En accélérant et décélérant toutes les cinq minutes, notre belle villa me parut dans le champ de vision plus vite que je ne l’aurais cru. Je reprends confiance. Mais une question tourne en rond dans mon esprit : Comment vais-je tenir sur mes jambes toute la journée ? J’ai épuisé mon stock d’énergie. Je me vois languir toute la journée sous les moqueries ou la méchanceté d’Ayden.
― On part en voyage demain matin, à huit heures.
― Gabriel, geint ma belle-mère. Ce qu’il veut dire c’est qu’on va se déplacer quelques heures pour le travail. On part à cinq heures.
Mon cœur loupe un battement. Je ne m’attendais pas à une telle nouvelle de si grand matin. Il est vrai que mon père m’a mis en garde concernant ces déplacements dès mon arrivée mais j’aimais croire que cela serait pour plus tard.
― C’est pour l’avant-première de mon film. Ce ne sera pas long. Trois jours.
72 heures, seule, dans cette immensité. Je ne pourrai pas survivre.
― Emma invite sa cousine Lou à te rejoindre. Elle arrive demain matin.
― Elle vit à Emeryville, 21 ans et un peu fofolle sur les bords. Vous allez vous entendre à merveille, me rassure cette dernière.
― D’accord. Vous me retrouverez en un seul morceau à votre retour, dis-je en ouvrant la porte. Je fonce vers l’intérieur et grimpe jusqu’à ma chambre. Je m’effondre sur mon lit avec ma sueur dégoulinante. Mon cerveau ne pense qu’à mes pieds qui me font un mal de chien.
Mon père a tué l’infirme envie de me rendre à l’école avec cette fichue marche. Je me roule entre les draps une dizaine de minutes avant de finir au sol. Aie !
Résignée, je me relève pour me préparer pour les cours en priant pour que le reste de la journée soit moins pire…
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