p.45 › cours sur la fanfiction.

« Saleté de bouchons... »

Il est onze heures du soir. Même si ça n'est pas foncièrement tard, cela fait près de cinq heures que j'ai le cul posé devant mon volant. Cinq heures à lutter contre le sommeil. Nous sommes partis juste après les cours de l'après-midi, soit vers six heures, et nous sommes arrêtés une fois pour faire le plein. Roshe a fortement insisté pour prendre ma place, mais étant donné son hospitalisation encore fraîche, j'ai préféré prendre des précautions.

Maintenant il dort. La tête appuyée contre la vitre, il a remonté le col de son sweat jusqu'à son nez. À intervalles réguliers les faisceaux des lampadaires glissent sur ses traits, faisant s'évanouir des tâches oranges dans l'obscurité de son visage. Une odeur de crème hydratante émane de lui.

« Vous êtes bientôt arrivés ? lâche Ash à travers le haut-parleur de mon téléphone.

— Dans 30 minutes si j'en crois les panneaux.

— Cool, cool... Vous n'avez pas mangé je suppose ?

— Négatif. Et je commence à voir de petites étoiles jaunes danser sur la route..., je plaisante d'un ton cynique.

— Dis pas ce genre de choses, grommelle-t-elle. Allez, je vole vous préparer un truc le temps que vous arriviez. »

Elle raccroche.

Le grésillement de l'auto-radio me bourdonne dans les oreilles. Mais étant donné que cela a l'air de maintenir Roshe endormi, je n'ai pas la foi de l'éteindre.

« Qui c'était ?

Je sursaute. L'atmosphère est pesante, si bien qu'une goutte de sueur glacée descend le long de ma nuque et se fraye un chemin entre mes vertèbres.

— Rendors-toi, poussin, je lui adresse en prenant soin de prendre l'air mielleux.

— Brrr, arrête ça : on dirait ma mère, frissonne Roshe en s'ébrouant sur son siège. C'est glauque.

Puis, réfléchissant à ce qu'il vient de dire, il ajoute :

— Oublie ce que j'ai dit à propos de ma mère. Elle serait sûrement incapable de  me montrer ne serait-ce qu'une once d'affection en m'appelant "poussin".

Inutile de rétorquer un "mais nooon, ne dis pas ça..." à Roshe : il est bien trop buté. Au lieu de ça, je lui lance un coup d'œil.

— Peut-être pas ta mère, mais moi oui, je réplique avec une voix de grand-mère.

La voiture prend un virage. Roshe se tasse un petit peu plus contre son siège.

— J'aimerais bien pouvoir en dire autant avec toi..., il soupire en fixant le vague, soucieux.

Interloqué et à la fois perdu par sa réponse, je fronce les sourcils.

— Comment ça ?

— Bah t'as déjà vu un poussin rose ?

Je lâche un soupir :

— T'as vraiment un humour de merde.

Passant outre mon agaçement, le brun reprend sa place contre la fenêtre et me jette un regard neutre.

— Il n'existe pas d'animal rose avec lequel je pourrais te surnommer...

— Y'a le flamant-rose, je l'informe en ne quittant pas la route des yeux.

— C'est moche un flamant-rose. Ça ne collerait pas avec toi. »

Et il referme ses paupières sous mon œil attendri.

« Bienvenue chez vous, chuchote Ash avant même que nous ne posions un pied à l'intérieur.

Sac-à-dos sur l'épaule, je salue ma sœur avec une accolade. Elle a l'air épuisé, mais ses larges pomettes et son expression joviale semblent effacer les cernes étirés sous ses yeux. Les lumières de l'appartement sont à moitié éteintes : Eavl doit être en train de dormir.

— Ash, voici Roshe. Roshe, voici ma sœur..., je déclame à voix basse.

La blonde lui offre lui aussi un câlin de bienvenue. Surpris, Roshe émet un mouvement de recul avant de lui rendre la pareille. Tout deux se jaugent du regard.

Par-terre s'étalent des jouets d'enfant et des chaussures mal rangées, jetées contre le mur du vestibule. Une odeur de sauce tomate et de gruyère longe les murs jusqu'au salon et nous nous empressons de lui emboîter le pas.

« Pizza, ça vous branche ? Et je vous laisse ma chambre pour le week-end. Je dormirai sur le canapé. »

Une, deux, trois bouchées et c'est expédié. Plat, yaourt, douche, brosse-à-dent, je ne prends pas la peine de m'attarder dans le living et enfile un jogging pour dormir. Quelques minutes plus tard, Roshe me rejoint dans notre chambre de substitution :

« Alors, comment tu la trouves ? je lui lance en tirant les rideaux sur le Chicago endormi.

— Gentille. Très gentille, murmure le libanais tandis qu'il retire son t-shirt. Elle ne m'a pas posé de questions, ça c'est plutôt cool.

Bien vite nous nous retrouvons allongés l'un à côté de l'autre, Roshe sous la couette et moi au-dessus. Explosé par les cinq heures de route et les lasagnes d'Ashleigh, je m'y affale sans ménagement.

— En revanche elle m'a dit que tu lui avais beaucoup parlé de moi...

— C'est vrai, je susurre dans le noir.

— Et qu'est-ce que tu lui as raconté ?

Ses doigts pianotent sur mon bras.

— Que tu étais casse-couilles, prétentieux, kamikaze et exaspérant.

Il hausse les sourcils. Vexé, il retire sa main de mon épiderme. Je peux lire dans ses pupilles que ma description ne  lui plaît pas du tout.

— Très bien..., bougonne-t-il en me faisant dos.

Je lâche un rire :

— Quel susceptible tu fais...! »

Pas de réponse.

Poussé par son absence de réaction, je me hisse à sa hauteur et enroule mes bras autour de ses épaules. Calé en cuillère au creux de ma poitrine, son pouls bat contre mon cou.

« Puis j'ai ajouté que tu étais le gars le plus génial que j'ai jamais rencontré. Je lui ai dit combien tu comptais pour moi, et que je t'aimais. Voilà tout... »

Silence.

Il pivote alors et m'embrasse. L'index appuyé à l'angle de ma mâchoire, l'humidité de ses lèvres vient irradier ma bouche et ma langue. Je frémis, friand de ce contact que j'attendais depuis longtemps.

Nous marchons au gré des chorales de rue et des marchants de glaces, largués au beau milieu d'un boulevard dont nous ne connaissons même pas le nom. Pas ou peu de regards viennent accrocher nos mains entrelacées, et Roshe ne peut s'empêcher d'exprimer son contentement :

« J'ai toujours aimé les grandes villes, entonne-t-il, les yeux témoignant d'une extase que je ne lui ai jamais vu. C'est tellement grand que l'on n'a même pas besoin de se cacher. Et puis les gens que tu croises aujourd'hui, tu as vraiment peu de chances de les revoir un jour... »

Au bout d'un certain temps – en partie constitué de bavardage et de flânage – nous trouvons un petit parc coincé entre deux buildings, tel un écrin de verdure planté au mauvais endroit.

Trois personnes nous ont devancé : deux étudiantes posées sur un carré de pelouse et un vieillard progressant le long des plate-bandes. Le parc n'est pas très grand, mais suffisamment pour nous permettre de nous trouver un coin tranquille. Assis sur le gazon, sous une voûte d'arbres au feuillage épais.

« Tu sais qui est le père d'Eavl ? me questionne Roshe.

Il a posé sa tête sur mes jambes, allongé sur le dos.

— Non. Et je crois qu'Ashleigh ne s'en souvient même plus. Ça devait être un pauvre type rencontré en soirée qui l'a mise en cloque.

Ce matin au petit-déjeuner, Roshe a fait la connaissance de ma nièce. Une rencontre haute en couleur ponctuée de questions plus décousues les unes que les autres de la part d'Eavl. Il m'avait dit ne pas être très à l'aise en présence des enfants, mais il semble s'en être plutôt bien sorti.

— Quel connard, siffle-t-il entre ses dents. Je n'abandonnerais jamais un gosse comme ça.

— Tu penses devenir papa, un jour ?

Un ange passe. Je le sens qui hésite à imaginer  une vie où nous serions tout les deux réunis. Il doit sûrement penser que je n'envisage pas passer mes jours avec lui, mais pour être franc, je ne préfère pas me projeter. J'aime Roshe, point. Et il adviendra ce qu'il adviendra.

— Il ou elle s'appellerait Léo. Et je l'éduquerais de manière à ce qu'il ne devienne pas une sale vermine. Genre... comme ton père ou ma mère. » rétorque-t-il en me lorgant, la tête à l'envers.

J'éclate de rire à la mention de mon paternel. C'est vrai que pour être une "sale vermine", Kurt en tient une couche.

Roshe se trémousse contre ma cuisse. Il se tord, puis vient appuyer son menton contre mon épaule.

« Les deux filles près du saule, elles nous fixent depuis dix minutes. »

Effectivement, le duo d'étudiantes que nous avions dépassées tout-à-l'heure nous épient en gloussant. L'une d'elle sourit tellement que ses lunettes rebondissent sur ses pommettes, tandis que les cheveux auburn de l'autre ondulent sur sa poitrine. Roshe et moi pouffons en cœur. Alors poussée par nos regards, la binoclarde se lève et s'avance vers nous, le rouge aux joues.

« Excusez-moi, glisse-t-elle d'une voix timide. Mon amie et moi on se demandait...

Elle lance une œillade à sa partenaire. Ses grands yeux bruns, ouverts par l'embarras, vont-et-viennent entre la jeune fille et nos visages.

— On se demandait si vous étiez ensemble, marmonne-t-elle comme si les mots lui brûlaient la langue. Non pas qu'on trouve ça pas cool, justement, c'est chouette et on pensait que... Euh... »

Un petit rire gêné s'échappe d'entre ses lèvres.

Roshe, encore appuyé contre moi, ramène ses jambes en tailleur et fait glisser ses doigts le long de ma jambe. Des yeux il m'indique qu'il souhaite répondre : cette situation l'amuse.

« Effectivement vous avez tapé juste. Mais nous ne sommes pas friands de plans à quatre, désolé, déclare-t-il, narquois.

— Oh, non, non ! Ce n'est pas à cela qu'on pensait..., s'exclame soudain Lunettes, gênée. C'est juste que de loin vous nous faisiez penser à une fanfiction que nous suivons toute les deux et...

— Une fanfiction ?

Roshe se tord le cou pour observer la deuxième jeune femme.

— Oui, une fanfiction. C'est une histoire que nous lisons sur une plateforme un peu comme youtube, mais consacrée aux bouquins. Elle raconte comment les deux garçons d'un groupe de musique auraient vécu s'ils avaient finis ensemble. Et tu ressembles un peu à l'un des mecs, euh...? dépeint-elle  en me demandant implicitement mon prénom.

— Kyrel.

Je lui adresse un sourire bienveillant. D'ordinaire je l'aurais snobée. Mais elle n'a pas l'air bien méchante, et puis Roshe semble l'apprécier.

— Garance, se présente-t-elle en jouant avec une mèche brune. Et voilà mon amie Alane. »

Nous lui proposons de ramener son amie. Se levant d'une traite, ladite jeune fille fait claquer ses sandales et nous offre un signe de main en guise de bonjour. Toutes les deux prennent place à nos côtés.

Au fur et à mesure de l'après-midi, nous faisons connaissance avec nos deux nouvelles amies. Garance travaille dans une librairie, tandis qu'Alane rédige un blog répertoriant ses dernières lectures. Ferventes amoureuses de la langue, elles sont en fac de littérature et entrecoupent leur bavardage de questions à propos de notre couple.

« Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ? »

« Comment ont réagis vos proches ? »

« Qu'est-ce que ça fait de faire vous savez quoi entre mecs ?

Un murmure embarrassé roule le long de ma gorge. Comme par automatisme, mes doigts trouvent l'herbe et s'y entortillent. Roshe me lance un coup d'œil à mi-chemin entre la taquinerie et le malaise ;

— Kyrel n'est pas encore en mesure de pouvoir vous répondre, réplique le brun en faisant la moue.

Les deux acolytes retiennent un rire. Sûrement à cause de l'expression de Roshe, mais je ne peux m'empêcher de le prendre personnellement. Je bougonne :

— Je regrette sincèrement de t'avoir emmené avec moi.

J'ai le visage cramoisi et la gorge nouée.

— Bon, ce n'est pas tout mais nous devons filer bosser..., avance Alane de sa voix étonnement grave pour une femme. Peut-être à une prochaine fois ?

— Ouais, on a des exams à passer et nous sommes loin d'avoir assez révisé...! complète Garance.

Sur ces belles paroles, les deux étudiantes se lèvent et nous adressent un sourire d'adieu. Content de lui et de sa prestation, Roshe les salue :

— Ouaip', à la revoyure... »

Nous continuons de discuter. Grillant sous un soleil filtré par la végétation, Roshe me taquine toujours à cause de cette pseudo-virginité gay :

« Tu peux parler, je réplique avec une mimique lassée. As-tu déjà seulement approché l'appareil génital féminin ?

— Je suis né, donc..., avance-t-il en m'effleurant la joue du bout du pouce.

Assis en face de moi, Roshe me considère d'un œil faussement maternel.

— Génial ! Moi qui voulais te faire part d'une information plus que capitale...

Je pousse un soupir ballot. Soudainement interessé, le jeune homme plisse les paupières et claque de la langue.

— Accouche donc, petit poulain innocent.

— Demain, c'est mon anniversaire. (il se retient de sortir un "sans blague") Et pour ponctuer ce jour des plus merveilleux, on va coucher ensemble.

Je guette sa réaction.

Un sourire malin se profile sur ses lèvres.

— Tu sais, je t'ai trouvé un surnom qui collerait parfaitement à ta couleur de cheveux.

— Hm-mh ? j'émets en clignant des yeux.

— Mon petit cochon. »

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