p.43 › ash s'improvise doctor love.

« Ouais, ça fait un petit peu plus d'une semaine que ça dure.

Le coude posé sur le plan de travail, je guette la casserole d'eau posée sur les plaques. Glissant mon téléphone entre ma joue et mon épaule, je décolle les bords du sachet de pâtes que je m'apprête à préparer.

— Et ton père, il est toujours pas revenu ?

— Non, je souffle en remplissant le récipient. Enfin, il a envoyé deux messages à Jil pour lui dire qu'il continuait d'aller travailler et qu'il n'avait pas encore fixé la date de son retour. J'crois qu'il est allé se réfugier chez sa stagiaire.

— Sa stagiaire ?

— Barbara, une italienne pas encore mathématicienne mais déjà professionnelle de la branlette.

— Hm je vois, marmonne Roshe à l'autre bout du fil. Et... t'es sûr de ne pas pouvoir nous caler un rendez-vous cette semaine ? Juste nous deux ? Ça te changera les idées.

Sa voix érayée me fait sourire.

— Je te l'ai déjà dit : le meeting de fin d'année est dans un mois et je ne peux pas rater mes entraînements. C'est ma dernière compétition, tu comprends ? Il faut que je la finisse en beauté.

— Ouais, ouais, je sais..., il soupire dans le combiné. Et puis il y a le bal de promo. Enfin ton bal de promo.

Je laisse échaper un "arrrf " à l'entente du mot bal.

— Tu vas y aller avec qui ?

— Je sais pas. Si une fille sympa se retrouve sans mec pour l'accompagner, je me proposerai peut-être.

— Oooh, mais cette pauvre gamine fera un AVC avant même que tu ne la touches ! il pouffe en triturant son téléphone. Tu te rends compte ? Avoir pour cavalier  Kyrel Jensberg ? C'est inestimable, voire impensable... Quel honneur !

Son ton pue le sarcasme : je ne peux m'empêcher de ricaner.

— Tu ne devrais pas plaisanter sur les AVC.

— Et toi tu ne devrais pas parler de ta prétendue cavalière à l'homme à qui tu tiens le plus au monde.

— Ah parce que tu es un homme maintenant ? Plus un petit garçon ? Et un homme sans poil sur le torse, qui plus est..., je le taquine en prenant soin d'arborer l'air sérieux. Je ne demande qu'à voir.

— Toi non plus tu n'en as pas.

— Je fais de la piscine.

— Et ?

— T'as déjà vu un nageur qui se rase pas ?

— Bah maintenant que tu le dis...

Je l'entends grimacer. Puis après une courte pause, il ajoute :

— Donc c'est vraiment mort pour cette semaine ?

— Désolé, j'émets d'une voix détachée. Je dois m'occuper de Jil et de ma mère... Enfin surtout d'Effy : ça roule pas trop pour elle, si tu vois ce que je veux dire.

— Je comprends. Je ferais des heures supp' au club, il rétorque en bâillant. Et tâches de choisir une moche pour le bal, histoire que je ne me sente pas trop menacé.

— T'inquiètes pas pour ça, je murmure d'un ton enjôleur.

Soudain, une bulle m'éclate à la figure. Ces foutues pâtes risquent d'écoper d'un affreux goût de caoutchouc si je ne les sors pas tout de suite de leur casserole...

— Merde, il faut que je te laisse, je glisse d'un ton pressé. Je t'aime.

— Bye, moi aussi je t'... »

Le téléphone s'éteint avant que Roshe ne finisse sa phrase.

Je verse le contenu de la casserole dans la passoire posée en travers de l'évier. Je me remémore ses pupilles endormies, son sourire bancal, ses lèvres râpeuses... Tant pis.

« C'est prêt ! »

Pas de réponse. Juste le ronronnement de la machine-à-laver provenant de la buanderie. Aussitôt les pâtes finies d'être égouttées, j'en colle une plâtrée au fond d'une assiette et la monte à l'étage.

Il fait chaud, en haut. Chaud et humide. Les murs situés au-dessus des pièces d'eau commencent à gondoler, et seul un ventilateur à moitié cassé vient renouveler l'air des chambres. Un pas à gauche, un sweat qui traîne. Un pas à droite, une boîte de tampons égarée. Sans ma mère pour nous gueuler de ranger, c'est un sacré bordel.

À peine j'arrive au niveau d'Effy que Jil débarque et m'arrache le plat des mains :

« Je ne crois pas qu'elle ait envie de te voir, murmure-t-elle en baissant les yeux. Je vais le lui apporter. »

Je hausse les épaules. Effy n'a envie de voir personne, de toute manière. Pas besoin d'être vexé. D'après ce que j'ai cru comprendre elle me considère comme la cause de tous ses problèmes... Alors autant ne pas envenimer la situation.

Ces derniers temps, son comportement s'est avéré tel que nous nous retrouvons livrés à nous-même. Remarque, j'ai dix-huit ans : mais ce n'est certainement pas à moi de signer les papiers du bahut, de préparer à manger lorsque je rentre à vingt-deux heures et de m'occuper de la survie de ma mère.

Pour conclure, le départ de Kurt l'a complètement faite partir en vrille.


« Hey Kyrel !

Debout dans les douches, je lève le nez. Il est aux alentours de dix-neuf heures. D'après mes calculs, plus personne n'aurait dû se trouver dans les vestiaires.

— Sylvester, je me douche.

— Hm ouais. Dis, j'me demandais..., il débite en n'ayant clairement rien à foutre de mon ton peu avenant, est-ce que tu comptes inviter Ana au bal ?

Il est planté devant ma cabine.

— Pas que je saches.

— Ah okay, cool..., il marmonne dans sa barbe.

— Pourquoi " cool " ? je m'enquiers, perplexe. Je croyais que tu la trouvais pas si bien que ça.

Je me masse la nuque. Depuis l'affaire de Paris, Sylvester recommence à me parler normalement. Pour quelle raison je l'ignore, mais cela ne m'enchante pas des masses. Peut-être pense-t-il que je l'ai déçue et qu'une nouvelle chance lui est alors profitable, qu'il n'y aura jamais rien entre nous et que je ne lui suis plus une menace.

— Bah, tu sais c'était surtout pour me convaincre que je ne l'aimais plus. Mais finalement... j'hésite à lui demander. T'aurais un conseil à me donner ?

— Elle dira non.

— Ah...? il bafouille en prenant l'air perdu.

— Hm enfin non, je sais pas... Peut-être ? J'suis pas dans sa tête. Arrête de me faire chier avec elle, je maugrée en faisant coulisser le robinet.

Nouant une serviette autour de mes hanches, je sors prestement de la cabine et passe devant Sylvester, manifestement déjà habillé. Un caleçon, un jean, un sweat ; je suis prêt à sortir et surtout prêt à fuir cette conversation sans queue-ni-tête.

— Beh qu'est-ce que t'as ? Tu veux pas partager ? il me lance alors qu'il m'emboîte le pas. Je te rappelle que tu lui as foutu un gros râteau après Paris. Tu ne serais pas encore amou...

— Non, bien sûr que non, je l'interromps juste à temps. Maintenant lâche-moi la grappe.

— Comme tu veux...

Nous marchons à travers le centre sportif. Le ciel est encore clair, et la fraîcheur qui s'émane de mon torse irradie dans tout mon corps et parcourt ma peau de frissons peu désagréables.

— Elle est pas mal bonne la blonde, là-bas..., poursuit Mr J'en-manque-pas-une dans une tentative nulle de faire copain-copain.

Je tourne la tête. Adossée à l'un des pins bordant l'allée, une jeune femme aux grands yeux bleus nous regarde en souriant, bras croisés. Trop loin pour nous entendre, sa frange ambrée volète sur son front.

— Tu parles encore une fois de ma sœur sur ce ton et je te jure, Sylvester, que tu peux d'ores-et-déjà faire tes bagages pour l'hosto. » je grogne en me retenant de lui en foutre une.

Puis sans attendre ses couinements de chiots désolés, je cours jusqu'à Ash et la soulève dans mes bras, trop heureux de la revoir.

« Wow, p'tit frère ! elle glousse en s'accrochant à mes joues.

Le cœur qui bat, je la serre contre moi.

— Comment tu vas ? Comment va Eavl ? je m'empresse de l'interroger.

Ses mains caressent le fin duvet s'étant installé le long de ma mâchoire. Je n'en crois pas mes yeux : Chicago est à cinq bonnes heures de route d'ici, alors espérer la croiser à Blurdale...

— Bien, bien..., agrée-t-elle sans se départir de son sourire. Elle dort chez une amie ce week-end. Et puis c'était le carnaval de son école, hier. T'aurais dû la voir : elle s'est déguisée en escargot !

Elle éclate de rire. Nous nous écartons alors et empruntons le couloir d'arbres menant au parking. Je ne peux me résoudre à la quitter du regard pour vérifier qu'elle est bien là.

— Oh et j'ai appris pour maman et papa, elle déclare d'une voix plus posée. Et c'est d'ailleurs ce pourquoi je suis là.

— Comment ça ?

— J'ai pris un week-end de quatre jours pour vous rendre visite. Et pour m'occuper de vous, réplique-t-elle en m'effleurant le bras. Vous en avez bien besoin. »

Ashleigh, du haut de ses vingt-cinq ans, ferait une bien meilleure mère que la moitié de celle d'Ohio. Et encore : ceci n'est qu'un euphémisme pour ne pas blesser toutes ces chères mamans.


« Alors comme ça tu es casé ?

Affalés sur mon lit, j'ai fermé la porte et laissé Ash s'étaler de tout son long sur mes oreillers. Posé à nos pieds, mon ordi diffuse un vieil épisode de Malcom tandis que nous nous empiffrons de chips au paprika.

— On peut dire ça..., je chuchote d'un ton se voulant sibyllin.

— Elle s'appelle comment ? mâche-t-elle alors que les contours de sa bouche virent progressivement au orange.

— Il s'appelle Roshe.

À ces mots, elle manque de s'étrangler.

Il s'appelle Roshe ? s'écrie-t-elle en se fendant d'un grand sourire. Et dire que je pensais que t'allais enfin choper la petite Ana.

— Je t'emmerde.

— Roh ça va..., pouffe-t-elle. J'ai le droit d'être surprise et excitée à la fois, non ? Je viens quand même d'apprendre que mon petit-frère soit-disant véritable archétype du sportif hétéro sort finalement avec un mâle ! Allez, raconte-moi tout...

Une moue vient me tordre les lèvres. Bizarrement, avouer cela à ma sœur ne me gêne pas. Après tout, c'est bien elle qui m'a appris comment les filles se masturbaient.

— Il n'y a pas grand chose à raconter.

— Menteur. Par exemple : ça fait quoi de se faire branler par un garçon ?

Retirez ce que je viens de dire. D'un coup d'un seul mes pommettes se mettent à rougir et, aussi embarrassant que cela puisse paraître, j'émets un gémissement outré.

— C'est personnel.

— Donc il l'a déjà fait, s'extasie-t-elle.

— Ça fait au moins quatre mois qu'on sort ensemble, crétine. Bien sûr qu'on en est plus au stade du smack derrière les toilettes..., je bougonne.

— Oh bah tu sais, quand je vois le nombre de sites pornos que tu visites encore...

— T'es vraiment pire qu'un mec en pleine crise de puberté, je lâche en affichant une mine désolée.

— D'ailleurs en parlant d'âge, s'exclame-t-elle soudain. Tu vas bientôt avoir dix-neuf ans, n'est-ce pas ?

— Merci de t'en rappeler.

— Ça te dirait de passer le week-end de ton anniv' à la maison ? Ça pourrait te permettre d'échapper à cette ambiance de merde et de t'occuper juste de toi, pour une fois..., me propose-t-elle d'un ton réjoui. Et puis tu pourrais peut-être inviter ton copain ?

À la mention de Roshe, mon cœur fait un bon. Imaginez un week-end constitué à base d'Ash, d'Eavl et de Roshe : comment refuser ? Empli de reconnaissance je la serre contre moi, nos visages illuminés par les couleurs saturées de l'écran.

— Ce serait le plus beau cadeau d'anniversaire que l'on puisse m'offrir.

— Il te faut un cadeau à ton image, non ?

Je laisse un éclat de rire flotter entre nous deux.

Exactement.

— Pfff... crâneur.

— Crétine. »

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