p.41 › tomber amoureux ou tomber du toit : au choix.
Il nous a fallu une semaine pour nous en remettre. Et je dis bien s'en remettre, car les souvenirs de cette nuit restent gravés dans nos esprits. Mais peu importe : Roshe va mieux. Physiquement parlant j'entends car, bien qu'il accepte de reconsidérer notre situation, je le sens qui hésite et qui se braque par moment. Il est revenu au lycée, accepte de me parler, et son teint s'est quelque peu raffermi. Mais je crois qu'il a honte.
« Eh, tu m'écoutes ?
Je tréssaute et lève les yeux de mon sandwich.
— Oui, excuse-moi. Tu disais ?
— Je disais que Billie H s'inquiète beaucoup en ce moment, reprend Roshe en balançant ses jambes contre le bloc d'aération. Cette semaine par exemple, elle a débarqué trois fois au club pour vérifier que je ne me sois pas fait écraser par un cheval...
Sa réplique m'arrache un rire, et je ne peux m'empêcher d'imaginer la jeune femme appeler les urgences pour une simple écharde dans le doigt de Roshe.
— Elle me couve comme pas possible... Ch'est léch'erment vexch'ant, il termine en croquant dans sa pomme.
Son regard se laisse porter sur le lac. J'observe la façon dont ses lèvres se chamaillent et se mordillent, presque trop sensuelles pour un simple bout de pomme.
— J'imagine qu'elle tient à toi : tu ne peux pas lui en vouloir. Et puis j'aurais fais la même chose à sa place, tu sais..., je rétorque en fixant la rive.
Un rayon de soleil lui effleure le front.
— Ah et je me demandais, je poursuis en esquivant son absence de réponse. Est-ce que Billie H et toi...?
Il me regarde de travers. Le Totoro de son t-shirt se contorsionne et il pivote vers moi ;
— Hm ?
— Vous avez couché ensemble ?
Il en crache son dessert.
— Quoi ? s'esclaffe-t-il en ouvrant de grands yeux. J'te rappelle que ce n'est pas spécialement à l'intérieur de vagins que je...
— Oui, oui OK, c'est bon, j'ai compris : je ne veux pas savoir, je m'empresse de l'interrompre.
Le rouge me monte aux joues et il mime une mimique amusée.
— En parlant de Billie H, il ajoute en observant la berge, elle m'a invitée à une fête organisée par Falcon. Ça ne me tente pas particulièrement, mais si le cœur t'en dit... On peut toujours y aller ensemble.
Étonné qu'il me propose de l'accompagner, j'ouvre la bouche et laisse un blanc s'étaler entre nous.
— Ahem...
— Tu n'es pas obligé d'accepter hein.
— Si ! Euh, je veux dire : oui, j'aimerais bien, je bafouille en m'appuyant contre le mur qui nous fait office de dossier. J'en serais même ravi.
— Cool, déclare-t-il avec un petit sourire. Demain, samedi vingt-trois avril, sept heures, je passe te chercher. Sois beau. »
Et c'est sur cette tirade pleine d'enthousiasme qu'il se lève et saute du bloc d'aération. Attrapant son sac-à-dos, il m'adresse un signe de main et contourne le gymnase, laissant derrière lui un Kyrel flottant au sourire teinté de culpabilité.
Ce gars est décidemment trop bien pour moi.
∀
J'ai retrouvé mon sweat de la dernière fois. Bien que sa vue me rappelle notre dispute, j'hésite à le mettre. Après tout, pourquoi ne pas me réconcilier avec ce pull et, par la même occasion, me réconcilier avec Roshe ?
Mes parents me pensent chez Mace. Trop absorbés par leurs histoires de couple pour s'en préoccuper, ils ont carrément oublié de faire à manger. Et puis Jil se terre à l'étage – je crois qu'elle essaye mes t-shirts – alors elle ne risque pas de s'intéresser à mes activités. Je suis tranquille pour la soirée.
de :: Roshua¿ à :: ducon
(07:03) Je t'attends au coin de la rue.
(07:03) (Un papi-fusil me fixe depuis tout-à-l'heure : grOuIllE-tOi.)
Debout sur le pas de la porte, je respire un grand coup. Les lueurs du début de soirée emboîtent le pas des derniers vagabonds qui arpentent la rue, futiles, pressés, un peu comme moi ces derniers temps. Une brise humide caresse mes lèvres.
Une voiture rouge stationne au tournant. Sa voiture rouge, en l'occurence. Mais alors que la semelle de mes baskets frotte le béton, rythmée par le va-et-vient de mes avant-bras, la portière passagère s'ouvre avec une vigueur à laquelle je ne m'attendais pas. Je sursaute de surprise.
« Oups... On dirait que j'y suis pas allé de main morte.
Je baisse les yeux sur Roshe. Affichant une grimace rieuse, il me fait signe de rentrer et replace ses mains sur le volant.
— Salut, dis-je en enfonçant le siège-avant.
Il allume le contact sans répliquer.
— Je vois que t'as remis ce sweat.
— Mouais... Tu l'aimes pas ? je glisse en dépit de son timbre froid.
— J'aime pas la coupe, mais la couleur est cool. »
Ses yeux croisent les miens et il démarre. Les bras tendus dans son sweat péruvien, il bifurque au rond-point et s'engage sur l'autoroute, direction Falcon Valley. Sa bouche, légèrement rosée, tique à intervalles réguliers. Je lâche :
« À part le jazz, qu'est-ce que t'écoutes comme musique ?
Ma question venue de nulpart le fait sourire.
— Un peu de tout. J'aime autant les goûts de Xavier Dolan que les musiques traditionnelles mongoles et les classiques francophones.
— Du style ?
— Jacques Brel, Georges Brassens, Boby Lapointe, Barbara...
— 'Connais pas.
— Inculte. »
J'émets une moue vexée et, par réflexe, il m'effleure la cuisse. Aussitôt je tressaille et observe la jointure de ses doigts : reliés en un geste affectueux, je n'aurais pas expecté ça de sa part de si tôt.
Lui aussi semble s'en être rendu compte. Gêné par notre promiscuité, il retire sa paume et continue la route sans parler.
∀
« Mon Roméo est de retour ! »
Un mètre 95, un trait d'eye-liner à la Amy Winehouse, une barbe de trois jours et un chemisier satiné : revoilà Numa.
Il est huit heures du soir et nous sommes enfin arrivés. Conduits en lousdé par l'androgyne (à cette heure aucun visiteur n'est censé se pointer à l'université), Roshe et moi nous apprêtons à rejoindre la chambre de Billie H. Étant donné que le garçon connait aussi bien l'endroit que Numa, je suis contraint de les suivre tête basse en écartant les junkies bavards plantés dans les couloirs. Et si certains m'ont l'air sympa, d'autres en revanche me lorgnent avec méfiance. Rassurant.
« La fête, si on peut appeler ça une "fête", se déroule en petit comité, lâche Numa à l'intention de Roshe. Billouche a tenu à ce que nous soyons peu nombreux pour fêter ton retour.
— Qui sera là ?
— Moi, Monica, son mec, Billie H et son coloc, une nana en cinéma (en fait on sait pas trop qui c'est) et vous deux.
— Cool. » murmure l'intéressé d'un ton détaché.
Nous marquons un stop. La perche se dandine, évite un couple de jeunes dévergondés et s'adosse à la porte numéro 134. D'une voix puissante pour se faire entendre depuis l'autre côté, il déclare :
« C'est Numa et les deux poussins ! »
Clic, cloc ; les gonds laissent place à ce qui s'apparente être une chambre d'étudiants. Et je dis bien s'apparente, car pour peu que nous nous trouvions dans un dortoir, le bordel qui s'y amoncèle laisse plutôt penser qu'il s'agit d'une benne à ordure après le passage des puces.
Des murs bleus, jaunes, roses, une moquette mouchetée d'acrylique qui fait office de par-terre et, sous nos pieds, s'allongent un amas de tapis moelleux et d'esquisses écrasées par les semelles des invités. Si j'ai déjà visité l'atelier de ma grande sœur, ici, cela ressemble plus à un squat qu'à un véritable espace de " confort ".
« Bienvenue les enfants, nous lance la punk venue nous ouvrir.
Coiffée de longs cheveux fluo, elle m'observe avec un sourire presque aussi scintillant que sa robe, éclairant la pièce de par les centaines de petites diodes fixées dans les pans du tissu.
— Qu'est-ce que t'as à me fixer ? m'interroge-t-elle en fronçant du nez.
— C'est la première fois que je vois quelqu'un avec les cheveux fluos à Blurdale, je lui réponds en comparant nos chevelures.
Son sourire s'élargit. Après avoir claqué la bise à Roshe, elle m'attire vers le fond de la pièce et me désigne un pouf en corde.
— Moi c'est Monica, se présente-t-elle en passant la salle en revue. Je fais partie de la bande de Roshe, au cas-où tu ne serais pas au courant. Et voici mon mec, Cedrik.
Elle me désigne un gars à dreadlocks assis un peu plus loin. En pleine discussion avec une charmante portoricaine, tous les deux ont pris place sur des sièges semblables au mien, calés entre deux lits défaits.
— Kyrel, je réplique en prenant appui sur les paumes. On s'est déjà vu il y a quelques temps, si mes souvenirs sont bons...
Collés contre la porte, Numa et Roshe discutent. Bien que l'androgyne ne semble pas avoir les moindres vues sur le libanais, je ne peux m'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie en les voyant rire tout les deux.
— Ne t'inquiète pas, Nunuche a lâché l'affaire depuis bien longtemps, intervient Monica en suivant mon regard
Elle ramène ses jambes sous elle tandis que je fronce les sourcils.
— Comment ça ?
— Tout le monde a déjà essayé de se faire Roshe, ici, murmure-t-elle d'un ton espiègle.
Alors que je m'apprête à rétorquer, une voix s'élève au-dessus de ma tête, imprègnant mes cheveux d'une forte odeur d'herbe :
— Monica raconte n'importe quoi : il n'y a ici qu'une seule personne digne de ce gars, et nous savons tous de qui il s'agit...
Penchée sur moi, Billie H m'adresse un clin d'œil réjouit. Affublée d'une casquette en jean, elle a ramené son carré acajou en une queue de cheval désordonnée, allant de pair avec son sourire d'enfant bagarreur. Elle a la peau moite et son haleine me monte légèrement à la tête.
— Salut Billie H, ravi de..., j'entonne en pivotant sur moi-même.
— Hey les gars ! J'ai d'la cons' de compèt' ! Prêts à rejoindre Kurt et son Nirvana ? » s'exclame soudain un mec aux cheveux longs (sûrement ledit coloc' de la brunette), tout-à-fait sorti de nulpart.
Sans me laisser le temps de terminer ma phrase, Billie H s'envole en direction de son ami, suivie de près par Miss Fluo et le duo d'artistes. Elle est complètement foncedée.
Bien que je ne sois pas d'un naturel très susceptible, le fait de me retrouver tout seul au beau milieu des poufs ne me mets pas extrêmement à l'aise. Tous tassés dans la salle de bain exigüe, j'observe les étudiants en méditant sur ma présence ici. Car c'est vrai : qu'est-ce que fout un gosse de 18 ans sans ambition avec ces artistes décomplexés empreints d'inspiration et de créativité ?
« Ça va ?
Je tourne la tête vers Roshe. Accroupi près de moi, il a les doigts serrés sur une bouteille d'Heineken.
— Ça va, je réponds en masquant mon malaise.
— On peut aller sur le toit si les odeurs de joints te dérangent.
— Ah non mais c'est bon ! Amuse-toi donc, j'ai déjà joué l'Arbre dans les pièces de théâtre au collège : je sais comment faire la plante verte.
— Tu me désespères. »
Flanqué d'un sourire à demi-dissimulé, il me saisit la main et me force à me lever. Invisibles aux yeux des autres, nous disparaissons derrière la porte de la chambre et nous dirigeons vers un escalier de service, caché au tournant du couloir.
Trente, dix, cinq, deux marches nous séparent du toit. Sans parvenir à l'expliquer, l'excitation me gagne au fur et à mesure que nous accélérons sur la rampe.
« Bienvenue dans notre jardin secret, claironne enfin le brun.
Grise et colorée : voilà comment je qualifierais cette plateforme de béton, graffée et peinturlurée de partout. S'étendant sur une surface indéfinissable, la cage d'escalier se trouve à une quinzaine de mètres de la fin du bâtiment.
— On vient souvent ici avec Billie H.
Le jeune homme s'avance avec prudence. Une fois au bord, il se courbe et prend place sur le rebord, les jambes pendues au-dessus du vide.
— Roshe ?
Il hausse un sourcil.
— Hm ?
J'hésite. Poussé par l'envie de me défiler, je m'apprête à rétorquer lorsque mes jambes s'actionnent toute seules. Porté par mes genoux, je me retrouve assis près de lui et rougis contre mon gré.
— Je voulais te dire que je suis désolé. Ce que j'ai fais, c'était complètement stupide. Et puérile, aussi, je murmure en prenant soin de ne pas croiser son regard. Je sais que je ne suis pas le gars le plus futé du monde, mais je t'assure qu'être aussi égoïste... Je ne suis pas égoïste, crois-moi. Je te jure que je fais tout ce que je peux pour que mes amis et ma famille ne me voient pas comme un boulet, mais c'est juste que...
Je m'arrête un instant. À vrai dire, je ne m'étais pas préparé à lui présenter mes excuses au bord d'une façade de vingt-mètre mètres de hauteur.
— Te faire du mal, c'était absolument pas dans mes projets. Tu es la personne à qui je tiens le plus sur cette planète, et jamais je ne voudrais que tu me considères comme mes parents me considèrent aujourd'hui. Inutile, un peu limité, et surtout égocentrique. C'est juste que j'ai été trop con pour m'en apercevoir à Paris, alors je tiens à m'excuser. Pour ça, pour tout. Et j'espère sincèrement que tu me pardonneras.
Un long silence s'abat sur le toit. Les yeux bas, les pieds immobiles, Roshe reste de marbre face à mes aveux. Gonflé de gêne et de remords, j'attends sa réponse comme si sa langue faisait office de guillotine.
— Et... Cesar m'a avoué. Pour vous, pour toi et ton passé. Ton père aussi m'a expliqué ce qu'était devenu ton frère, et je tenais à ce que tu le saches. Je te dois bien ça.
Je crois le voir blêmir.
— Je peux te confier quelque chose ?
Sa voix perce l'atmosphère, ce à quoi j'acquiesce avec apréhension.
— Quand j'étais petit, et même encore maintenant, je n'ai jamais été très bg. Tu vas sûrement me croire superficiel et essayer de me contredire, mais la vérité paraît telle quelle : je ne fais clairement pas partie de ce qu'on peut appeler "les gens cools".
Tandis qu'il parle mes yeux s'attardent sur son visage. Bien que je le considère comme la personne la plus fascinante que je n'ai jamais rencontré, il a raison : ce n'est pas un modèle de beauté tel que le serait Armie Hammer.
— Au collège, j'étais très bon en basket. Mais cela ne voulait pas dire que j'étais envié : au contraire, j'étais plus jalousé qu'autre chose. Mais le pire dans tout ça devait être ma bande d'amis : les plus chouettes du bahut, les plus athlétiques, désinvoltes, et surtout, les plus désirés. Tandis qu'ils discutaient et flirtaient avec les filles, moi j'étais relégué au second plan de l'ami sympathique, l'encyclopédie de service ou, à la limite, de celui avec qui on peut rire le temps d'une récré. Mais jamais plus de considération à mon égard, ni même d'amitié pleinement partagée. À part Cesar bien entendu, mais lui aussi faisait partie de ces gens qui me mettaient mal-à-l'aise. Je connaissais tout le monde, mais au final, les gens ne cherchaient pas vraiment à savoir ce que j'étais. Par exemple, j'étais pas vraiment le genre de gars à qui on dit "à tes souhaits" ou qu'on attend lorsque il refait ses lacets.
Il s'arrête le temps de prendre une gorgée de bière.
— Alors quand on a commencé à sortir ensemble... T'imagines bien comment j'ai dû me sentir, il murmure en esquissant un sourire. Kyrel Jensberg. L'hétéro au summum du cool, le gars aux cheveux roses, le talent de la région en natation, le mec à la ribambelle de fangirls... Rien que le fait de savoir que c'était toi suffisait à me faire oublier qu'on vivait cachés. Et puis j'ai appris à te connaître, à voir que chez toi tout n'était peut-être pas aussi rose que tes cheveux le laissaient présager...
Son buste pivote vers moi et nous nous regardons.
— C'est pour ça que je t'aime. Ni pour tes cheveux, ni pour tes abilités, ni pour ta popularité, mais pour toi, tes failles. Ça sonne sûrement comme une pub meetic, mais c'est toi qui m'as appris à ne pas avoir besoin de tous ces artifices pour être aimé des gens dont j'ai réellement besoin... »
Sa voix a dérapé sur quelques mots. Éraillée par la bière, difficile à cause de son discours.
Prenant appui sur le rebord, je me redresse. Prenant sa paume entre mes doigts, j'hésite. Puis prenant mon semblant de courage à deux mains, je murmure :
« J'te promets qu'un jour moi aussi je serais fier de sortir avec toi. Fier devant qui tu voudras : je me fiche de ce que pense cette ville de blaireaux.
Il paraît étonné par ma promesse. Pourtant, un sourire se profile sur ses lèvres.
— Même à tes parents chrétiens homophobes ?
— Même à mes parents chrétiens homophobes. Ils me vireraient à coup sûr, mais je serais prêt à vivre en SDF pour te plaire, je réplique sur le ton de la plaisanterie (même si, concrètement, si j'ai de la bouffe pour tenir assez longtemps et un sac de couchage, rien ne m'empêche de le faire).
— Et bien soit : je ne suis encore jamais sorti avec un clochard.
Je lâche un rire et lui ébouriffe les cheveux, ce à quoi il riposte en m'allongeant sur le dos. Penché au-dessus de moi, il agrippe les manches de mon sweat. Ses lippes frémissent.
— Si je t'embrassais, est-ce que cela serait extrêmement cliché ?
— Sûrement. Mais quitte à être dans une pub meetic..., je marmonne en baissant le regard.
— ROSHE !
Au même moment, la porte de service s'ouvre tel un coup de tonnerre et un son strident retenti depuis l'entrée. Roshe réagit au quart de tour, se redressant un peu trop vite à mon goût, et émet d'un ton aux éclats confus :
— Billie ?
En effet, la jeune femme se tient debout à l'autre bout de la plateforme. Elle agite sa casquette en indiquant à Roshe de la suivre.
— Numa te cherche. C'est ultra important ! dit-elle en haussant la voix.
— J'arrive, j'arrive, réplique-t-il en se hissant sur ses pieds. (Puis à moi :) Excuse-moi : on se fera ça une prochaine fois. »
Et il s'éclipse avec un clin d'œil.
Je me lève moi aussi. Tout groggy face aux toits, j'observe l'époustouflant panorama qu'offre Falcon Valley combiné aux éclairs de la nuit. Illuminée, vivante et somnolante à la fois.
Soudain, mes jambes flanchent. Comme un coup porté dans le creux du genou, mes appuis cèdent et je me rattrape de justesse avec la force de mes bras : un peu plus et je me retrouvais en bas.
« Assis, maugrée une voix derrière moi.
— Putain mais t'es complètement tarée ! je m'exclame en faisant volte-face.
Bras croisés dans mon dos, Billie H me jauge d'un air boudeur. Pas de Roshe à l'horizon.
— Qu'est-ce que j'ai dit ? souffle-t-elle.
— Non mais qu'est-ce qui te prend ?
Je ne comprends rien : il y a encore une heure elle riait avec Monica et moi. Alors que peut-il bien lui passer par la tête ?
Sur la défensive, je m'éloigne du bord.
— Écoute-moi bien espèce de petit pisseux, commence-t-elle d'un timbre cinglant. Je ne suis pas là pour rigoler. Il me semble que je t'avais dit de disparaître de la vie de Roshe, et qui voilà ? Ce merdeux de Kyrel.
— Non mais tu t'es pris pour qui pour me parler sur ce ton ? je gronde en serrant les dents.
Coincé entre le rebord et Billie H, je n'ai d'autre choix que d'attendre qu'elle me laisse l'accès à la porte.
— Mais merde, essaye un peu de comprendre ! s'énerve-t-elle d'un seul coup. Vous ne faites pas partie du même monde, OK ? Tu ne sais rien de lui et lui non plus n'a pas envie de te connaître : il n'y a rien qui puisse justifier le fait que tu le mérites.
Ses yeux trop clairs s'agrandissent au fur et à mesure qu'elle se met à parler. Nez froncé, phalanges blanchies : elle me regarde comme un lycéen regarde un collégien.
— Lorsque tu parlais d'une personne digne de Roshe, j'entonne en plissant les paupières, tu te sous-entendais toi, n'est-ce pas ?
Ses lèvres s'entrouvrent sans produire le moindre son. Énervé, le vent se lève : son regard se durcit.
— Ça ne te rega-...
— Arrête tes faux-semblants : je sais que t'es complètement en kiff sur lui depuis la seconde où je t'ai rencontrée, je la coupe d'un timbre glacier.
Elle ne s'y attendait pas.
— Kyrel, ajoute-t-elle en me fixant droit dans les yeux. Il faut que tu comprennes quelque chose : Roshe est dangereux. Et par dangereux, j'entends aussi bien pour lui que pour les autres. Que crois-tu qu'il soit arrivé à Yessem pour qu'il se retrouve dans cet état ?
De peur de m'avancer en terrain non-praticable, je garde le silence. Son visage, quant à elle, est empreint d'inquiétude.
— Et puis regarde ses cicatrices : tu crois franchement qu'il s'agit de choses banales ? Voilà pourquoi lui et toi ne pouvez pas continuer comme ça : tu ne sais rien. »
Mon sang bouillit à l'intérieur de mes veines. Bien sûr que je le connais, sinon pourquoi serai-je encore là ? Cette gamine ne m'apprends rien, ou du moins j'aurais espéré qu'elle ne confirme pas mes hypothèses aussi durement.
Je finis par la contourner. L'esprit embrouillé et les membres contractés, je passe le pas de la porte lorsqu'un éclat de voix me parvient de l'autre côté.
« Et souviens-toi de ce que je t'ai dit, l'autre soir. Qui sait si je ne t'ai pas sauvé la mise ? »
Je dévale les marches. Arrivé dans le couloir, je bifurque en direction de la chambre, m'avance, entre, le tout sans jamais détacher ces mots de mon esprit : Roshe ne pardonne jamais.
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