p.35 › certains consomment trop d'herbe, et puis d'autres en bouffent.

L'hôtel n'est pas très luxueux. Un côté rétro qui fait peine à voir, une porte d'entrée tirant sur le rouge pâle, c'est un de ces endroits qu'on dépasse sans y faire attention. Les fenêtres qui bordent la rue sont bien trop fleuries, bien trop chargées pour que l'on puisse en discerner l'intérieur. Et malgré la plaquette dûment astiquée "Hôtel Rochereau", il est difficile de s'imaginer l'état des chambres et des pièces-à-vivre. Ce qui est dommage, car j'ai rarement vu de réceptions aussi soignées et agréables.

L'hôtel semble avoir été construit sur les bases d'un vieil immeuble parisien : pas d'ascenseurs, cinq étages à grimper, des escaliers en colimaçon. Même le parquet grince à chaque pas. Le personnel y est diligent, effacé, la déco modeste, efficace. Cet endroit est indéniablement cool.

« Tu me passes le pain s'il te plaît ?

J'ai dormi avec Mace et un gars qui s'appelle Kellin. Vu l'ampleur de nos bâillements, il ne nous a pas fallu longtemps pour tomber raide-mort sur les matelas de la chambre 46.

Je n'aime pas trop Kellin. Mais aux dernières nouvelles, j'aurais dû pioncer avec Sylvester. Heureusement celui-ci n'a pas pu venir pour des raisons familiales, alors de quoi je me plains ?

— Ouaip'.

Je tends la corbeille de pain à Anastasia : elle a l'air d'apprécier les petits déjeuners à la française. Les baguettes, les croissants... À Blurdale on a pas trop l'occasion d'en manger, alors nous en avons allègrement profité.

— Tu as bien dormi ? me demande-t-elle en se frottant les joues.

— Aussi bien que le décalage horaire me le permet.

La salle de restauration est plutôt jolie, avec sa tâpisserie bordeaux et ses reproductions de tableaux célèbres. Ici les conversations ne sont plus que des râles fatigués à l'accent américain, entrecoupés par des chaises frottées contre la moquette et des couverts qui tintent. Une ambiance de petit-déjeuner hôtelier, en somme.

— On commence par le Louvre ce matin. Ça te tente ?

— A priori, je lui lance par-dessus ma tasse de café.

— Cool... »

Elle hoche lentement la tête, perdue dans ses pensées. J'aurais bien aimé envoyer un texto à Roshe, mais vu le coût des forfaits à l'étranger... Et puis il ne va plus sur facebook ces temps-ci, alors je vais devoir prendre mon mal en patience avant de pouvoir lui reparler.

Avez-vous déjà pris le métro ? Que ce soit celui de New-York, de Londres, ou de Paris ? Car celui de Paris, il bat tous les records.

Autant celui de la Grosse Pomme est un bordel pas possible au niveau des lignes, autant celui de la Ville Lumière est un véritable catalogue de gens pas aimables voire complètement psychopates. Sans compter les punks à chien, les bourrés matinaux et les pick-pockets amateurs – Maé a faillit perdre son portable – les pires restent les imbéciles qui ne se lèvent pas lorsqu'il y a foule et les tarés prêts à te jeter sur la voie pour poser leur derrière sur le dernier siège disponible.

Et puis les gens aiment beaucoup mater. Filles comme gars, certains se jaugent du regard, d'autres en profitent pour peloter discretos durant les grandes crues. Par exemple, deux gamines ont trouvé très intelligent de venir se coller à moi pendant tout le trajet jusqu'à Châtelet. Elles avaient à peine 15 ans.

« C'est quand même vachement plus beau que Blurdale, me murmure Mace tandis que nous remontons l'avenue Rivoli.

— J'te le fais pas dire... Si seulement je savais parler Français.

— Ouais, et les nanas sont carrément plus bonnes qu'en Ohio ! » lâche Kellin en jetant un regard torve à Anastasia.

La jeune femme lui renvoie une grimace désabusée, laquelle est vite remplacée par une mine beaucoup plus sérieuse. Elle recule de quelques pas, laisse passer Maé. Autour d'elle la foule parisienne et les immeubles de luxe semblent l'engloutir. Je lui lance :

« Ana, ça va ?

— Nickel ! »

Mais je sais qu'elle est vexée. Ses yeux balayent le sol, ses mains cherchent appui dans les poches de sa veste.

Le reste de la matinée se déroule entre gardiens de musées et pyramides de verre. Après avoir sillonné les différentes parties du lieu, il est désormais l'heure de manger. Toujours à la suite de l'exaspérante Mme Perrault, nous nous sommes installés sur la pelouse du parc des Tuileries, à quelques pas seulement du musée. Il fait beau, un ou deux nuages viennent couper le bleu limpide du ciel. L'ambiance au sein du groupe va de pair avec celui du temps, et peu sont ceux qui se plaignent des sandwiches triangles achetés la veille.

Je suis heureux d'être ici avec Mace. Moi qui le délaisse vachement depuis que j'ai rencontré Roshe, je m'en veux de ne pas me préoccuper de lui plus que ça. Et puis ce gars ne s'en plaint même pas : il a beau être un peu simplet, je ne le perdrais pour rien au monde.

« Ana, lève un peu le nez de ton portable : on dirait Benjamin !

— Laisse-moi tranquille, Macecarpone.

Anastasia est avachie sur le dos, les bras tendus au-dessus d'elle afin de soutenir son portable. Mace, en tailleur près de son genou, abandonne rapidement et prend en chasse le paquet de chips de Maé.

— Ouh mais c'est qu'elle est de mauvais poil la rouquine..., je la taquine en m'approchant d'elle.

— Viens pas t'y mettre toi aussi ou ton joli minois risque de ne pas y survivre. »

Ah oui ? Et bien voyons si elle résiste aux chatouilles.

Mais avant même que je n'atteigne ses côtes, la rousse a déjà plongé dans ma direction. Chopant mon téléphone, elle s'éloigne en trottinant.

« Rend-moi ça toi ! je lui gueule en me relevant d'une seule traite.

Si elle venait à tomber sur les messages de Roshe, ce serait une belle merde. Vient par là, saleté !

Deux petites secondes...

— Je rigole pas : passe-le moi ! je m'écrie en lui agrippant le coude.

— Eh calmos ! Je vérifie juste que t'aies bien enregistré le...

Sans la laisser finir, je lui arrache l'appareil des mains. Elle me regarde, l'air badin, puis ouvre de grands yeux. Qu'y a-t-il encore ?

— C'est ça !

— Quoi ?

— Ce pourquoi tu ne veux pas me montrer le numéro d'Auguste...

Je déglutis.

— Hein ?

Elle hausse les sourcils. Surprise, choc, exclamation ; une multitude d'expressions lui fouette le visage. Je retiens mon souffle.

— Vous avez déjà commencé à sextoter ! Damn it !

— Non mais t'as foutu quoi dans ton sandwich ? »

Je pousse un long et las soupir, soulagé de cette nouvelle purement infondée.

Un peu plus loin Mme Perrault nous foudroie du regard. En attendant, Mace et Kellin éclatent de rire, contaminant ainsi Maé et ses amies elles aussi prises de gloussements incontrôlés. Merci les amis.

Je me laisse tomber sur un nuage de pâquerettes.

« Tu me désespères, je maugrée à l'intention d'Ana.

— Tu sais que j'ai raison : il t'a grave tapé dans l'œil, lâche-t-elle en s'asseyant devant moi.

— Votre destin est déjà tout tracé ! intervient Mace d'un ton goguenard.  On l'a su dès l'instant où vos regards se sont croisés.

— N'importe quoi.

— Bah quoi ? T'as quelques chose contre les gays ?

Nous nous grimaçons mutuellement.

— Fait quand même gaffe à ton cul : qui sait si une bite sauvage ne se cache pas dans les bois..., s'immisce Kellin en s'esclaffant aussi fort qu'une oie.

— Ouais, 'pis il paraît que les pédés attrapent plus facilement le sida..., surenchérit un de ses potes stupides (un Pete, je crois).

— Ce serait dommage de te priver d'une activité sexuelle prometteuse pour quelques anales, no-...

La terre lui empêche de terminer sa phrase. À cheval sur son pauvre torse de mauviette, je lui colle deux baffes bien senties et fait craquer les phalanges qu'il me tend pour se protéger.

– Va te faire enculer, Bertwick, je lui crache à la figure.

— C'est le cas de le dire... » murmure Maé tandis qu'un des profs accompagnateurs s'attèle à nous séparer.

Kellin n'ose pas rétorquer. Ses blagues ne visaient certainement pas à me vexer, mais ses propos m'ont profondément irrité.

Les autres n'ont dû voir qu'un hétéro facilement enclin à la baston heurté dans ses principes, mais moi, je me sens surtout comme un gars révolté par le degré d'imbécilité que certains peuvent incarner. Ce mépris, cet humour gras et cette arrogance me répugnent tout autant que Mme Perrault. Et j'ose même pas imaginer ce que Roshe aurait fait dans cette situation.

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