p.15 › Roshe et les grands ne font pas bon ménage.
« Darlene, alors de un : tu es chez les mecs. Et de deux : tu ne sais pas nager. Alors... qu'est-ce que tu fous dans mes vestiaires ? articulé-je en m'ébouriffant les cheveux.
— Il faut que je te parle. »
Les vestiaires du complexe sportif, sanctuaire des corps qui fument et qui luisent, se sont depuis peu transformé en un véritable salon de thé. D'après Darlene Moklavìk du moins, car c'est la seule personne au monde qui y reste aussi longtemps. Plantée devant mon casier, elle m'empêche d'accéder à mes affaires.
Darlene, c'est le genre de fille qui met beaucoup trop de noir autour de ses yeux – des yeux très clairs. Mais pour je-ne-sais quelle raison, ça lui va bien. Elle met des collants troués, des chapkas en été, et ne peut s'empêcher de faire ce qui n'est pas autorisé. Il n'est pas rare qu'elle se fasse moquer par les prout-prouts de l'établissement, ni même qu'elle se fasse engueuler par le proviseur. Et puis qui aurait cru qu'elle sortirait avec Mace Denver ?
Cela ne m'étonne même plus qu'elle réussisse à passer outre les gars de l'entrée. Pour cause, la manière qu'elle a d'entourlouper les gens fait pâlir bien du monde. Et c'est vrai qu'elle sait y faire, avec son long visage aux formes un peu carrées, un peu dures, mais franchement séduisantes.
« Quoi ? C'est Mace qui te fait des siennes ?
— Non.
— Benjamin ne te tournerait pas autour, quand même ?
— Non plus.
— Oh attends... Non. Non me dit pas que c'est à cause de ça... » je marmonne en prenant l'air inquisiteur.
Je prie pour que cela ne soit pas – encore – une morale à propos d'Anastasia. Heureusement pour moi, seuls Mace et Darlee sont au courant. Bien sûr, c'est l'autre Rousse qui a tout raconté, et j'ai été obligé de tout leur avouer. Mes sentiments, les événements, ils sont au courant. Et d'après Mace, ils m'avaient déjà grillé depuis longtemps.
Darlene a croisé les bras sur sa poitrine. Elle me lance un de ces regards qui ne dit ni oui, ni non, juste un regard fixe et insistant qui a le don de me mettre mal-à-l'aise. En plein dans le mille.
« Ce ne sont pas vos oignons, dis-je en passant à côté d'elle.
J'enfile un caleçon, mon jean et mon sweat avant de me diriger vers la sortie, ne souhaitant pas me soumettre à son interrogatoire.
— Oh et puis zut Ky : qu'est-ce que tu peux être têtu ! s'écrie-t-elle en me suivant dehors. Je venais juste te dire qu'elle accepte de reprendre la chimie si tu ne lui adresses pas la parole.
— Non mais quelle gamine, je grommelle en shootant dans un caillou. Elle aurait pas pu me le dire en face ?
— Ce n'est pas elle qui t'a embrassé samedi, je te signale..., surenchérit Darlee en accélérant le pas.
— Ben si, justement.
— Hein ? Pourquoi tu nous l'as pas dit ? »
Je me tais. Elle se met à jacasser toute seule. "Cuisse-De-Nymphe" par-ci, "on la pensait pas comme ça" par-là...
Sauf que je ne veux pas rejeter la faute sur Ana. Moi aussi je me sens coupable. D'une façon floue et tiraillante, mais d'une façon quand même. Elle représente beaucoup pour moi, et je ne veux pas la faire passer pour une connasse.
« J'espère qu'elle va vite te pardonner. »
Je soupire.
∀
La cafétéria est bondée. En appui sur les coudes, genoux fléchis, je courbe l'échine afin d'empêcher toute jeune fille d'empiéter sur mon assise. À côté de moi grignote Cesar, bien moins timide qu'à l'accoutumée. Parfois il me montre un tweet marrant, essaye de rire avec moi. Il ne doit pas avoir plus de deux ans de moins que nous, et ses sourires sont bien trop vrais pour être méchants.
Pourtant, je suis obligé de le détester. Il est tout ce que je n'étais pas à son âge, tout ce que j'aurais aimé être. Et je l'envie pour ça.
En face de moi, Sylvester. À gauche, Mace. De mon côté, Penny et Anastasia. Penny est entre nous deux. Mes doigts tremblent : je les fais onduler sur le contre-plaqué de la table. Un peu plus loin le regard d'une fille embrasse ma colonne vertébrale, l'air aguicheur. J'évite le contact visuel qu'elle essaye de mettre en place.
« Bah Ky, tu ne manges rien ? remarque Mace.
— Pas faim.
— Nous fais pas d'hypoglycémie, hein... » plaisante-t-il.
Mais je sais qu'il est inquiet. Ses lèvres se retroussent puis se raffermissent. Lassé du silence qui pèse sur le groupe, je m'apprête à engager la conversation lorsque le bruit d'un plateau posé sans douceur retenti à l'autre bout de la table. Nous levons tous le nez, surpris que quelqu'un de non-invité puisse nous approcher.
« On peut t'aider ? » ricane Sylvester avec une expression désapprobatrice sur le visage.
Je lève les yeux. Chemise à manches courtes, chaussettes dépareillées apparentes et baskets dégueulasses. J'ai failli ne pas reconnaître Roshe.
« Est-ce qu'on a l'air de t'avoir appelé ? grogne Benjamin.
— Je pensais avoir vu mon ami Leryk parmi vous. Mais apparemment il n'y est pas..., rétorque l'énergumène avec un haussement d'épaules. Mais ça ne fait rien.
Et il s'installe à une chaise d'écart avec Cesar. Cesar lui, se mordille la lèvre. Interpellé par son comportement, j'ai les sens en alerte et reste figé.
Anastasia rit jaune.
— Je ne crois pas que tu aies compris ce que voulait dire Ben : dégage.
— Oh, parce qu'ici c'est réservé aux gens qui ne mangent pas de gluten sous prétexte d'un régime hypé qu'ils ne tiendront jamais ? surenchérit Roshe en désignant les barres sans céréales d'Anastasia.
La rousse grimace ; les tables adjacentes se sont retournées.
— Non, tu es juste un gros tocard qui n'a rien à foutre là. Et tu nous déranges. Va bouffer avec les matheux, crache Sylvester.
— Ah mais je suis totalement d'accord avec vous ! Le gluten ça fait grossir, enfin d'après ce qu'on dit. Personnellement, je me pencherais plutôt sur un régime sans beurre de cacahuète, mais ce n'est pas encore au goût de tout le monde... »
Une triplée de terminales se mettent à glousser. Si c'est pour se moquer de Roshe ou bien des têtes effarées qu'affichent mes amis... je n'en sais rien.
« Bon les gars, il est temps de déguerpir, dis-je en me levant d'une traite. Ça commence à attaquer le beurre de cacahuète, et ça, ça ne me plaît pas du tout. »
Tout le monde m'imite, esquissant un rictus méprisant à l'égard de Roshe.
Lui... Et bien il leur adresse une mine admirative. Faussement admirative. Je tente de masquer mon sourire.
« Oh vous êtes vraiment exceptionnels, j'espère qu'on se reverra bientôt. »
Ses yeux bronze croisent les miens et je sors de la cafétéria. Je sais qu'il l'a fait exprès. Pour prouver quoi ? Je ne sais pas. Mais ce n'était clairement pas anodin. Lui que je ne vois ô grand jamais traîner dans les locaux, le voilà, tout fringant et tout heureux d'avoir pu jouer un de ses tours.
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