p.12 › je t'aime, mais juste pour rigoler.

« Et pshhhhht, il les a complètement explosés ! J'avais jamais vu ça, de la part d'un troisième année... »

Mace est à moitié en train de gueuler, à moitié en train de gesticuler. Une mèche grasse lui tombe sur le front alors qu'il se rassoit, épuisé d'avoir trop parlé.

Nous sommes attablés en plein centre de la cafétéria. Endroit seulement avisé par les grands du lycée, les filles gloussent assises à califourchon sur les gars et tout le monde y va de sa petite discussion. L'équipe de natation retient bien sûr toute l'attention, et en particulier Mace qui s'amuse à raconter notre dernière compèt'.

« Oh non, mes adversaires étaient juste pas très en forme, murmure Cesar en prenant soin de ne pas parler trop fort (pas comme l'autre idiot).

— Arrête, t'as été excellent. Tu m'étonnes que Barett soit totalement amoureux de toi... » lâche mon coéquipier.

Lui assénant une tape amicale dans le dos, il est aussitôt imité par le reste de l'équipe. Enfin toute l'équipe sauf moi. Moi je me tiens, l'avant-bras à plat, une blondasse roulant des fesses sur mon genou. Je le fixe. Nouvelle mascotte du lycée, vous dites ? Et bien c'est ce qu'on va voir.

« Tu faisais partie des Water Foxes avant, non ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, ils t'ont viré ? je déclare d'un ton sec.

Ses yeux verts courent sur la table. Je sais qu'il a peur de moi : cela se voit à la manière dont il évite mon regard. Depuis que je l'ai brusqué pour qu'il s'écarte du distributeur de boissons, c'est comme si j'avais l'air de vouloir le manger.

— Pas vraiment. Mon coach m'a conseillé de changer de club afin de progresser : les gars de cette équipe ne prennent rien au sérieux.

— Si je puis me permettre, la technique des Foxes est pourrie, s'incruste Benjamin qui, pour une fois, a levé le nez de son portable.

— Ouais, mais ils sont super sympas, intervient Sylvester entre deux baisers échangés avec Ana.

Je le fusille du regard : qu'il ne la ramène pas trop, celui-là.

Peut-être Syl, mais ça ne change rien. Même leur meilleur nageur nage comme une pastèque, appuie Ben en faisant craquer ses phalanges.

Ses iris bleutés convergent sur Syl. Depuis quelques jours, Benjamin semble étrangement enclin à enfoncer ces deux petits merdeux. Et ce n'est pas pour me déplaire. Je le suspecte d'agir dans le but de gagner ma reconnaissance ; mais du moment que cela me reste profitable, je n'y vois pas d'inconvénient. Pourtant, lui-même nage assez bien. Il n'a pas besoin de se sentir meilleur que l'autre angelot. Son style désinvolte, endormi au volant, et ses boucles blondes un peu trop longues font tomber les filles comme des moucherons.

— Moi j'aime bien les filles des Foxes, intervient Ana après s'être décollée du brun.

— Ah oui, c'est vrai qu'elles sont chouettes !  surenchérit Maé. Je me souviens d'une virée à Columbus qu'on avait organisé : c'est vraiment des tarées... mais des tarées cools ! »

Oui, les nanas de notre équipe sont sacrément plus détendues que nous. Surtout Ana : elle arriverait à apprivoiser n'importe quel finaliste des jeux Olympiques. Et c'est aussi pour ça que je l'aime autant. S'il est vrai que les opposés s'attirent, nous formerions un beau couple.

Anastasia et son amie rient en cœur tandis que River – la jeune femme s'étant invitée sur mes genoux – fait glisser ses doigts derrière la ceinture de mon jean. Elle est débile. Débile et pas discrète. J'attends le moment propice pour la dégager.

« Donc on est bien d'accord : samedi, 20 heures chez moi, pour fêter la première victoire de Cesar ! » conclut Mace en souriant.

Tout le monde pousse des exclamations de joie, lesquelles sont bien vite essuyées par les regards désapprobateurs des cantinières. Cesar avale son sandwich, Sylvester embrasse Anastasia. Je détourne les yeux et dissimule mon gêne, observant la bande se décomposer.

« Tu veux ma pomme ? je propose à River alors que nous nous levons à notre tour.

— Volontiers. » elle minaude en croquant dans le fruit que je lui tends.

Une perle translucide naît au bout de ses lèvres. Elle s'attend sûrement à ce que je la lui efface. D'un pouce aguicheur ou d'un baiser fugace, je ne sais pas.

Mais au lieu de ça, je pars. Je ne suis pas d'humeur.


Qu'est-ce qu'elle est belle Ana, quand même. J'ai beau être affublé de lunettes en plastique rayé, même floue elle me fait sourire comme nulle autre ne le fait. Parfois je me prends à rêver d'elle. Sur le vif, un épisode sempiternel et pourtant si doux, si caressant. Je rêve de l'avoir embrassée, il y a un an. Je rêve de goûter à ses lèvres pleines, sentir l'ourlet de sa chair contre les miennes, presser sa joue contre ma paume... Sauf qu'il faut qu'elle ait choisie cet imbécile de Sylvester.

Il y a deux ou trois mois, c'est avec sa grande sœur Brooke que j'ai rompu. Je ne l'aimais pas. Nous étions pourtant ultra compatibles : même passion pour les eaux, même physique agréable, même réputation de concurrent imbattable. Tout le monde rêvait de nous voir ensemble, et tout le monde fut bien heureux de pouvoir nous observer nous bécoter à la sortie de la piscine. Peut-être m'aimait-elle, mais moi, je ne la considérais pas plus que comme une simple amie avec qui passer du bon temps. Maintenant, elle est à l'université tandis que moi je suis toujours au lycée, coincé au beau milieu de gamins attardés.

Et c'est aussi pour cette raison qu'Anastasia refuse qu'il y ait plus que de l'amitié entre nous : je me suis tapé sa sœur. Et ça se comprend.

« MADAME ! Léonard fait encore semblant de s'être empoisonné avec l'acide chlorhydrique !

— Eh Penny, le bouche-à-bouche ça marche aussi..., murmure son partenaire, le visage écrasé contre la paillasse.

Toute la salle s'esclaffe, y compris Ana et moi. La physique-chimie est le seul cours que nous partageons, si bien que nous n'avons pas hésité une seule seconde avant de nous mettre en binôme. Elle est plutôt douée, et moi aussi. Alors Mrs Slipetti nous apprécie.

— Tu veux pas plutôt demander à Mr Je-Me-Suis-Renversé-Une-Bouteille-de-Chlore-Sur-La-Gueule ? rétorque Penny en me lançant un clin d'œil.

— Ben pourquoi pas si j'avais pas une folle envie de te serrer après les cours... » assène enfin Léonard.

Des sifflets fusent de toute part. En temps normal j'aurais foudroyé la jeune femme du regard, mais Penny est une amie d'Ana. Alors j'esquisse un sourire en coin et lui adresse un bisou de loin. Il m'arrive d'être de bonne foi parfois, lorsque la Rousse est là.

« On se calme, on se calme ! » lâche Slipetti dans une tentative d'atténuer le bruit.

Ses lunettes glissent le long de son nez en trompette et s'arrêtent lorsqu'elle lève la tête. Elle est petite et d'origine italienne : une tonne d'élèves fantasment sur elle.

« Oh Kyrel, il faut que je te raconte un truc.

Ana me regarde avec ses yeux en amande. La cascade vénitienne qui caresse la courbe de ses joues se déverse du côté droit lorsqu'elle penche la tête. Je me rapproche d'elle.

— Syl et moi...

— Hm ?

— Et bien on a enfin couché ensemble.

– C'est vrai ?

– Non.

Elle éclate de rire. Ses doigts délicats viennent flatter ma joue lorsque je soupire, lassé de ses blagues pourries. Elle m'en veux toujours pour l'année dernière, et elle ne cesse de me le faire sentir.

– Ce n'est pas drôle, je lui réponds, rembruni.

— Je sais, je sais, désolée, elle fait en se mordillant la lèvre. Syl est toujours... bloqué.

– Bloqué de quoi ? Qui donc pourrait bien te résister, hm ? je lui susurre en baissant le regard.

– Il est complètement tétanisé par le sexe.

Ce que cancanait Mace était donc vrai.

— Ça arrive à tout le monde, enfin je pense. Laisse-lui un peu de temps, murmuré-je d'une voix froide.

— Ouais... De toute façon je ne sors pas avec lui pour la baise : je l'aime. »

La bouche pâteuse je hoche la tête. Je ne sais même pas pourquoi je continue de l'aimer. Pourtant il n'y a pas d'autres verbes, même en littérature approfondie, pour exprimer ce que je ressens à ses côtés. Et ça, elle adore le balayer à coups de piques bien senties.

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