Jour 9 (partie 7)


Ethan

- Ce sont toujours les plus brisés qui gagnent Ethan. Tu ne m'as pas déçue.

Abi

La douleur dans ma jambe devenait insupportable, mais elle ne l'était pas autant que la peur qui m'accaparait. Tremblante, assise à l'endroit où les deux pentes du toit se croisaient, j'observais ma jambe droite tendue se teindre d'un gris tournant vers le jaune. Des larmes silencieuses coloraient mes joues. Je passai mes mains sur mon visage, envahie par le désespoir. Des traces rouges devaient désormais l'orner, car le verre avait, quelques minutes auparavant, transpercé ma paume sans pitié. Plus que jamais, je me sentais abandonnée, les illusions n'étaient peut-être pas parfaites, mais elles étaient parvenues à m'apporter un instant de compagnie qui malgré moi, me manquait.

L'épuisement me pesait. Ma tête était lourde. Je ne savais plus quoi faire, partagée entre l'envie de me laisser mourir ici, attendant qu'un être cruel de cette maison vienne m'arracher les membres, et celle de survivre, encore quelques heures. Combien de temps s'était écoulé depuis ce matin ? Ici, l'ombre dominait, le soleil était trop haut pour percer l'épais feuillage des arbres, ou alors était-ce le feuillage qui était trop épais.

Chaque obstacle n'avait fait qu'accentuer une douleur trop présente. J'avais entendu dire que pour faire faire à celle-ci, il fallait penser à un souvenir joyeux. Comment faire quand les miens n'étaient que malheur ?

Ordure !

Pourriture !

Erreur !

Meurs.

Je me bouchai les oreilles, suppliant de ne plus entendre ces mots dégradants. Mon cœur hurlait, mon corps vibrait, résultat d'une souffrance éternelle. Si seulement je pouvais ne plus sentir, ne plus ressentir. Une gouttelette salée goûta mes lèvres gercées.

- De l'eau... sifflai-je.

Imaginer le contact d'une eau pure et fraîche contre ma blessure m'apaisa et soudain, avoir de l'eau me sembla indispensable. Cependant, je restais hésitante : si l'on m'attaquait, j'étais dans l'incapacité de me défendre, ou même de m'enfuir. Mais quand un grognement inhumain avala l'habitation, dont les murs s'effritèrent, je ne réfléchis pas plus longtemps.

Sur le derrière, je dévalai les tuiles inclinées vers le bas, mon regard passant anxieusement de droit devant moi à la fenêtre. Des pas lourds se dirigeaient par là, et je ne désirais en aucun cas rencontrer leur propriétaire. Précautionneusement, je me plaçai à genoux, les dents serrées. Je me penchai en avant, vérifiant les alentours. Le corps sans tête avait disparu, tout paraissait calme. Un souffle chaud et lourd s'abattit contre moi, une vague de nausée me traversa. La chose allait-elle sortir ?

Trois mètres environ me séparaient du sol. J'appréhendais la chute. Et si mon mollet lâchait ?

Au moins, je ne sentirais plus cette douleur.

Cessant de tergiverser, je me laissai chuter. L'air dur percuta mon corps, le sol suivit. J'avais réussi à atterrir sur les deux jambes, les ayant pliées légèrement. Celle de droite me lança, une plainte perçante bouscula mes cordes vocales, je tombai sur la terre sèche. Je soufflais lentement, ramenant ma jambe contre moi, me pinçant le bras pour que mon cerveau se concentre ailleurs.

Petit à petit, je me calmai. Personne ne s'était mis à ma poursuite. Et j'étais encore en vie.

Vivante.

C'était ce qu'il fallait que je retienne. Que seul ce mot traverse mon esprit, tel une devise, ou... une prière. Sans que je ne sache comment, mes jambes parvinrent à me relever. Le dos courbé, clopinant, les yeux à moitié fermés. Je me dirigeais dans le sens inverse de la maison, je devais aller tout droit. Dès qu'un tronc empiétait sur mon chemin, je m'y appuyais. Les arbres représentaient dorénavant mes seuls piliers, ils me permettaient de ne pas m'écrouler et de vouloir avancer jusqu'au suivant.

La forêt était dense et les risques que je ne trouve jamais le lac étaient élevés, pourtant je sentais que j'y parviendrai. J'y parviendrai, parce que le Jeu attendait que je m'y rende, autrement je serais déjà en train de me battre contre je-ne-savais-quoi. Ou alors Il attendait simplement que je lâche et me laisse piteusement mourir  ici. Ce qui était loin d'être dans mes plans.

J'avais l'impression de tourner en rond, ne pas progresser. Toucher encore les mêmes écorces, écraser toujours la même herbe. Puis enfin, un endroit que je connaissais apparut devant moi. La clairière était plus sombre que jamais, à glacer le sang. Le souffle tremblant, je la contournai, ne la quittant pas des yeux. La peur explosa dans mon ventre, je ne savais pas à quoi m'attendre. J'avais la sensation que l'endroit m'observait, j'étais convaincue de ne pas être seule.

Fuir.

Je pris mes jambes à mon cou. Ma course était irrégulière, ma blessure était une torture à traîner, mon esprit déformaient tout ce qui m'entourait en un tourbillon d'odeurs et de couleurs sans aucun sens. Un sifflement aigu persistait dans mes oreilles, mes démons étaient à mes trousses.

Fuir.

Ma respiration me maintenait toujours en vie, mais mes os se brisaient un à un. Des ombres noires se mouvaient devant mes yeux. Je criai, c'était un cri de peur, de rage, d'affliction. Mes pas couraient aussi vite que mon cœur. J'avais mal, la mort était imminente. Je m'en fichais bien.

Fuir.

Comme un mirage, l'eau divine du lac se dessina bientôt parmi la nature féroce. Elle m'appelait.

Fuir.

Je plongeai, nageant dans la folie. Tel un piège, l'eau se refermait sur moi, elle se teinta de rouge. Si elle était chaude ou froide, je l'ignorais. Le fond m'entraînait, je chutais, lentement. La lumière au-dessus de tamisait, engloutie elle aussi par la noirceur. Ma respiration devint difficile à contenir, je rejoignis urgemment la surface, repoussant de mes bras l'eau me barrant le passage. L'air frais s'abattit sur mon visage trempé. Je m'agrippai immédiatement au rebord, vidée. Je laissai remonter mes jambes vers la surface. Le liquide bleu piquait mes entailles, mais sa fraîcheur était réparatrice.

La peau de mon mollet s'était bizarrement asséchée, elle s'hydratait à nouveau. Sauf qu'à présent, elle s'amolissait et s'arrachait seule. J'en tremblais de dégoût.

De l'autre côté, une silhouette boiteuse se détacha des arbres.

Fuir.

Je rentrai ma tête sous l'eau, de façon à ce que seuls mes yeux ne ressortent. Olivia s'assit sur la rive, plongeant ses pieds dans l'eau. Elle posa ses coudes sur ses genoux et prit sa tête entre ses mains. Je ne voyais pas nettement, mais elle paraissait aussi amochée que moi, si ce n'était plus. Son t-shirt était maculé de rouge, elle était pieds nus. Je pensais qu'elle pleurait, sa position me laissait croire qu'elle était complètement désemparée.

Je repris ma respiration, puis me cachai encore.

Rejetant sa tête en arrière, elle rit. Elle rit très fort, plus fort que tous les cris que j'avais pu laisser passer. C'était un rire saccadé, à la limite des sanglots, à faire trembler, à vous rendre fou. Elle était folle. Je l'étais aussi.

Fuir.

J'avais envie de rire avec elle. Mais je ne pouvais pas. On était ennemies. Je remplis d'air mes poumons et disparus sous l'eau. Elle était juste en face, dans la largeur, j'avais peu de distance à parcourir. J'espérais qu'elle ne me voyait pas. En-dessous de moi, le fond de l'eau était loin., très loin, la sensation de vertige se faisait ressentir.

Ses pieds apparurent devant moi, flous. Son rire aussi était flou, étouffé par l'eau. Il me fallait de l'air, je devais tenir. Brusquement, je m'emparai de sa cheville et tirai avec hargne dessus, l'entraînant avec moi dans le bain. Immédiatement, je tirai plus, puis appuyai sur sa tête, ce qui me permis de reprendre ma respiration. Comme je m'y attendais, je fus entraînée dans le fond, je ne me débattis pas.

Nous nous baignions, face à face. Je crus la voir sourire, alors je souris. C'était étrange, on ne se battait pas. Peut-être attendait-on simplement notre sort. Nous nous laissions couler, et c'était celle qui aurait le plus d'apnée qui gagnerait. Parce que la haine avait déserté, la force avait été vidée, le courage n'existait plus. Pouvait-on réellement parler de courage ? J'étais bien, c'était agréable.

Le besoin de trouver de l'air se fit de plus en plus ardent, et malgré toute ma volonté, ma bouche s'ouvrit. L'eau captura mes poumons, qui cherchaient désespérément la liberté. Des bulles jouaient avec moi, me montrant ce que je ne pouvais avoir. Je ne contrôlais plus mon corps, prisonnier des flots. L'eau emplit ma cage thoracique, je donnais des coups partout autour de moi, dans une lenteur mortelle. Mon cœur encore battant s'affolait. Mais j'étais bien, il devait arrêter. Mon sort me paraissait acceptable.

Enfin, il ralentit. J'étais épuisée, mon corps avait cessé de se débattre. Le plus triste, c'était que mes parents ne pleureraient pas. Je ne connaissais pas les secrets du Camp et ne les connaîtrai jamais. Je n'aurais jamais été heureuse.

- A demain.

Cela avait dû se jouer à quelques secondes.


[ Hello ! Je suis à peu près dans les temps (juste un jour de retard, c'est... Acceptable. Et puis le chapitre est un peu plus long que d'habitude.)

J'ai écrit jusque tard dans la nuit pour terminer cette partie, qui a été très difficile à écrire, surtout la fin. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ça change des duels violents, c'est un combat tout calme.

Et Abi est carrément folle, si vous n'avez rien compris au moment où elle court à cause de la clairière c'est normal. Elle. est. folle.

Vos avis ?

Votre ressenti ?

Et pour ceux qui suivent en direct, sachez que j'ai mis un prologue qui explique pas mal de choses, donc n'hésitez pas à aller voir.

A la semaine prochaine (malgré la reprise des cours j'espère être dans le temps !) :)  Bisous ! On oublie pas la petite étoile ;)

Insta : z_ecris
Autre Insta : soleil_vermeil ]

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