~ Jour 7 (partie 4) ~

Abi

Toutes mes bonnes résolutions s'envolèrent. Ne pas me laisser envahir par la peur ? Gagner et oublier tous mes cauchemars ? Tout cela me parut incroyablement stupide et irréalisable. La personne responsable de tous mes maux marchait précipitamment vers moi, prête à me découper en petits morceaux en pleine rue !

A ma place, n'importe quel adolescent aurait fait demi-tour et vécu sa vie telle qu'il l'entendait. Pas moi. Toutes sortes d'émotions se succédaient dans mon esprit troublé.

Je passai de l'incompréhension de voir ma mère ici - alors que je ne savais pas moi-même ce que je faisais dans cette rue - à l'effroi. Tout en avançant, elle ne me quittait pas du regard. Qu'avais-je encore fait pour m'attirer ses foudres ? Je comptais sur la présence des nombreux passants pour éviter de devenir, comme de nombreuse fois, sa victime.

Pourtant, arrivée à ma hauteur, elle me gifla violemment, si fort que j'eus l'impression que le bruit de sa main sur ma joue se répercuta dans toute l'allée. Ma tête bascula vers la droite et je n'esquissai aucun geste pour me défendre. Si j'avais le malheur de riposter, sa colère n'en devenait que plus grande, et par conséquent, ses coups aussi. Je scrutai attentivement ses pupilles vides à la recherche des causes de sa rage. Son teint pâle et livide ainsi que ses traits creusés évoquaient la mort, j'avais bien du mal à croire que cette femme détruite pouvait être ma mère. Mais au fond, peut-être étais-je maintenant un peu comme elle...

- Comment as-tu osé faire ça ? scanda-t-elle. Ton père et moi avons tout donné pour toi, nous avons sacrifié nos vies, et voilà comment tu nous remercies ?!

Je ne comprenais aucune de ses accusations. Je n'avais rien fait qui eut pu l'énerver. Les promeneurs ne semblaient pas remarquer la scène qui se jouait sous leurs yeux, ou alors ils préféraient l'ignorer, un des grands talents de l'être humain... Mais comment pouvait-on ignorer une femme vêtue d'un peignoir et chaussée de pantoufles, les cheveux si emmêlés qu'ils ressemblaient à un nid d'oiseau, en train d'abattre toute sa haine sur une fille de dix-sept ans, et qui plus est en la frappant ?

Face à elle, je n'étais plus qu'une enfant apeurée et sans défense. Des larmes remplissaient déjà mes yeux, mon corps tremblait sans que je pus faire quoi que ce soit pour l'en empêcher et je fis inconsciemment un pas en arrière, terrifiée par ce qui allait suivre.

- Une fois rentrée tu ne sortiras plus jamais de la maison, tu entends ? C'est pas comme ça qu'on t'a élevée ! Toute cette merde pour baiser avec un garçon, non mais tu réfléchis des fois ? Espèce de salo...

Je me couvris les oreilles avant d'entendre son injure. J'en avais plus qu'assez ! Pourquoi étais-je restée aussi longtemps sans rien faire ? Je voulais la frapper, lui donner une bonne claque, l'adrénaline parcourait chacun de mes membres, mes mains tremblaient, prêtes à attaquer. Je préparai mon élan et...

Relâchai mon bras. Je n'étais pas comme elle, et je n'allais certainement pas le devenir. Sans quitter son regard, je passai à côté d'elle, la bousculant de mon épaule avec application. Je suivis le trottoir et tentai de ne pas m'écrouler suite à la scène que je venais de vivre. Je sentais son regard bouillonnant sur moi, folle de rage face au fait que j'avais réussi à lui tenir tête. Avancer normalement me sembla momentanément difficile, j'étais encore tremblante et complètement euphorique à l'idée d'avoir échappé à une raclée. Je souhaitais bondir partout et hurler à tous ces gens qui regardaient droit devant eux que j'avais réussi ce que je croyais impossible. Un sourire se dessina sur mes lèvres sans que j'aie pu l'en empêcher. Tout cela représentait beaucoup pour moi. Cela paraissait pourtant si simple ! Trop simple...

A l'instant où cette pensée s'installa dans mon esprit, la rue disparut et j'étais à nouveau dans l'eau. Je secouai vivement la tête, remettant mes idées en place. Ce qui venait de se passait n'était pas réel. Je m'étais laissée berner par cette sombre mise en scène. J'étais, certes, déçue, mais fière aussi. L'épreuve m'étant complètement sortie de l'esprit, si je n'étais pas passée à côté d'elle, je serais restée coincée dans cette illusion.

Je continuai à courir, le souffle court, encore bouleversée. Malgré ma volonté, je dus ralentir, autrement je risquais de ne pas parvenir à mon but. Je dépassai Ambre. Elle marchait à grande peine puis s'arrêta brusquement. Elle papillonna des paupières et son regard plongea dans un autre monde, elle partit dans une illusion. Je fus tentée pendant un court instant d'admirer le spectacle qui s'offrait à moi, avant de me souvenir que je n'avais pas le temps pour me reposer.

Avant de reprendre ma course, j'observai à travers l'eau limpide que ses pieds étaient ensanglantés, à cause de toutes les pierres. Je souris en constatant qu'Ethan avait dit vrai.

Un pas après l'autre, je me rapprochais de la victoire. Et puis je la vis. Là, devant moi, un haut mur de pierres d'environ sept mètres, en haut duquel une cascade coulait paisiblement à travers les passages sinueux des rochers. Ce paysage ne fit qu'accroître ma détermination et malgré les courbatures dans mes jambes, j'accélérai, il n'y avait pas de temps à perdre ! J'avais atteint le bas de cette montée. Je trouvai des creux dans la paroi afin de bien positionner mes pieds et mes mains. S'agripper n'était pas la chose la plus éprouvante dans l'escalade.

Je montai mes jambes le plus haut possible et poussai dessus, puis cherchai immédiatement un autre trou où positionner mes mains et où l'eau ne circulait pas, risquant de me faire glisser.

J'étais éreintée et tremblais comme une feuille. Je ne devais pas tomber, je ne me sentais pas la force de recommencer. J'entendis des pas derrière moi. En me retournant, je reconnus Ambre qui accourait déjà ! En soi, ce n'était pas si grave, je n'étais pas la dernière, et même si elle me dépassait, rien n'était vain. Lorsque la troisième survint de nul part, suivie de près par la quatrième, mon sang ne fit qu'un tour, et je me reconcentrai sur mon ascension. Comment avaient-elles fait pour être aussi rapides ?

Bientôt, nous fûmes quatre pour qui la victoire était à portée de main. Elles rattrapèrent toutes mon niveau aisément, mais il n'y avait assez de place que pour que deux d'entre nous soient alignées. La guerre était déclarée.

L'une d'elles m'agrippa la cheville et je glissai, me retenant aux roches de justesse. Mon cœur manqua un battement. Les muscles de mes bras tiraient, tentant de m'empêcher de tomber. Je donnai des coups dans le vide. A un moment, mon pied cogna la tête de la candidate en-dessous de moi, qui lâcha prise, poussa un juron, sa chute se termina par le bruit de son corps tombant dans l'eau, semblable à une explosion. Je fermai doucement les yeux alors que la peur gagnait du terrain en même temps qu'un sentiment de satisfaction repoussable.

Je réussis à monter mes jambes presque au niveau de mes mains et gagnai alors du terrain. Mes doigts devenaient si crispés qu'il m'était difficile de les retirer de leur prise. Je continuai ainsi jusqu'en haut. Là, je plaçai mes paumes à plat sur le sol boueux et poussai de toutes mes forces. Je posai ma poitrine sur la terre dès que possible et, même si le bout des pierres qui s'enfonçait dans mon ventre me faisait souffrir, tirai une dernière fois.

Je fus prise d'une violente toux, la tête me tourna et je m'écartai au plus vite du vide. À genoux, je vomis le peu de nourriture qui se trouvait dans mon estomac. Je m'éloignai aussi loin que possible et m'allongeai dans la boue, secouée de sanglot, les mains sur mon visage. Pourquoi je pleurais, je l'ignorais, mais cela me faisait un bien fou. La pluie se mit à tomber goutte par goutte, puis plus violemment, comme pour se moquer de moi.

Quelques minutes passèrent et la voix familière finit par envahir l'espace :

-A demain.

Elle ne me procurait plus aucun sentiment. A mon grand regret, j'avais fini par m'accoutumer à la mort de mes adversaires. Peut-être était-ce le cas depuis déjà longtemps, mais je n'en prenais conscience qu'en cet instant.

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